A l'Estaque le Fidep fait des chichis
Fidep contre Fidep. Présidente contre présidente. Avocat contre avocat. Rien ne va plus du côté de l’Estaque ! Depuis 2011, le « village » au nord de Marseille accueille en septembre, entre chichis et panisses, le savoureux Festival international du dessin de presse, de la caricature et de la satire. Des dessinateurs y viennent de toute la France, et au-delà de l’autre côté de la Méditerranée, pour y fêter la liberté d’en rire.
Son fondateur et directeur artistique, le dessinateur Fathy Bourayou, bien connu des lecteurs du Ravi, a fuit l’Algérie martyrisée par les militaires au pouvoir et les attentats du GIA, le Groupe islamique armé. « Ce festival je l’ai créé pour rendre hommage à ceux qui sont tombés le crayon à la main », martèle-t-il. Comme Tignous, primé au Fidep en 2014 avant d’être tué l’année suivante à Charlie Hebdo. Sept ans après, c’est un autre « attentat » que Fathy dénonce avec véhémence : « Ils sont en train de détruire un beau projet. C’est pire que Daech. A l’Estaque, on m’appelle le blédard et j’en suis fier. Ils veulent se débarrasser de l’Arabe. Je suis l’homme à abattre. »
Fathy fatigue ?
Ils ? Le bureau et le conseil d’administration du Fidep, issus de l’Assemblée générale du 2 juillet dernier. « Fathy n’arrive pas à se rendre compte que le Fidep, ce n’est pas lui, affirme Marie-Prost Coletta, la nouvelle présidente. Le comportement de Fathy est irrationnel. On est venu me chercher pour mettre de l’ordre dans la partie gestion. J’ai accepté pour sauver la 10ème édition. Jusqu’à présent les présidents étaient des briquets jetables. » Aux côtés de cette néo-marseillaise installée depuis trois ans à l’Estaque, il y aussi des historiques. Comme le vice-président, Bernard Aubert, fondateur de la Fiesta des Suds. Ou Rosy Inaudi, secrétaire : « Fathy a été invité systématiquement à nos réunions mais conteste notre légitimité. » Ou comme Bertrand Daullé, dessinateur marseillais : « Fathy fatigue tous les élus avec lesquels il doit travailler et a déjà usé six présidents. »
Malgré les tensions croissantes, le 10ème festival a bien eu lieu en septembre dernier. Tous s’en félicitent avec au bilan 50 dessinateurs invités, 2500 visiteurs. Mais à l’automne, la rémunération tardive des ateliers réalisés par les dessinateurs dans les établissements scolaires déchaîne les passions. « Fathy a pris des initiatives qui ne relèvent pas de sa fonction sans en référer au conseil d’administration et donc sans son accord », explique par mail Marie-Prost Coletta. Son CDD se termine le 28 février et le nouveau bureau lui reproche son absentéisme…
Le 10 novembre dernier, coup de théâtre : une AG extraordinaire, contestant la légalité de la précédente, désigne un nouveau bureau en élisant une autre présidente, Nadia El Kaabi, à la tête d’un Fidep officiel, lui aussi déposé en préfecture. « Fathy n’est pas gestionnaire, ni comptable mais il est le directeur artistique visionnaire d’un festival qu’il a eu le courage d’organiser et dont on veut le dépouiller, affirme-t-elle. Et maintenant la présidente issue d’une AG illégitime ne veut pas renouveler son contrat sous prétexte qu’il ne fiche rien. C’est inacceptable ! »
Manœuvres macronistes ?
Le blocage est total. Deux associations revendiquent le même festival, le même compte en banque, les mêmes subventions, les mêmes adhérents. Le Fidep version « Prost-Coletta » a porté plainte pour « tentative d’escroquerie » en dénonçant « un véritable coup d’État ». Celui version « El Kaabi » réclame en référé, avec Christian Méjean, avocat pénaliste, qu’on lui restitue les comptes, les archives, les expositions. Mais ce n’est pas tout ! Fathy et ses amis dénoncent aussi une manœuvre politique. « Marie Prost-Coletta se sert du tremplin associatif pour infiltrer le tissu social du quartier. Ils prennent le Fidep pour économiser 10 ans de pratique de terrain », assène Monique Garnerone, secrétaire élue par l’AG du 10 novembre. Ce que Fathy explicite : « Prost-Coletta est une activiste macroniste. »
Ancienne déléguée ministérielle à l’accessibilité, elle s’est en effet fortement engagée à plusieurs reprises auprès du parti présidentiel : aux côtés de Saïd Ahamada, devenu député de la circonscription où se trouve l’Estaque, puis en faveur de Sylvie Brunet aux européennes, puis sur les listes d’Yvon Berland, candidat LREM lors des municipales marseillaises, puis en soutenant aux départementales un tandem de marcheurs. « Je ne suis pas macroniste !, dément-elle malgré tout. Depuis que je m’occupe du Fidep, je me suis retirée. »
Vraiment politique, la crise du Fidep ? « J’ai en effet soutenu Saïd Ahamada, jeune candidat, dont je me sentais plus proche que le député sortant », reconnaît seulement Marie Prost-Coletta. Un certain Henri Jibrayel (PS) pour lequel Fathy Bourayou ne cache pas sa sympathie : « Au-delà des casseroles [plusieurs mises en examen, Ndlr], Jibrayel et son fils m’ont toujours soutenu. Je vois le côté humain. » Et Prost-Coletta d’assurer de son côté : « Maintenant je vote seulement Fidep ! Quoi que si Ahamada fait face à nouveau à la peroxydée (Sophie Grech, RN, candidate de l’extrême droite en 2017, Ndlr)… »
En attendant les élections, le feuilleton Fidep est loin d’être terminé. Une pétition « Non au Fidep sans Fathy » tourne sur change.org. Une nouvelle AG du Fidep « Prost-Coletta » doit avoir lieu le 4 février. Et Fathy joue une nouvelle carte : il a déposé à l’Institut national de la propriété industrielle la marque Fidep et son logo. « Des villes – Cannes, Carry-le-Rouet, Septème-les-Vallons – m’ont déjà proposé de venir. Je peux prendre mon festival et partir ailleurs. Mais les habitants de l’Estaque seraient perdants… » Les meilleures blagues ont une fin ?