L’Ariane sur le fil du rasoir
Relégué au fin fond de la ville, coincé entre le cimetière de l’Est, l’usine d’incinération et la cimenterie Lafarge, le quartier de l’Ariane est mal aimé de Nice. A tel point que le tramway, initialement, devait s’arrêter à ses portes. C’eût été dommage, et ce d’autant plus qu’un indéniable effort est fait en faveur du quartier depuis 10 ans. Inscrit dans tout ce qui s’est fait en matière de politique de la ville, classé en ZEP, en ZFU, en zone franche, les nouveaux équipements publics s’y sont multipliés ces dernières années : une nouvelle maternelle, un gymnase, un centre socioculturel, un parc sur les hauteurs, etc. Pour rassurer les habitants, les élus de tous poils se sont battus pour que soit construit en plein c?ur du quartier un cantonnement de CRS et un commissariat ouvert toute la nuit. Et peu importe si les CRS n’ont légalement pas le droit d’intervenir à proximité de leur lieu de cantonnement…
Certes, la réhabilitation des logements sociaux, majoritaires sur le quartier (2500 sur un total de 4700 logements), ne suit pas le même rythme. Ainsi, le lotissement Saint-Pierre (454 logements gérés par l’OPAM), dont la réhabilitation est promise depuis 1998, continue à se dégrader. Dans certains immeubles du lotissement voués à la destruction, les deux premiers étages sont murés, renforçant encore le sentiment de désolation. « En 2001, explique Bruno Della Sudda, professeur au collège de l’Ariane et conseiller municipal d’opposition, une commission a été chargée par le Conseil municipal de suivre la réhabilitation du quartier. Elle s’est réunie pour la première fois cette année ».
Des progrès donc, mais ça pourrait être mieux. L’Ariane est aujourd’hui un quartier que ses habitants décrivent comme plutôt calme, mais auquel il manque quelque chose. Quoi ? De la vie peut-être.
Fuir le ghetto
Il y a quelques années encore, l’Ariane était maillée par un dense réseau d’associations qui parvenaient, tant bien que mal, à travailler ensemble et à créer un embryon de lien social dans ce recoin de Nice où atterrissent et cohabitent à peu près toutes les populations. Les mailles aujourd’hui se relâchent, et Abderrazak Fetnan, qui dirige l’association 4A, incrimine sans égards les pouvoirs publics et, surtout, la mairie de Nice. « Ils n’ont pas compris ce qu’est le lien social, qu’ils cantonnent au carnaval et aux repas de quartier. Depuis des années, la mairie s’emploie à écarter tous ceux qui tentent de développer une vision sociale, voire politique, du lien social ».
Quelques associations résistent néanmoins, comme l’APESE ou le Grain de sable, mais aucune d’elles n’est représentée dans le conseil de quartier, récemment mis en place. De même, on n’y retrouve guère de jeunes ni de femmes, et un seul arabe, dans un quartier dont la population pourtant est jeune, majoritairement féminine avec une forte proportion de personnes immigrées ou d’origine immigrée. On comprend mieux pourquoi cet organe de « démocratie participative » se réunit à huis clos, sauf lors des assemblées générales annuelles où le public est invité… à se taire. Parallèlement, Gérard Chevallier, ancien prof au collège, dresse un tableau pessimiste de la situation : « Chacun ne pense plus qu’à fuir, il n’y a plus de vie de quartier, chacun se repli sur soi et les communautés sur elles-mêmes ». Lui-même, après avoir enseigné et milité 32 ans sur le quartier, confesse une certaine désillusion, et ne pense plus qu’à trouver refuge dans l’arrière-pays niçois.
Repli ou ségrégation ?
Un lien social qui se délite, l’isolement, la misère : le terreau semble effectivement favorable à un repli communautaire et au développement d’une autre forme de lien social que celui, défaillant, que propose la République. L’islamisation par exemple. Chevalier en note les symptômes depuis 10 ans. Après la première guerre du Golfe par exemple, certains parents d’élèves ont commencé à réclamer de la viande hallal pour leurs enfants, alors qu’ils se contentaient jusque là de bannir la viande de porc. Depuis peu, certains élèves manifestent une défiance vis-à-vis de l’enseignement de l’anglais, langues des « impérialistes américains ». Dernièrement encore, des collégiens inscrivaient « il le dit » dans un coin de leurs cours, comme pour désacraliser la parole du prof. « Mais j’y vois plus un mélange de superstition et de religion, relativise Chevalier, cantonné qui plus est à un petit groupe d’élèves qui fréquentent la même salle de prière pour y suivre des cours d’arabe ». Méfiance également vis-à-vis d’une prétendue « explosion d’antisémitisme », qui ne dépasse guère le stage oral. Bien plus, tient à préciser Della Sudda, à l’initiative du Conseil général, 60 élèves de 3éme du collège de l’Ariane se sont rendus à Auschwitz en mai dernier, ce qui représente la plus forte délégation de tous les collèges du département.
Pour autant, Della Sudda reconnaît qu’un certain nombre de jeunes sont pris en charge par des « réseaux traditionalistes ». « C’est inquiétant, mais pas généralisable », tient-il cependant à préciser. Peut-on néanmoins parler de repli communautaire et d’islamisation, fut-elle rampante, du quartier ? « Les mosquées qui existent sur le quartier sont suffisamment solides pour ne pas se laisser déborder », nuance Abderrazak Fetnan. « Quand au repli communautaire, je préfère parler de ségrégation sociale et ethnique ». Et de mettre en cause l’absence de politique de mixité sociale à Nice, où l’OPAM se contente de reléguer à l’Ariane les populations que l’on ne veut pas voir en centre ville. Ça dérange moins les touristes…
Gilles Mortreux
(1) Chiffres contrat de ville 2000-2006. (2) Lire Le Ravi n° 9/juin 04.