Vidéosurveillance 2 : la suite d’un mauvais film
« Contre l’insécurité, ne cherchez pas d’instrument miraculeux hors du périmètre cinématographique et de la baguette d’Harry Potter ». La formule est signée José Allegrini, le sémillant adjoint marseillais délégué à la police municipale et au Contrat local de sécurité. Avocat de métier, il a plaidé, mi juillet devant les journalistes du cru, pour défendre le premier bilan officiel du dispositif « expérimental » de vidéosurveillance inauguré il y a 17 mois dans le quartier Noailles (1). L’heure n’est pas vraiment au triomphalisme. « Les plus grands détracteurs de ce projet avaient faussement investi une attente totale à l’égard des caméras pour mieux les décrier par la suite, explique l’élu. Elles ne sont qu’un moyen parmi d’autres dans la gamme de tous les moyens ». Même « le » chiffre censé valider la pertinence de l’expérimentation – « une baisse de 20% des faits constatés sur le secteur vidéo surveillé » – est présenté avec des pincettes : le dossier de presse précise que ce pourcentage, « flatteur mais fragile », doit être « considéré comme non représentatif sur une si petite zone »…
Comment interpréter tant de prudence, de modestie et de précautions ? S’agit-il de préparer les esprits à un mea culpa pour avoir investi 180 000 euros et obtenu un résultat aussi évanescent ? De décider de réorienter les 34 000 euros de fonctionnement annuel de manière plus efficace ? D’annoncer la fin d’une opération validée en novembre 2002 dans une joyeuse unanimité par la majorité municipale UMP et son opposition socialiste (seuls le PC et les Verts ont voté contre) ? Que nenni ! L’adjoint chargé de la sécurité, au c?ur de l’été, n’a pas hésité à troquer son uniforme de père fouettard pour le costume du père Noël en annonçant une « bonne » nouvelle : avant les fêtes de fin d’année, la rue Saint Ferréol, principale rue piétonne commerçante de la ville, sera placée à son tour, 6 jours sur 7, sous la « vidéo protection » de cinq caméras. Coût du dispositif, toujours présenté comme « expérimental » : 102 000 euros d’investissement et 48 500 euros de fonctionnement.
Un bilan plutôt flou
« Je ne sais pas comment M. Allegrini arrive à ce chiffre de 20 % de délinquance en moins dans le quartier », s’étonne Alain Corci. Avant le début de l’expérience, cet animateur d’Ensemble pour la sécurité et la citoyenneté (Desc), l’association des commerçants du quartier, avait pourtant déclaré, en décembre 2002, « les caméras, c’est mieux que rien ». Poissonnier dans la rue Longue des Capucins, il a vite déchanté. « Les délinquants agissent comme autrefois à visage découvert, explique-t-il. Pour prendre un seul exemple, depuis qu’une caméra est braquée 24 h sur 24 face au distributeur de billet rue Papère, il y a toujours autant de vols à la tire ». Noailles est connu dans la ville, et au-delà, pour le spectacle de ses marchands de cigarettes de contrebande. Les vendeurs à la sauvette, toujours aussi nombreux, y prospèrent plus que jamais alors que les prix du tabac ne cessent d’augmenter. « Si demain la délinquance à Marseille se limitait au trafic de cigarettes, ce serait le bonheur », se justifie José Allegrini tout en regrettant l’absence d’outils juridiques adaptés à une répression efficace.
Quoi qu’il en soit, l’aspect « dissuasif » des caméras, l’objectif numéro 1 proclamé, laisse dubitatif. Leur utilité pour « organiser la coordination de l’action » de la police « en temps réel », second volet visé par l’expérimentation, ne manque pas aussi d’interroger. « Même si les caméras repèrent quelque chose, le temps que la police arrive, lorsqu’elle arrive, il est toujours trop tard », regrette Alain Corci. Constat auquel Pierre Carton, directeur départemental de la sécurité publique, tente, tant bien que mal, de répondre : « La réactivité, ce n’est pas forcément l’immédiateté. Intervenir trop vite peut nuire à une enquête ». Reste la troisième et dernière « mission » allouée aux caméras : « stocker des images pour une exploitation judiciaire ultérieure ». Et là encore, les résultats sont… menus. Claude Cipolla, chargé de mission à la ville pour la vidéosurveillance, reconnaît lui-même qu’un tel usage s’est produit « une dizaine de fois en un an et demi » (2).
Une consultation virtuelle
Faute de pouvoir produire des statistiques éblouissantes, l’adjoint de Jean-Claude Gaudin, n’hésite pas à recourir à l’argument ultime et imparable : les caméras contribuent à la lutte « contre l’incivilité et pour la propreté » : « La vidéo protection nous a permis de mettre le doigt sur des plaies que les pudibonderies locales avaient camouflées sous le couvert de la petite délinquance de Noailles », s’enthousiasme enfin José Allegrini. 214 000 euros pour constater que les détritus encombrent les rues de Noailles ! « Comme avant, certaines personnes jettent tous les soirs leurs poubelles des fenêtres, confirme Alain Corci. Mais ils ne sont pas plus verbalisés qu’avant ». Damien Brochier ne décolère pas lui aussi : « Tant d’argent dépensé pour rien alors que lorsqu’on réclame une benne supplémentaire, on nous explique que c’est trop cher ! ». Membre du collectif « Noailles, ombres et lumières », il regrette surtout « l’absence totale de transparence et de démocratie participative » dans la gestion de ce dossier. « Lors de la seule réunion que la mairie a organisé avec les habitants du quartier, le 9 décembre 2002, Mr Allegrini avait affirmé avoir besoin de notre participation en promettant une concertation approfondie, explique-t-il. Nous avons bien été associés à deux rencontres avec le bureau d’étude Suretis, chargé par la mairie d’évaluer l’opération, mais on refuse de nous communiquer le rapport d’étape sous prétexte qu’il n’est que provisoire. L’expérience des caméras va donc être élargie en dehors de toute évaluation sérieuse, contradictoire et publique ».
En définitive, qui se réjouit de l’extension du dispositif ? Une certitude : le sujet ne fait pas l’unanimité dans les rangs de la police. « Les caméras peuvent être un outil utile à condition de ne pas réduire les effectifs, ce qui est pourtant le cas avec notamment l’abandon dans les faits de la police de proximité, regrette Joaquim Solanas, vice secrétaire départemental de l’Unsa-police. Il y a trois ans, deux policiers étaient affectés en permanence rue Saint Ferréol, tous les commerçants avaient leurs portables, ils ont procédé à de très belles arrestations. Leurs postes ont été supprimés et on va installer maintenant des caméras. Mieux vaut pourtant tenir un voleur sur le terrain que le regarder courir sur un écran ». Au final, 80 caméras pourraient être installées dans le centre ville à Marseille…
Michel Gairaud
(1) Lire notamment sur la vidéosurveillance notre article dans le N°5 du Ravi (2) Cité par Marie-Eve Barbier dans le N°197 de Marseille l’Hebdo