Développement durable : une passion éphémère
Discours du maire Jean-Claude Gaudin, discours de Jean-Claude Gondard, secrétaire général, discours de Claude Bertrand, directeur de cabinet… Pour parler, on a parlé en ce 30 juin 2004 à l’Opéra, devant une assistance composée d’un bon millier d’agents municipaux. Titre de la journée : « 2001-2007, la qualité de vie partagée en marche ». La « qualité de vie partagée », késaco ? Il s’agit du développement durable, en marseillais dans le texte. Petit rappel : la notion de développement durable, si elle ne remet pas en cause le développement économique, y met un doigt d’environnement et de social pour limiter la casse des prédations naturelles et humaines, « dégâts collatéraux » du capitalisme. En gros, on ne bouffe pas toutes les ressources de la planète pour en laisser un peu pour les générations futures. De plus en plus de grosses entreprises axent leur communication là-dessus, histoire de s’acheter une vertu à peu de frais (Carrefour, Total, Lafarge, etc.) Les politiques ne sont pas en reste, avec un écolo « alter mondialiste » à l’Elysée, par exemple. Et, jadis, une secrétaire d’Etat chargée du développement durable, Tokia Saïfi, qui a démissionné fin juin, quasi simultanément au raout marseillais, dans l’indifférence générale… Sans être remplacée à ce jour.
Donc, il existe à Marseille une direction de la qualité de vie partagée, en lieu et place de l’ancienne direction de l’environnement et des déchets. Placé sous la houlette du dynamique et sincère Jean-Charles Lardic, ce service a proposé un pari ambitieux aux services municipaux et à leur « patron » Jean-Claude Gondard : bâtir un projet de réforme de l’administration tenant compte des critères du développement durable. Encore plus fort : dans un souci de gouvernance, on associe les agents municipaux eux-mêmes, de tous grades et de tous services. En Octobre 2002, le coup d’envoi est donc donné aux ateliers « d’échanges et d’innovation », seize groupes de réflexion qui, après avoir déterminé leur champ d’investigation (habitat, transport, énergie, etc.), ont planché sur des propositions remises en grande pompe ce fameux 30 juin. Poussif par essence, ce projet a réussi tout de même à accoucher de plusieurs idées intéressantes, mais a eu surtout l’intérêt de mobiliser les fonctionnaires, et de leur faire toucher du doigt qu’ils pouvaient notablement influer sur le cours de leur destin et sur celui des administrés, plutôt que d’attendre la retraite.
Enrobage politiquement correct
Là où le bât blesse, c’est quant aux perspectives d’aboutissement de ces propositions, faute de véritable ambition politique. Les premiers signes du manque d’intérêt de la part de Jean-Claude Gaudin et de son équipe se sont manifestés tout au long de la mise en ?uvre du projet. Il est en effet très significatif que les directeurs généraux les plus proches du maire, et les plus « stratégiques » pour un tel projet à savoir Guy Philip, (ne dites pas : ministre de la propagande, dites plutôt : directeur de la communication) et Henri Sogliuzzo ( ne dites pas : préposé au vissage des syndicats, dites plutôt : directeur des ressources humaines) ont témoigné une hostilité franche et ouverte au projet, sabordant les réunions du comité de pilotage dont ils faisaient partie, allant même jusqu’à empêcher les agents volontaires de se rendre dans leurs ateliers. Tout aussi révélateur a été l’épisode « coupe de l’America », lors duquel Jean-Claude Gondard s’est démené, le projet de la direction de la vie partagée passant à deux doigts de la trappe. Très développement durable aussi, une course pour milliardaires pour laquelle Marseille était prête, entre autres choses, à verser 50 millions d’euros sur un compte dans un paradis fiscal (1)…
Quant au maire lui-même, il ne s’en souvient peut-être pas, mais il avait déclaré en juin 2001 dans son discours d’intronisation pour son second mandat que le développement durable serait « le fil conducteur de son action politique ». En moins pathétique, cela rappelle Chirac et sa « maison qui brûle alors qu’on reste les bras croisés »… Mais ni la teneur de son discours, ni celui de son directeur de cabinet, Claude Bertrand, ne trompe. La « qualité de vie partagée » est un os à ronger pour les municipaux, auquel le maire ne croit guère, qui sert d’enrobage politiquement correct à sa communication.
Car pour Gaudin, qui venait de souffler dans les bronches de ses élus lors d’un autre séminaire quelques jours plus tôt (le 18 juin), l’essentiel est surtout de casser la logique des branlées électorales qui s’enchaînent et de garder la mairie en 2007 (pardon, 2008, puisque Monsieur Gaudin joue les arapèdes en demandant le report des municipales…) Guy Philip avait d’ailleurs fait concocter par ses services un film bien plus révélateur des ambitions de l’actuelle municipalité : une politique de grands travaux visant à entretenir l’illusion d’un Marseille qui « gagne » (Grand Longchamp, Silo d’Arenc, Mémorial d’Outre-mer, Palais de la Glisse, etc.) Il est amusant de noter que tous ces magnifiques projets n’incluent quasiment pas une once de développement durable.
Même si le développement durable n’est pas la panacée, il constitue une petite avancée dont il serait dommage de rater le coche. Nous serons très rapidement fixé, puisque suite à cette journée du 30 juin, la rentrée devrait voir les premières applications des propositions des ateliers. Il est vrai que Jean-Claude Gondard ne s’est pas trop mouillé sur ces premiers engagements : créer un « trombinoscope », ce n’est pas encore la révolution. Seule la réalité pourrait rattraper cet « élan » timoré : Marseille s’est engagé pour un agenda 21 local (2). Il faudra bien y venir un jour, au développement durable. Cela écherra peut-être à une autre majorité municipale. D’ici là…
Martin Venator
(1) Voir le Ravi n°4
(2) Programme d’action définissant à l’échelon local les principes de la mise en ?uvre du développement durable. Marseille a signé la charte d’Aalborg, réunissant les villes européennes pour le développement durable.