Tradition locale
Depuis 2001, Nice semble retrouver ses vives couleurs d’antan. A l’image de la fin de règne de Jacques Médecin, le second mandat de Jacques Peyrat, maire (UMP, ex-FN) depuis 1995, est miné par les affaires. Michel Vialatte, ancien directeur général des service s de la Ville de Nice, a ainsi été condamné à la prison en 2004 pour avoir truqué, contre une grosse enveloppe, le marché du grand stade du Ray ; de son côté, Dominique Monleau, conseiller municipal de la majorité, est poursuivi depuis 2005 pour corruption avouée dans le cadre de l’attribution d’un marché public du futur tramway. Mais rendons à César ce qui lui appartient : Jacques Peyrat lui-même est toujours embourbé dans une histoire de favoritisme au profit d’Antoine Genovese, son ancien chauffeur reconverti en homme d’affaires plutôt foireuses (1) .
Avec sa récente mise en examen pour « prise illégale d’intérêt », Anne-Marie Vaille, responsable du département presse et médias de la Ville, passerait même pour le canard boiteux de la bande. Car ce sont bien les affaires liées à la passation des marchés publics niçois qui empoisonnent toujours la vie de « Nissa la bella ». « [Elles] sont apparemment le talon d’Achille de la municipalité et l’on peut se demander comment leur contrôle est assuré » (2) s’inquiétait d’ailleurs le procureur Eric de Montgolfier l’année dernière. Il y avait de quoi. A peu près à la même période, une juge, vice-présidente du tribunal administratif de Nice chargée des collectivités locales et des marchés publics, était mutée et rétrogradée (3) .
Malgré ce climat judiciaire digne de l’ère Médecin, le représentant du ministère public refuse cependant de voir dans cette multiplication d’affaires politico-financières la persistance d’un système. Pour lui, la corruption à Nice serait plutôt une affaire de tradition. « La ville est située sur le bassin méditerranéen. Il y existe un tropisme culturel, presque de civilisation, celui de l’arrangement, qui la rattache à la Grèce, à Rome, à la Sicile, à l’Italie », nous explique Eric de Montgolfier. Et de prédire que, malgré les attentes des Niçois, cette pratique est installée pour encore plusieurs décennies. « On a des habitudes qui persistent. Au début, je disais qu’il faudrait dix ans pour voir la situation changer. Aujourd’hui, je dis volontiers trente ans », poursuit le procureur. Sans préciser si de nouvelles instructions sont en cours.
C’est bien ce que redoutent certains avocats du barreau de la cinquième ville de France. Mais pour eux, le procureur n’est pas exempt de toute responsabilité dans cette situation. A l’image de Me Joseph Ciccollini, ils lui reprochent même d’être plutôt attentiste sur un dossier pourtant brûlant. « C’est très bien, il a fait partir les parasites, mais on pensait qu’il passerait à autre chose, qu’il irait plus loin que ses déclarations d’intention ! », s’emporte ainsi l’avocat niçois, désormais proche du socialiste Patrick Allemand. Nous sommes dans une phase de passage de gros marchés, et alors que la situation demande de la vigilance les affaires sortent par hasard. » Ce sont en effet les écoutes téléphoniques d’un juge parisien, sur un tout autre dossier, qui ont permis de confondre Michel Vialatte. Quant à Dominique Monleau, il a fallu attendre que l’entreprise bénéficiaire du marché, Thalès (ex-Thomson), dénonce deux de ses cadres mouillés pour qu’il tombe.
Imperméable à ces critiques, Eric de Montgolfier renvoie ses détracteurs à la situation politique locale : « Les Niçois ont envie que les choses bougent. Mais la solution n’est pas dans le palais de justice, elle est dans les urnes. »
Jean-François Poupelin