La gauche fait de la résistance
Il est bien loin le temps où, à trois reprises entre 1936 et 1958, Cannes a envoyé à l’Assemblée nationale Henri Pourtalet, un député communiste. Peu se souviennent que le « Palais Croisette » a été construit, en 1947, avec l’aide de militants CGT travaillant bénévolement. Ce qui explique que le syndicat siège encore aujourd’hui dans le conseil d’administration du festival du cinéma. Au 21ème siècle, être à gauche à Cannes est devenu aussi incongru que de porter des baskets lors de la montée des marches pour une cérémonie d’ouverture… « Je connais plein de responsables associatifs proches du parti socialiste qui se cachent. Quelle honte à Cannes d’être de gauche ! Cela devrait pourtant être une fierté », s’étonne Apolline Crapiz, candidate PS en mars dernier. Sa liste n’a obtenu que 11,69 % des voix et trois élus. L’opposition au maire UMP est donc très majoritairement incarnée par les 11 conseillers municipaux étiquetés divers droite. « Est-ce que la ville pourra passer un jour à gauche ? Ce n’est pas une question qui se pose ici », constate sans même s’en réjouir Philippe Tabarot, le dissident UMP qui a failli ravir Cannes au maire sortant… UMP. « Les électeurs de gauche n’imaginent tellement pas que l’on puisse gérer la ville qu’ils ont même parfois le réflexe de choisir le « meilleur » candidat de droite. Et après, ils râlent ! », déplore Apolline Crapiz. Peu nombreux, les militants de gauche ne se refusent pas toutefois le luxe de la division. Unis en 2001, le PS et le PC ont divorcé en 2008. Le premier ne voulait offrir au second que la 3ème place sur sa liste. Les communistes sont donc partis en solo avec la LCR. Résultat : 3,36 % des voix et zéro élus. « Battez-vous et vous pouvez réussir ! Le discours d’un Brochand, d’un Tabarot, le même que Sarkozy, fait fortune ici, regrette Claude Meyffret, tête de liste du PCF. J’étais enseignant à Cannes et mes lycéens avaient souvent l’illusion du fric facile. » Dans les quartiers populaires de la ville, les tendances sont les mêmes. A la Frayère, la droite a emporté 80 % des suffrages. « Cela nous interroge alors que les habitants auraient toutes les raisons de faire sauter le palais des festivals », gronde Guillaume Dafonseca, jeune militant de la LCR. Un « divers droite » y a raflé au premier tour près de 50 % des suffrages : Jean Martinez, soutenu par un certain Michel Mouillot, l’ancien maire de Cannes condamné pour corruption. « Il nous a pris des voix dans les quartiers, c’est clair, reconnaît Apolline Crapiz. Il faut se souvenir que Mouillot a toujours eu un électorat de gauche. Il était très social, très proche de la population. Ensuite, il a piqué dans la caisse. Ce n’est pas à moi d’en juger… »
Dans les couches défavorisées, une longue et intensive pratique du clientélisme a marqué les mentalités. On vote pour le plus offrant. « Cannes est un désert pour la gauche. Le modèle d’identification, c’est le modèle marchand, la frime, la consommation comme mode de réalisation de soi. La droite surfe là-dessus », constate Michel Gros, désormais à la LCR, après avoir milité deux ans au PS. D’Apolline Crapiz, son ancienne camarade, il ne dit guère du bien : « Elle n’est pas percutante ». La conseillère municipale socialiste ne le porte pas non plus dans son c?ur : « Michel Gros me présente comme un social traître pour régler des comptes personnels. »
En l’absence de véritables perspectives politiques, les débats internes prennent parfois l’allure de querelles de famille. Et certains ne résistent pas à la tentation de « l’ouverture ». Gérard Euzenod, membre du PCF, s’est ainsi retrouvé en mars dernier en 43ème position sur la liste UMP du maire sortant. Sa compagne, Anne Euzenod, occupait la 2ème place sur la liste du PCF ! « Nous avons fait un communiqué pour dénoncer son choix personnel », souligne Claude Meyffret. Moins anecdotique : Pascale Vaillant, conseillère municipale d’opposition verte élue avec le PS en 2001, se retrouve en 2008 6ème adjointe de Bernard Brochand en charge de l’environnement. Entre temps, il est vrai, elle a rejoint le Modem. Un certain art du recyclage doublé d’une bonne dose de réalisme…
Michel Gairaud