Le luxe n’est plus ce qu’il était

octobre 2008
La Côte d'Azur abrite les villas parmi les plus chères du monde et de nombreuses résidences d'exceptions. Mais les « programmes de prestige », qui résistent le mieux à la crise, fleurissent un peu partout.

Les ancêtres de nos bétonneurs avaient un savoir-faire, un petit quelque chose de plus, que les promoteurs immobiliers de Paca semblent avoir perdu aujourd’hui. Les premiers construisaient des Léopolda (1), les seconds, à l’image du groupe Vinci, édifient des « Grande baie de l’Estaque » comme à Marseille. D’un côté par exemple une propriété de huit hectares sise à Villefranche-sur-Mer, complantée de 1 200 arbres (oliviers, cyprès, citronniers, etc.) et agrémentée d’une villa Belle époque. De l’autre une copropriété de 54 appartements dans les Quartiers Nord de Marseille, à toiture végétale. La première a été achetée 500 millions d’euros cet été par un oligarque russe, record mondial, un cinq pièces dans la seconde se négocie 1 000 fois moins cher.

Le luxe n’est décidement plus ce qu’il était ! D’ailleurs, les promoteurs préfèrent aujourd’hui parler de programme « de prestige », « d’exception » ou « de standing. » Pourtant, ces résidences de villas et/ou d’appartements, il existe des combinés, n’ont rien d’exceptionnel. A part des terrains un peu mieux situés, souvent en bord de mer et quasi-exclusivement sur la Côte d’Azur, et des volumes à taille plus humaine que leurs programmes de moindre « standing », les bétonneurs proposent des prestations souvent identiques. En particulier en ce qui concerne les aménagements de base : « climatisation réversible », « volets roulants à commande centralisée », « robinetterie thermostatique », « porte blindée » etc… Les seules différences notables sont le nombre et le type de logements (villas ou appartements), la présence d’une piscine, rarement individuelle, d’un gardien ou encore de « WC suspendus », comme le propose Bouygues dans sa Villa Cap Martin – en fait un ensemble de deux petits immeubles – de Roquebrune-Cap-Martin. Rien de follement « prestigieux », surtout à une époque où la piscine est quasiment devenu un bien de consommation courant.

Par contre, le prix de vente l’est beaucoup moins, courant. Pour acquérir un de ces logements d’exception, l’heureux acquéreur – cadre plus ou moins supérieur, plus ou moins en activité, plus ou moins Français et plus ou moins investisseur – doit débourser, en gros, entre 400 000 et 2 millions d’euros. Tout est question de géographie : une villa sur toit à Marseille coûtera toujours moins cher qu’un appartement à Beaulieu-sur-Mer. Exemples : un cinq pièces de 115 m2, en duplex et avec terrasse, dans La Grande Baie se monnaye à « seulement » 535 000 euros, alors qu’un trois pièces de 60 m2, avec balcons, dans le Hambury Palace de Kaufman & Broad (Menton) se négocie à 810 000 euros. Les différences : une piscine collective, un gardien… et l’absence de cité sensible à proximité.

Pourtant, les « sauvageons » ne sont probablement pas les pires voisins. Obligatoire communautaire, le luxe proposé par les bétonneurs n’est en effet pas la jolie et joyeuse vie de quartier où se multiplient apéros et repas sur les espaces verts. Dans son édition du 10 septembre, Le Canard Enchaîné en témoigne. Résumé : début juin, la copropriété du Capo Di Monte, une petite résidence de luxe de Cannes, décide d’autoriser la femme de son gardien à profiter de la piscine privée. Une largesse digne de l’abolition des privilèges estime un grincheux, particulièrement mesquin. Il met son veto sous prétexte de défendre son honneur – le Capo Di Monte pourrait devenir « la risée de Cannes » – et un « précédent dangereux » : « Si demain, il venait à l’esprit d’un copropriétaire qui fait travailler des employés de maison de les autoriser à fréquenter la piscine, qu’est-ce que la copropriété pourrait leur objecter ? » Les soixante-huitards avaient une vision bien différente de la vie en communauté…

Ces programmes de « standing » ont malgré tout la cote. Au moins autant que le Cap d’Antibes pour les oligarques russes, qui y jouent depuis quelques années à celui qui a la plus grande (villa) en faisant flamber les prix des demeures les plus exceptionnelles. A en croire la Fédération française du bâtiment (2), qui explique avec réticence : « Vue les difficultés actuelles, les promoteurs se tournent vers ce genre de niche car les acquéreurs sont solvables. C’est même leur avenir à court terme. » Finalement, pas forcément le nôtre.

Jean-François Poupelin

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