La ruée vers l’or bleu
« Les historiens considèrent qu’il faut une génération pour refermer les plaies d’un traumatisme comme celui de la fermeture des chantiers navals de la Seyne-sur-Mer ». Professeur d’histoire à la retraite, Yolande Le Gallo voit dans cette unique explication les raisons de l’adhésion des habitants de la seconde ville du Var à la reconversion touristique de l’ancien site de la Navale mené par Arthur Paecht, le maire depuis 2001. Opposée au projet, elle analyse : « Les jeunes n’ont pas connu l’époque des chantiers et s’en désintéressent. Les plus anciens ont eu le temps de faire leur deuil ». Il semble qu’il ait fallu autant de temps aux élus des Bouches-du-Rhône et du Var pour passer outre la crise de l’industrie maritime qui a frappé leurs départements à partir de la fin des années 70. Entre 1972 et 2000, le nombre de dockers passe ainsi de 2000 à 1000 sur le Port autonome, alors que la fermeture entre 1986 et 1989 des chantiers navals de La Seyne et de La Ciotat laisse sur le carreau près de 12 000 personnes. A Marseille, si le déclin est plus lent dans le secteur, le résultat est le même : de 1978 à 2000, la ville perd la quasi-totalité des 9000 emplois qu’elle avait dans la réparation navale à son apogée, en 1973, sous-traitance comprise. Il n’en reste aujourd’hui plus qu’une centaine. Sans la reprise, fin septembre 2006, de la Compagnie de réparation par le groupe espagnol Union navale Barcelona, ils auraient totalement disparu.
Mais après avoir déchanté, nos représentants recommencent à gazouiller et retrouvent quelques vertus économiques à la mer. Aujourd’hui, 60 000 personnes en vivent directement. Les différentes activités qui y sont liées génèrent un chiffre d’affaire de 3 milliards d’euros. Ainsi, plus de 1 300 entreprises officient dans le nautisme et emploient environ 9 000 personnes. Mieux, quelques projets dégagent un peu plus l’horizon. Plus de quinze ans après leur fermeture, les anciens chantiers de La Ciotat vont, à l’opposé de sa voisine La Seyne-sur-Mer, retrouver la joie de voir des ouvriers ?uvrer sur leurs terres. En début d’année prochaine, l’arrivée d’un ascenseur à bateau pouvant soulever des navires va définitivement officialiser la reconversion industrielle du site vers la plaisance en général et le luxe en particulier.
Depuis l’année dernière, la région est également co-bénéficiaire du « Pôle de compétitivité de la mer à ambition internationale » avec la Bretagne. Une aubaine portant sur 8 000 emplois régionaux à cinq ans. Et pas des boulots de plagistes ! « Ce seront des emplois qualifiés de techniciens et d’ingénieurs dans les domaines naval, civil et militaire, ainsi que dans la grande plaisance », assure Patrick Baraona, directeur du projet pour Paca, qui espère voir le projet s’installer pour dix ou quinze ans mais se refuse à faire un bilan au bout d’un an. « Les premiers projets vont démarrer, mais il manque encore des financements », explique-t-il prudemment. Porté principalement par des PME/PMI (environ 60 % des entreprises impliquées) et les laboratoires de recherche des universités de Marseille, Nice et Toulon, le Pôle mer enchante Patrick Allemand. « Si la plaisance était structurée, nous pourrions avoir 1 000 ou 2 000 emplois en plus dans ce secteur », explique ainsi le premier vice-président du Conseil régional en charge du développement économique.
L’exemple de la décentralisation des ports de Nice et de Toulon (celui de Marseille est un établissement public), décidée cet été, montre toutefois qu’en matière d’organisation la route à suive est encore longue. Candidate, la Région a été évincée au profit des départements des Alpes-Maritimes et du Var. « Nous avions un projet économique à dimension régionale, avec une stratégie de développement de mer-routage pour la métropole varoise et de croisière pour Nice. Aujourd’hui, les deux villes sont en concurrence, y compris avec les Bouches-du-Rhône sur la desserte de la Corse », peste le premier vice-président du Conseil régional. Une compétition qui ressemble étrangement à la fièvre qui s’emparait des chercheurs d’or au 19e siècle. A la différence près que celle qui s’est emparée des élus de Paca dans les années 80 ne retombe pas. Malgré les projets en cours ou le poids du Port autonome de Marseille, l’économie maritime de la région reste en effet avant tout tournée vers le tourisme. Notamment avec le boum de la plaisance. « Cette dernière s’est démocratisée et n’est plus réservée aux locaux ou aux gens avec d’énormes moyens. Nous assistons à un véritable engouement pour les loisirs nautiques », se réjouit Valérie Laffont, directrice régionale de la Fédération des industries nautiques. Les élus locaux ne bétonnent plus les côtes. Ils veulent désormais les décorer avec des bateaux. De luxe de préférence.
Jean-François Poupelin
AU SOMMAIRE
Pôle mer : Pôle de compétitivité… touristique
Port autonome : The ultimate fight
Plaisance : La guerre de l’anneau
Pavillon orange sur l’environnement marin
Entretien :« Dès le 19ème siècle, le tableau est installé »