Ces genres de clichés

Dans la petite salle jeunesse du centre social des Bourrely, Inès Guedj-Kedadi, intervenante de l’association Batik International, tente d’avoir l’attention de la dizaine de jeunes présents ce mercredi après-midi des vacances d’hiver. Depuis le début de la semaine, elle aborde avec eux la thématique des inégalités et des discriminations et aujourd’hui elle vient parler de celles liées au genre. « Est-ce que ça vous dit quelque chose l’égalité filles-garçons ? », interroge l’intervenante. « Par exemple, si un garçon joue au foot c’est normal, si c’est une fille c’est un peu bizarre. C’est pas moi qui pense ça, mais c’est ce qui se dit… », explique Maria, 13 ans. « Les filles qui mettent des survêts aussi c’est bizarre », lance Sandès, 12 ans. « C’est comme les garçons qui portent des leggins », rigole Lyès,14 ans. « Sandès, on t’a déjà embêtée parce que tu mettais des survêts ? », interroge Sophie Bec, l’animatrice responsable du secteur jeunes. « J’avais droit à “Mais pourquoi tu t’habilles comme les garçons ?” Du coup j’ai arrêté de m’habiller comme ça », explique l’adolescente.

Parmi les jeunes présents cet après-midi, une majorité de filles, les garçons peu nombreux sont néanmoins ceux qui font le plus de bruit et qui prennent le plus de place pendant l’atelier. Lyès ne fait que parler. « A cause de lui, on n’a rien entendu à la vidéo », lancent les filles. Inès revient sur le mot « stéréotype » dont les jeunes ne saisissent pas le sens. Le mot « cliché » leur parle davantage. « Les clichés sont fabriqués par les gens… Vu qu’il n’y a pas assez de filles qui font du foot, les gens croient qu’elles ne savent pas jouer. Et vu que les filles sont celles qui portent le plus de robes, on croit que les garçons ne peuvent pas en mettre. C’est comme ça la vie », tente d’expliquer Sandès. L’intervenante souligne qu’il existe des équipes internationales féminines de foot. « Euh… désolée mais personne ne regarde le foot féminin ! », rétorque Sandès. « Si, moi », intervient Lyès qui, malgré son brouhaha permanent, écoute, semble-t-il. « Est-ce que vous pensez que c’est bien d’entretenir toutes ces idées reçues ? », questionne l’intervenante. Lyès a son avis sur la question : « Oui c’est bien car il ne faut pas confondre garçons-filles sinon quand on sera majeurs il y aura des problèmes de contraception. »

La discussion se poursuit autour d’un court métrage réalisé par des collégiens sur cette même égalité de genre. « Moi j’ai compris que dans le film c’est la fille qui drague le garçon alors que normalement c’est aux garçons de faire le premier pas », lance Lyès. Marwa, 11 ans, n’est pas d’accord : « La fille a autant le droit que le garçon ! » Un autre débat – que l’on pensait d’une autre époque – s’organise autour du port du jean. « Les jeans c’est pour les garçons ! », soutient Lyès que l’on soupçonne de faire un peu de provoc… « Dans la vidéo, si vous remarquez, au départ la fille porte une jupe et elle se fait insulter. Vous en pensez quoi ? », demande l’intervenante. « C e n’est pas normal, les garçons ne doivent pas harceler une fille par rapport à ses vêtements », souligne Maria.

La dernière vidéo vient questionner la place des filles dans la cour de récréation. Celles du groupe reconnaissent qu’elles restent sur le côté. « De toute façon on n’a pas droit au ballon », se désole Sandès. « Avec ou sans ballon, tout le monde a le droit d’être au milieu ! Ce n’est pas juste », s’énerve Marwa. « C’est nous qui voulons être sur le côté, pour être tranquilles », assure Maria. « Pour vous, toutes ces idées reçues qui sont véhiculées sur les filles et les garçons, quelles conséquences cela peut avoir ? », tente de faire réagir l’intervenante. « Ça peut aller loin », avance Marwa. L’adolescente s’explique : « Si par exemple on dit à un garçon qu’il ne doit pas pleurer alors qu’il a besoin de pleurer, ben ça peut conduire au suicide. » Inès rappelle qu’effectivement les garçons sont moins enclins à exprimer leurs émotions et qu’en France le taux de suicide chez les hommes est plus élevé que chez les femmes. « Alors que nous on se lâche un peu plus », acquiesce Sandès.

De toutes ces idées reçues, l’intervenante explique qu’il existe une autre conséquence : le fait qu’à travail égal, les femmes soient moins payées que les hommes. Ce qui met Sandès hors d’elle : « Quoi ? Alors qu’on travaille autant ! C’est vraiment injuste. » Et Marwa de conclure : « Mais c’est au président de changer ça ! »

« L’association s’appelle Batik International, elle a été fondée en 1998 par deux petites filles d’immigrés et elle a pour objectif de faire dialoguer différentes cultures et de tisser des liens. Les projets se font plutôt à l’international pour aider les femmes victimes de violences au Maghreb et au Vietnam. Et en France, on a plutôt un volet sur l’aide aux personnes migrantes. L’idée est de valoriser leurs parcours. Avec aussi accès aux droits et aide juridique. Moi je travaille sur le projet “Migr’action” qui favorise l’insertion professionnelle des personnes réfugiées en zone rurale dans l’agriculture en Normandie. Dans le cadre de notre autre projet “Déchiffrons les mémoires”, nous animons des ateliers de sensibilisation sur la thématique des inégalités et des discriminations. C’est la première fois que nous intervenons à Marseille. »