Patrick et Patrick voient l’avenir en rose

avril 2006
Une ville de droite prête à se donner à la gauche ! Parmi les obstacles à franchir : la guerre de tranchée à laquelle se livrent les socialistes Patrick Mottard et Patrick Allemand pour obtenir le leadership. Pour quel projet ?

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« Si quelqu’un m’avait dit, il y a dix ans, ″la ville est à notre portée″, je lui aurais répondu ″vous êtes un doux rêveur″. » Paul Cuturello, conseiller général et conseiller municipal, sait de quoi il parle ! En 1995, il conduisait la liste du parti socialiste aux élections municipales. Résultat : 18 % des suffrages et l’élection de Jacques Peyrat. En 2008, le jeu sera beaucoup plus serré. Et c’est le grand paradoxe des prochaines élections municipales en Paca : Nice, la plus conservatrice des grandes villes de la Région, est celle où les chances de la gauche s’annoncent les plus élevées. « Rien n’est joué, prédit Paul Cuturello dans la mairie tant convoitée où il siège comme conseiller d’opposition avec le groupe Nice plurielle (PS, Vert, PC, Alternatifs). Mais le seul fait de pouvoir dire ″rien n’est joué″, c’est déjà quelque chose. Imaginez ! Lors des dernières régionales, Michel Vauzelle avec son discours alter mondialiste est arrivé en tête à Nice fort de 45 % des voix. Pourtant la ville reste, pour le moment, majoritairement à droite. »

Une ville de droite prête à se donner à la gauche ? Est-ce bien raisonnable ? Le scénario est néanmoins pris très au sérieux même par ceux qui souhaitent de toute leur force le conjurer. A l’image de Ruddy Salles, député, conseiller régional et président de l’UDF des Alpes Maritimes : « en dix ans, la moitié des cantons sont passés à gauche, déplore-t-il. Les électeurs de droite n’ont plus peur de voter socialiste pour sanctionner Peyrat, son système, ses méthodes de gestion, les errements de sa politique. Même s’il a quitté le Front national, il n’a jamais changé d’idées. » Mais avant que la promenade des Anglais passe sous pavillon socialiste, il faudra d’abord régler quelques détails : établir un programme pour tenter de transformer un vote de rejet en vote d’adhésion ; trouver le ton juste pour fédérer l’électorat « naturel » et des suffrages nettement moins progressistes sans lesquels une alternance ne sera pas possible ; déterminer, enfin, la bonne locomotive pour franchir en premier la ligne d’arrivée.

A ma gauche, Patrick Allemand, 46 ans, premier vice-président au Conseil régional, conseiller général, président de la fédération socialiste des Alpes Maritimes. A ma gauche également, Patrick Mottard, 54 ans, conseiller général, conseiller municipal, président socialiste du groupe d’opposition Nice plurielle au conseil municipal. Ils martèlent chacun avec force leur volonté de porter les couleurs socialistes en 2008. L’un des deux est en trop et aucun n’a envie de laisser passer sa chance. Mais au fait, qu’est-ce qui les distingue ? « Patrick a une approche plus institutionnelle sans doute parce qu’il est un élu régional », explique Patrick Mottard, leader de la liste PS de Nice Plurielle, à laquelle il a manqué 3000 voix en 2001 pour battre Jacques Peyrat. Dans sa permanence du 5ème canton, rue Cyrille Besset, le professeur de droit poursuit : « la politique est sérieusement ébranlée. Pour la réhabiliter, je souhaite que les élus ne soient pas que des politiques professionnels. Ce n’est pas mon cas. Et c’est ce qui nous distingue particulièrement avec Patrick Allemand. » 00rv29charmag_nice_gauche.jpg

Autre lieu, autre homme. Au troisième étage de l’Hôtel de Région à Marseille, Patrick Allemand est persuadé que « l’affaire des deux Patrick » n’intéresse que les journalistes. Mais accepte volontiers de l’évoquer : « mon mandat à la Région ne m’éloigne pas de ma ville, bien au contraire. A Marseille, je défends Nice. J’y passe l’essentiel de mon temps, sur le terrain, à l’écoute des gens, j’y fais du porte à porte. Ce qui me distingue, c’est une vision différente de la gestion d’une ville. Nice a besoin d’un grand dessein. Et pour la séduire il faudra construire une liste qui respire la ville. Pas une addition de représentants de structures politiques. Quant à ceux qui pensent que la priorité est de jouer la carte du désamour de Jacques Peyrat, ils risquent d’être cocu. » Patrick et Patrick s’accordent parfois : sur l’urgence, par exemple, de s’emparer de dossiers comme le logement, devenu totalement prohibitif pour les classes populaires et moyennes… « Il faut booster l’économie de Nice, rendre la ville plus gaie, plus culturelle, moins provinciale, moins endormie », plaide Patrick Motttard. « Il faut que les niçois soient à nouveau fiers de leur ville. Ils ont, à juste titre, le sentiment qu’elle est en déclin et qu’on y vit de plus en plus mal », défend Patrick Allemand.

Il sera sans doute nécessaire d’attendre que les élections présidentielles et les législatives, programmées en 2007, soient passées pour que les militants socialistes départagent les deux prétendants. « Evitons les débordements préjudiciables à tout le monde », plaide Paul Cuturello. Le PCF, les Verts et les Alternatifs devront se positionner. Joseph Ciccolini, militant associatif « divers gauche » qui avait conduit une liste divers gauche en 2001 (4,72 % au 1er tour) a déjà choisi son camp. « Je force un peu le trait mais entre le technocrate et l’apparatchik, je choisis le premier, souligne l’avocat, depuis son bureau situé juste en face du palais de Justice. Patrick Allemand est travailleur, à l’écoute, il n’a pas la science infuse, il a des convictions. A l’inverse, si la locomotive n’est pas la bonne, je ne monterai pas dans le train. Il y a pourtant urgence à avancer. »

Teresa Maffeis, animatrice de l’ADN (association pour la démocratie à Nice), observe toutes ces man?uvres avec plus de distance. « Tout le monde souhaite que je figure sur une liste de gauche, s’amuse-t-elle, attablée au bar de la Bourse dans le vieux Nice. Patrick Mottard est peut-être trop gentil. Les gens ont besoin d’un père autoritaire. Patrick Allemand est sans doute plus déterminé et il possède les leviers financiers que lui procure son mandat à la Région. Si j’étais sur la liste de l’un ou l’autre, me laisseraient-ils dans un meeting réclamer des centres d’accueils pour les démunis, la régularisation des sans papiers, la mixité sociale partout ? Ils me couperaient le micro car ils savent que les Niçois ne voteraient pas pour eux sur de telles bases. »

Teresa Maffeis affirme envisager, si nécessaire, de se lancer dans une candidature de témoignage « à la Coluche ». Sans en attendre rien de précis. « Si Christian Estrosi se présente, même pas la peine d’aller voter à gauche, est-elle convaincue. Ce serait un raz-de-marée. Estrosi représente le pouvoir. Il est ministre, préside le Conseil général, c’est un pote à Sarkozy, le candidat rêvé pour Nice. » Hypothèse à laquelle ne croit guère Patrick Mottard : « Il est au chaud au Conseil général où il peut faire beaucoup de clientélisme sans trop s’exposer. Il a des ambitions loin de Nice qu’il délaisse volontiers. » Et perspective que Patrick Allemand affirme ne pas redouter : « bien sûr, il y a des candidats plus faciles à battre que d’autres. Mais Estrosi ou non, cela ne change pas ma manière de penser. » Une même certitude pour Patrick et Patrick : Jacques Peyrat, 77 ans en 2008, semble déjà appartenir au passé…

Michel Gairaud

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