« S’ils sont si sympas, prenez-les dans votre quartier »
Depuis que Michel Augier, de l’association le Hameau de Rigoumel, a demandé à la mairie de Toulon, fin septembre, les raisons de l’absence de concertation sur le projet de transformation de l’ancienne poudrière en centre de semi-liberté (CSL), le quartier des Moulins est en ébullition. Comités d’intérêts locaux et de secteurs, parents d’élèves et simples riverains, tout le monde se mobilise contre. Des nostalgiques de Jean-Marie Le Chevallier, l’ancien maire FN, ressortent également de leur tanière. Sous la pression de tous ces honnêtes citoyens, Hubert Falco, sénateur-maire de la ville, a été contraint d’ouvrir le dialogue. Jeudi 16 novembre, la question du centre est à l’ordre du jour de l’assemblée générale annuelle de l’association le Hameau… Elle se déroule dans la petite salle municipale du paisible quartier Barbès, à l’entrée de la ville. Une centaine de personnes se sont déplacées pour venir débattre avec trois adjoints au maire et un représentant de Philippe Vitel, député et conseiller général du canton. L’administration pénitentiaire n’est pas présente. « Il est important que les gens puissent s’exprimer car certains d’entre eux sont réticents… », lance Yannick Chenevard. Sans le laisser finir, la salle donne le ton et hurle un « tous ! » unanime. « Nous ne sommes pas autistes, votre avis est remonté au plus haut niveau et a été entendu à 200 % », réussit à poursuivre l’adjoint à la Voirie.
Son intervention terminée, les premières questions fusent. De la baisse de la valeur des habitations au nombre de détenus, toutes les raisons sont bonnes pour s’opposer au projet. Y compris la sécurité… routière des enfants du groupe scolaire situé à 100 m du site du projet : « Il y a 25 classes et 700 élèves de 3 à 11 ans et aucune infrastructure routière, s’indigne Laetitia Fernandez, enseignante aux Moulins, Vous nous avez assuré que le centre avait la capacité d’accueillir quinze hommes. Mais il y aura autant de femmes, ce qui fait trente détenus. Auxquels s’ajoutent le personnel de l’administration… Il y aura donc une recrudescence de circulation, avec tous les dangers que cela représente ».
L’argument porte, mais laisse finalement la place à celui que toute la salle a en tête : la présence de détenus en liberté dans le quartier. « Nous nous sommes renseignés, ce sont des personnes en fin de peine ou des petits délinquants », poursuit Laetitia Fernandez. Et de préciser, sous les applaudissements : « Avec les cités qu’il y a autour, le quartier est déjà sensible ». Dans le public, les premières réactions fusent : « Ils n’ont pas pris 20 ans pour conduite en état d’ébriété ! »
Mal à l’aise, Jean-Guy Giorgio – « adjoint aux Espaces verts et aux guirlandes de Noël » – s’amuse un Toulonnais, tente « d’apporter un éclairage » de circonstance. « Il nous fallait un projet pour vous le présenter, mais ce n’est pas le seul qui nous ayons », assure l’élu, incapable d’en sortir un autre de son chapeau. Puis, aussi précautionneux que balourd : « Il n’y a aucun chantage vis-à-vis de la réparation de l’école, je voudrais juste vous convaincre que ces gens sont sympas. » La salle ne lui en laisse pas le temps et le coupe : « Pas possible ! ». « S’ils sont si sympas, pourquoi ne les installez-vous pas dans votre quartier ? », renchérit une voix sous les applaudissements.
Abandonné par ses collègues et de plus en plus ramassé dans son costume, Jean-Guy Giorgio s’enlise : il est simplement là « pour tâter le pouls de la population »... Finalement, il renvoie la patate chaude dans le camp du ministère de la Justice. « Il nous impose de lui trouver un terrain pour remplacer le centre de la prison Saint-Roch (1) qui fermera en janvier », se blanchit benoîtement l’adjoint.
Invité pour apporter une parole contradictoire… au public, Alain Stern, directeur de la Ligue varoise de prévention, vole au secours de l’élu : « Le milieu carcéral fait peur. Mais ce sont uniquement des détenus qui travaillent ou sont en formation qui sont autorisés à entrer en CSL. Même un boulanger qui a bu trois pastis, pris sa voiture et malencontreusement blessé quelqu’un peut prendre trois mois fermes et se retrouver dans ce genre d’institution ». Conspué et désabusé, il quitte la salle, laissant la parole à une petite retraitée à lunettes, aussi méchante que joviale. Déjà auteur d’interventions du type « On les met là pour qu’ils aient vue sur la rade », elle harangue avec son accent méditerranéen : « S’ils peuvent en mettre 40, ils pousseront les murs. Surtout que si l’endroit est si bien, il fera des jaloux ! ». Dans une salle surchauffée qui fait désormais bloc, le succès est assuré : rires gras et applaudissements ponctuent chacune de ses sorties. Toujours aussi remontée, l’enseignante donne un dernier avis : « Le meilleur endroit pour mettre ce centre de semi-liberté, c’est la prison de la Farlède. » Evidemment.
Jean-François Poupelin