Travail : une valeur surcotée
« La gauche a abandonné à Nicolas Sarkozy la dimension politique de la valeur travail. Résultat, nous avons hérité de la droite réactionnaire. » Les premières mesures prises ou annoncées par le nouveau président de la République ne donnent pas tort à Jean Viard, sociologue directeur de recherche au CNRS. Remise en cause partielle du droit de grève (service minimum), critiques systématiques de la réduction du temps de travail, volonté de faciliter le recours aux heures supplémentaires, projet de déréglementer le travail le dimanche : Sarkozy propose effectivement une lecture très « politique de la valeur travail ». A court d’idées sur le sujet depuis la réforme des 35 heures, les socialistes ne sont pas loin de lui emboîter le pas. Et nos royalistes locaux ne sont pas les derniers. Ainsi, Jean-Noël Guérini, président du Conseil régional des Bouches-du-Rhône, en viendrait presque à faire croire qu’il est à la recherche d’un maroquin ministériel lorsqu’il évoque sa politique de solidarité. « C’est le retour à l’emploi qui est en jeu pour les allocataires [du RMI], et non un revenu perçu comme une aubaine », explique l’homme fort de la fédération PS du département en juin 2007 dans son éditorial d’Accents, la revue de communication de l’institution. Une nouvelle variation sur le thème « Rmistes feignants, Rmistes fraudeurs » ?… Au chagrin ou à la rue ! Résultat de cette politique dans les Bouches-du-Rhône : presque 7000 radiations temporaires ou définitives entre 2004 (année du transfert des Rmistes aux départements) et 2006. Mais Fabrice Kéhayan, directeur de l’insertion au Conseil général, se défend de tenir un discours de stigmatisation des « chômeurs-profiteurs » : « Tous [les allocataires] ne sont pas des fraudeurs ». Il n’oublie cependant pas de mettre en garde : « D’autres candidats au RMI, dissuadés par la plus grande rigueur des contrôles, ont renoncé à s’inscrire » (1). Pas tous fraudeurs, mais suspects quand même. Pour se prémunir contre les inévitables abus, le Département a d’ailleurs embauché 30 agents particulièrement efficaces : plus de 30 000 contrôles ont été effectués en deux ans. Mais si Jean-Noël Guérini claironne qu’il a obtenu « une baisse de 12 % des [allocataires], alors qu’au niveau national la diminution n’a été que de 1% » (2), ça n’est évidemment pas seulement parce qu’il a radié à tour de bras. La gauche reste la gauche : le Département réinsère également. « Le Conseil général a multiplié des conventions et autres accords (Etat, ANPE, AFPA, CCI, Fédérations hôtelière ou de transports de voyageurs, entreprises diverses, notamment de service à la personne) », se réjouit son site internet. Avec les créations d’entreprises, ce sont 7000 heureux Bucco Rhodaniens qui sont retournés au turbin. Moitié-moitié. D’un côté le bâton, de l’autre la carotte… Curieusement, l’institution ne spécifie pas si les emplois créés sont des CDI, des CDD, des CNE, des contrats aidés ou des temps partiels. Il est vrai qu’avec un taux de chômage toujours situé 2 points au-dessus de la moyenne nationale (9,8 % contre 8 % au 1er juillet) et quelques ambitions politiques, il ne faut pas non plus être trop regardant. « On n’est plus comptabilisé comme demandeur d’emploi à partir de 8 heures de travail par semaine », rappelle Christophe Massot, doctorant en sociologie du travail. Une mesure si intéressante comptablement, qu’elle est aujourd’hui surexploitée. « L’intérim et le temps partiel augmentent de 30 % par an. Comme pour les Anglais, ça devient l’horizon de nombreux travailleurs Français. Ce qui inclut naturellement des temps de chômage », poursuit le thésard. Pourtant, les Français accordent de plus en plus d’importance à leur travail. Et pas seulement parce qu’il est rare. « Même s’il a pour origine étymologique le mot « torture », et est ressenti de la sorte par de plus en plus de salariés, avoir une activité, rémunérée ou non, contribue à résoudre la question de son identité », explique Chantal Serre, psychologue du travail. « C’est ce qui permet la socialisation des individus, de trouver des satisfactions, du plaisir même si leur vie les fait souffrir. Ce qui est totalement à l’opposé de la conception sarkozyste du travail, uniquement centrée sur le mérite », complète Christophe Massot. Et de regretter : « Pourtant, aujourd’hui il n’y a aucune alternative politique à ce discours ». Jean-Noël Guérini et ses camarades devraient peut-être y réfléchir. « Tant que les socialistes ne renouvelleront pas leur corpus idéologique sur le travail, ils ne reviendront pas au pouvoir », prédit Jean Viard. Allez, au boulot !
Jean-François Poupelin
1. La Provence du 24 mai. 2. Ibid.
Au sommaire
Page 8
– Travail le dimanche Le mauvais « plan » du président
– Travail en souffrance Le harcèlement moral ne fait plus recette
Page 9
– Travail en analyse « La société est malade du travail »
– Travail, moi ? Jamais ! Morgan, refusnik du travail
– Travail sans partage Le retour des cadences infernales