Pôle de compétitivité… touristique
« Nous n’avons pas été intégrés à ce projet. D’ailleurs, il ne nous concerne pas directement, il est très orienté DCN (1) ». A l’évocation du Pôle mer, Valérie Laffont, directrice régionale de la Fédération des industries nautiques (FIN), le syndicat professionnel de la branche, est un peu boudeuse. Même si elle jure ne garder « aucun regret » de ne pas avoir été impliquée au projet à vocation mondiale. Contrairement à ce qu’affirme la directrice de la FIN, de la gestion des anneaux, en passant par la sûreté sur et sous la mer, ainsi que le développement de l’industrie de réparation ou d’entretien des bateaux, le Pôle mer concerne également sur de nombreux points la plaisance. Et par extension, fait la part belle au tourisme.
Lancé il y a un peu plus d’un an par le Comité interministériel d’aménagement et de développement du territoire (Ciadt), en même temps que 66 autres projets (dont six internationaux et huit autres à vocation mondiale), le Pôle mer Paca vise à participer à la « libération de tout le potentiel de notre économie », au « renforcement de la compétitivité de nos entreprises » et à la construction d’une « véritable stratégie industrielle à l’exportation » (2). Pour ce faire, il s’articule autour de « deux axes » : la sécurité et la sûreté et le développement durable. « Avec son jumeau breton, ses objectifs sont de développer l’économie maritime avec une ambition internationale et de faire prendre conscience qu’elle est un grand gisement de croissance », précise Patrick Baraona, directeur de la structure installée à Toulon. Avec à la clé le maintien de 5000 emplois, la création de 3000 autres d’ici trois à cinq ans (3) et 200 millions d’euros d’investissement sur la période (4). « Le offshore pétrolier et les énergies renouvelables, le génie côtier, l’exploitation et la valorisation des ressources biologiques marines et l’ingénierie, la maintenance et les services navals, sont les autres domaines dans lesquels nous agirons », poursuit le directeur du Pôle. Deux « axes » semblent cependant réellement privilégiés : la sécurité et le tourisme. Le premier ayant même vocation à servir le second, comme le montre dans le magazine de la communauté urbaine Toulon Provence Méditerranée de cet été la présentation de la trentaine de projets labellisés à ce jour. Ainsi, « Capaseaty », porté par la DCN, travaille sur un « système de surveillance et d’intervention dédié à la sécurité maritime élargie incluant tous les types de risques, allant de la pollution accidentelle, à la prévention de trafics illicites en passant par les menaces terroristes ». « Et les catastrophes naturelles », précise Patrick Baraona. Plus de risque qu’un tsunami vienne nous pourrir une saison touristique ! Bien qu’il insiste sur l’importance, dans le projet, de faire travailler ensemble ses 210 membres (environ 150 industries et PME/PMI et une soixantaine de labos de recherche), le directeur du Pôle ne cache pas l’intérêt que celui-ci porte au tourisme. « Mesurer en temps réel et maîtriser la qualité des eaux de baignade peut permettre de rester compétitif par rapport à la Grèce ou à la Croatie », explique-t-il. Ca tombe bien, Véolia travaille sur le problème dans le cadre de l’axe du développement durable. Contrairement à ce qu’affirme Valérie Laffont, le Pôle mer s’intéresse également de près à la plaisance. « De nombreux bateaux appareillent chez nous : la Méditerranée est la première destination des yachts et il y a 57000 anneaux en Paca. Pourtant, les bateaux qui viennent chez nous vont se faire réparer en Italie. Le Pôle permet d’avoir une nouvelle réflexion stratégique sur la place que le nautisme et la grande plaisance peuvent gagner dans l’économie régionale, notamment concernant les domaines de la construction et de la réparation navales », s’enthousiasme Patrick Allemand, premier vice-président du Conseil régional en charge du développement économique.
Dernier signe de l’intérêt porté au tourisme, la recherche fondamentale a elle aussi été mise à contribution. Le laboratoire LMGEM du Centre Océanologique de Marseille s’intéresse ainsi à l’effet du rayonnement des ultraviolets sur les écosystèmes. Mais il n’est pas seul à mener le projet. Trois entreprises y participent également, dont la start-up Ilios Technologie qui envisage, à terme, de fabriquer des radios mesurant l’indice d’UV pour les vendre aux collectivités locales… et aux touristes. Directeur de recherche au CNRS et directeur du laboratoire, Richard Sempéré n’est en rien gêné par cette synergie. « Le Pôle mer à un triple intérêt pour les chercheurs : nous permettre de nous rencontrer, offrir aux étudiants qui le veulent d’intégrer le milieu industriel et nous donner de nouveaux moyens. La recherche en océanologie est de plus en plus dépendante des nouvelles technologies, explique-t-il. Avant, toutefois, d’ajouter une réserve. Même s’il est trop tôt pour faire un bilan, il va falloir être vigilant à la répartition des financements entre les entreprises et les laboratoires. »
Car en plus d’accentuer la pression touristique sur la région, le Pôle mer pourrait avoir un autre effet pervers, celui de répondre à un vieux fantasme des entreprises : mettre la recherche à leur disposition. Intention dont le Ciadt ne se cache même pas en réclamant « l’intégration la plus étroite possible de la recherche et de la production » (5).
Jean-François Poupelin