Vérité à retardement ?
L’Algérie veut en finir avec la guerre… et protéger son armée. C’est ainsi que l’on peut résumer le projet de charte pour la réconciliation, approuvée le 29 septembre : impunité pour les criminels des deux camps, indemnité pour les familles de disparus. Cette logique de blanchiment est connue de tous en Algérie et la sagesse populaire l’avait illustrée avec ironie lors de l’adoption de la loi sur la concorde civile en 1999 : la loi prévoyait que les islamistes repentis soient amnistiés s’ils n’avaient pas commis de crime de sang. Dès lors, on appela les repentis les « éplucheurs de patates ». Puisque tous étaient amnistiés, c’est qu’aucun n’avait de sang sur les mains : pendant leur séjour dans le maquis, leurs couteaux n’avaient donc apparemment servi qu’à éplucher les pommes de terre… Cette recherche de la vérité que l’Algérie s’apprête à ne pas faire n’est pourtant pas incompatible avec la réconciliation, bien au contraire. L’Afrique du Sud en a fourni l’exemple le plus abouti, avec sa commission Vérité et Réconciliation, mais d’autres pays sortant de guerres civiles ou de régimes autoritaires, notamment le Chili, parviennent tant bien que mal à rattraper la mémoire juste avant qu’elle ne s’éteigne. La campagne et le référendum algérien ne signifieraient alors peut-être que l’enfouissement de la vérité, et pas forcément son enterrement définitif.
Etienne Ballan