Madagascar

avril 2009

A Madagascar la paix, pas encore la démocratie

Par Benoît Gilles

Après trois mois de violences, la « grande île » de l’Océan indien a retrouvé le calme. Le président Ravalomanana a été destitué. L’armée a mis dans son fauteuil le jeune maire de la capitale, Andry Rajoelina. Analyse de la situation avec le père Sylvain Urfer, observateur avisé du pays dont il a été expulsé en 2007.

Madagascar a une nouvelle fois évité la guerre civile. Le funeste cortège de pillages, d’émeutes et de répressions sanglantes n’a pas débouché sur un bain de sang. L’armée a fini par sortir de sa neutralité pour pousser hors de son fauteuil le président Marc Ravalomanana avant de confier les rênes du pays au jeune maire de la capitale, Andry Rajoelina. Ce dernier a promis un retour progressif à la démocratie durant les 24 mois de son « directoire ». L’Onu, l’Union Africaine ont fermement condamné « ce coup d’Etat » et les partisans de Marc Ravalomanana continuent de manifester pour un retour du président « légitime ». Les journaux français brossent un tableau en reflet des deux hommes en conflit : chefs d’entreprise, issus de l’ethnie Merina des Hauts Plateaux Malgaches, ils ont tous deux été maires de la capitale avant de se rêver un destin national. Vus d’Europe, les deux hommes sont généralement décrits comme deux faces de la même médaille du mérite affairiste.

Golden boy contre beau gosse

Une vue réductrice qui a le don d’énerver le père Sylvain Urfer. Ce jésuite installé dans la paroisse d’Anosibe, à Tana, depuis plusieurs décennies est un fin connaisseur des subtilités politiques et sociales de la « grande île ». Il est membre actif et l’une des principales plumes du Sefafi, un observatoire de la vie publique dont la vocation de « poil à gratter » fonctionnait particulièrement bien sur l’ancien président. Au point qu’en 2007, à bout d’urticaire démocratique, ce dernier a expulsé le Jésuite en quelques heures. De son exil parisien, il est resté très attentif à l’actualité de sa terre d’adoption. Et il porte un regard favorable sur le nouveau président soutenu par l’armée. « Je suis effaré de la manière dont les médias français sont intoxiqués : le maire déchu, le jeune premier… Derrière tout cela, il y a du mépris. Or, Andry Rajoelina a fait preuve d’un sacré courage. Surtout un jeune comme lui dans un pays de Raianmandreny [ce terme construit sur les mots père et mère signifie les parents, les aînés, et connote le respect dû à toute personne représentant une autorité, ndlr]. Il a agi avec une cohérence et un courage qu’il faut lui reconnaître. Il a annoncé qu’il se retirerait à la fin des 24 mois de transition, faisons-lui confiance. Avec le Sefafi, nous allons contribuer à verrouiller les textes pour ancrer le pays sur le plan démocratique et pour éviter les dérives que l’on a connu dans le passé. Quant à Rajoelina, s’il part à la fin des 24 mois de transition, il a 25 ans de carrière politique qui s’ouvrent devant lui. »

L’ombre du crocodile

Outre le coup de force qui lui a permis de conquérir le pouvoir, on reproche à Rajoelina de n’être qu’un pantin dont les ficelles seraient entre les mains du clan Ratsiraka, l’ancien dictateur que Marc Ravalomanana était parvenu à bouter hors de l’île après des mois d’affrontements sanglants en 2002. Pour Sylvain Urfer, le problème n’est pas là. « Il ne sert à rien d’agiter le chiffon rouge de l’ancien président Ratsiraka, les dinosaures de l’ancien régime ne sont pas derrière lui. Il est certain qu’il a dû recevoir un soutien financier de la part de ceux qui ont de l’argent. Mais, en face, ils pouvaient allègrement puiser dans les caisses de l’Etat. » Cette confusion entre les richesses du pays, l’argent public et les multiples branches de ses activités économiques justifie une grande partie des griefs à l’encontre du président déchu.

Tiko, empire du yaourt

Outre l’expansion de son propre groupe agro-alimentaire Tiko à toutes les branches de l’économie, on l’accusait également de vendre au plus offrant les immenses richesses minières de l’île. Sans compter le pétrole malgache qui, en ces temps de crise énergétique, commence à faire saliver le monde entier. Mais c’est en touchant à la terre, sacrée pour les Malgaches, que Ravalomanana a mis le feu aux poudres. En 2008, un accord secret avec le groupe sud-coréen Daewoo portant sur la location de millions d’hectares de terre sans autre contrepartie que la cession d’un pourcentage de la récolte annuelle de maïs et d’huile de palme, a achevé de le discréditer. « Il faut prendre leçon de l’affaire Daewoo pour mettre à plat tous les contrats passés avec les sociétés qui ont investi dans le pays. On ne récupérera pas l’argent versé au titre des pas de porte mais il faut tout remettre à plat dans la plus grande transparence. Il faut réellement privatiser les sociétés et biens qu’il s’était accaparés. Cela fera entrer de l’argent frais dans les caisses de l’Etat. »

Perdu en brousse

Un temps réfugié à l’Ambassade américaine, l’ancien président, qui compte encore de nombreux partisans dans le pays, reste introuvable. « Il n’est pas très malgache d’imaginer un procès. Il ne faut pas se faire d’illusion, il bénéficiera d’une impunité. Seule l’histoire le jugera. Aujourd’hui, il doit être abrité par des cousins et il sera très probablement exfiltré. De toute façon, il a suffisamment d’argent mis à l’abri à l’étranger pour vivre tranquillement. » Très clairement, le père Urfer ne se voit pas d’autre avenir que sur la « grande île ». « Pendant ces mois d’exil, je n’ai jamais cessé d’être en lien avec le Sefafi. J’ai la plume facile et mes amis ont continué à me faire confiance. Je vais prendre le temps d’y revenir progressivement. D’abord, pour refaire mes papiers et, ensuite, pour me réinstaller d’ici la fin de l’année. Grâce à Ravalomanana, je fais maintenant partie de l’histoire de ce pays. Désormais, le champ est ouvert. » En espérant qu’au cours des deux ans de « transition », on ne découvre pas une nouvelle grave erreur de casting.

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