Grande Tchatche avec Robert Guédiguian
Le plus marseillais des cinéastes est un parfait métèque. Preuve, s’il en fallait, que Robert Guédiguian est un pur marseillais. Sauf pour ceux qui ont réussi la prouesse – totalement idiote – de ne jamais voir l’un de ses nombreux films qui s’y déroulent, on ne révèle pas de secret en rappelant que son quartier c’est l’Estaque. Il y a grandi.
Il est né de la rencontre improbable entre un père arménien et une mère allemande. On le traite parfois de « sale boche » à l’école ! Lui est un ouvrier sur les chantiers navals. Elle fait des ménages. Un fils de prolos cinéaste, c’est plus que rare sur la Croisette un jour de festival de Cannes !
Le tapis rouge qui conduit Robert Guédiguian à faire des films c’est la politique. Et l’amour. Un instit charismatique, Albin Meylan, le père de Gérard, l’un de ses acteurs familiers, l’initie au communisme. Il adhère au PC à 14 ans. Quand 68 éclate, encore collégien, il est déjà engagé.
Mais sa révolution a lieu en 73, à la fac de sciences sociales à Aix-en-Provence, lors de ses 19 ans, lorsqu’une syndicaliste de l’Unef le séduit : Ariane Ascaride. Sa future femme. Et notre Ariane, l’actrice au cœur de la quasi totalité de ses films.
Pour ses 20 ans, en 70, il la suit à Paris où elle entre au conservatoire. Il y rencontre René Féret, cinéaste dont il signe un scénario, avant de réaliser les siens dès le début des années 80.
Et la politique dans tout ça ? Il y reste fidèle, comme à son idéal communiste, même s’il claque très vite la porte du parti lorsqu’il renonce, en 77, au programme commun. Comme il reste fidèle à l’Estaque et à Marseille, toujours au centre de sa filmographie, même s’il vit à Montreuil et travaille à Paris où il a co-fondé Agat films, société collective de production atypique bataillant pour faire vivre le cinéma d’auteur.
Il sort, le 5 janvier, son 22ème film. Et le 4ème qui n’est pas tourné à Marseille : Twist à Bamako, sur un épisode clef de l’histoire du Mali et de la décolonisation. Il y est bien sûr question de politique… Et d’amour…
Il publie aussi, aux Liens qui libèrent, un livre d’entretien qui sonne comme une alerte, à quatre mois d’une élection où l’extrême centre droit, la droite extrême et l’extrême droite se disputent une présidentielle où les gauches sont pour l’instant inaudibles. Son titre : Les lendemains chanteront-ils encore ? Partageons avec lui un moment… forcément communiste !
Michel Gairaud
le Ravi : Pourquoi avoir tourné votre 22ème et nouveau film, Twist à Bamako, en Afrique ?
Robert Guédiguian : C’est une idée de cinéma qui m’est venue quand j’ai vu les photos de Malick Sidibé. Il a fait de grandes expositions et a eu le Lion d’Or à la biennale de Venise. Il photographiait énormément de talents dans ce moment d’indépendance (Twist à Bamako se déroule au Mali en 1962, Ndlr). Les corps se libèrent par la danse. Tout le monde va danser le soir. Même les militaires enlèvent leur treillis pour mettre des costumes extravagants dans les clubs de Bamako. Dans ces années-là, on évalue à 200 le nombre de clubs dans la capitale. La ville entière était une fête permanente. Il faut voir les photos de Sidibé. Elles montrent des gens désarticulés qui descendent jusqu’au sol avec une souplesse très belle. Je les ai vues et j’ai compris que cette fête était reliée à l’indépendance. Ce moment me rappelle la tentative de construire un socialisme panafricain par Modibo Keïta. Il est le précurseur de Thomas Sankara et dans les lignées des grands dirigeants africains non corrompus qui ont essayé de bâtir un socialisme pour sortir du néocolonialisme. Ça m’a paru alors évident qu’il fallait que je fasse le film. J’ai dit à mon ami et coproducteur que si on met un jeune homme militant à ce moment-là, idéaliste, qui va danser tous les soirs, je m’y retrouve. Je vais parler de ma jeunesse tout simplement. C’est un jeune homme qui a tout lu, de Aimé Césaire et Frantz Fanon.
« La lutte des classes c’est universel »
La question de l’appropriation culturelle va vous être forcément opposée…
Ce n’est pas une appropriation culturelle, cette histoire est à moi comme toutes les histoires du monde. Évidemment que Tchekhov appartient aux Africains et que les grands auteurs africains m’appartiennent. Au nom de quoi l’histoire d’un être humain sur la planète n’est pas la mienne ? Je partage en ce moment l’histoire des Ouïghours ou l’histoire des Rohingyas car j’ai toujours été internationaliste. Ce qui est universel c’est l’internationalisme, ce qui n’est pas du tout la négation des particularités. C’est une dialectique : l’universel n’existe que dans la concrétisation du particulier. Tout ce qui est de l’ordre de la lutte des classes pour moi c’est universel. Je me sens à l’aise pour me battre contre toute forme d’asservissement qu’elle soit due aux puissances coloniales ou qu’elle soit interne à l’Afrique. Si vous voulez savoir si ce film est juste ou injuste du point de vue de la réalité africaine de ces années et des répercussions sur ce qu’on peut penser de l’Afrique d’aujourd’hui, il faut voir le film. Jugez le film, ne jugez pas le fait que c’est un homme blanc qui l’a réalisé avec que des acteurs noirs. J’ai travaillé avec une équipe à 80 % sénégalaise qui est enchantée du film et qui se fout éperdument que le réalisateur soit blanc.
Vous publiez aussi un livre d’entretien politique, Les lendemains chanteront-ils encore ?. Quel regard portez-vous sur l’actualité politique à quelques mois de l’élection présidentielle ?
On est dans un moment à la fois tragique et crucial pour la gauche. Il faut absolument que quelque chose se refonde, qu’on tienne compte à la fois des fragments du peuple et de sa diversité. Car le peuple avec un grand « P » n’existe pas, ce sont plein de petits bouts de peuple avec des sensibilités différentes. Les variétés de religion ou d’orientation sexuelle sont ses richesses. Cette diversité ne peut pas être représentée par un seul parti. Il y a trente ou quarante ans je croyais au Parti communiste avec les théories léninistes et trotskystes. Mais aujourd’hui je crois qu’il faut que quelque chose se refonde avec une union extrêmement large et diversifiée qui représente l’ensemble de ces bouts de peuple.
Êtes-vous en rupture avec Jean-Luc Mélenchon qui préfère s’adresser au peuple que fédérer la gauche ?
Pendant un certain temps, les Insoumis ont pensé qu’il y avait une opposition entre les 90 % du pays et les 10 % de personnes les plus riches. Je n’y crois pas. Jusqu’à la dernière élection présidentielle, la stratégie de Jean-Luc Mélenchon (que Guédiguian a soutenu en 2011 et 2017, Ndlr) a été de réunir autour de lui le plus largement possible dans quelque chose qu’il appelait une nébuleuse, un collectif, un mouvement. Ça a donné un résultat très fort. C’est quand même le monsieur qui a obtenu un résultat frôlant les 20 ! Sociologiquement, il a remis en marche la dynamique du Parti communiste des années 70, fédérant des gens radicaux et anticapitalistes. Mais il y a eu une erreur stratégique. Après ces résultats il aurait pu devenir le leader de toute la gauche. Les élections législatives ont suivi et il n’a pas misé sur la diversification. S’il l’avait fait, il aurait été comme Mitterrand quarante ans en arrière. C’est mon point de désaccord. Après je suis Jean-Luc Mélenchon sur d’autres sujets. D’ailleurs, à ce jour, les Insoumis (sous la bannière de l’Union populaire, Ndlr) c’est le seul mouvement avec un programme.
« Le peuple n’a pas forcément raison »
Vous dites qu’« il n’y a de populisme que de droite ».
Oui, je crois. Au fond le populisme c’est quoi ? Ce n’est pas de confronter sa position, ses idées, son programme, au peuple. C’est voir ce que le peuple pense comme une espèce de sondage général et aller dans ce sens. Par exemple, aujourd’hui on suppose que le peuple a un souci avec l’immigration donc tout le monde se met à en parler. Idem avec la sécurité. Mais ça devient grave : on a vu le secrétaire général du Parti communiste (Fabien Roussel, Ndlr) manifester avec des policiers. Non pas qu’un assassinat de policier ne soit pas grave et tragique mais on ne va pas manifester avec des policiers (derrière le syndicat de droite Alliance, Ndlr) qui contestent l’institution de la justice et le principe de séparation des pouvoirs en se dirigeant vers l’Assemblée nationale. Typiquement quand Fabien Roussel fait ça, c’est un geste populiste, et oui c’est de droite. Un communiste confronte ses positions et tente de convaincre le peuple d’aller dans son sens en lui montrant ses intérêts. Comme on disait avant, on essaie de débarrasser le peuple de ses illusions, voire de son aliénation puisque le peuple n’a pas forcément raison. Les peuples ont voté Hitler et Mussolini. Donc je m’en fous de l’avis du peuple ! C’est comme dans le cinéma : le public peut avoir bon goût ou très mauvais goût. Donc il ne faut pas avoir le culte du verdict populaire même s’il faut faire avec. Montesquieu disait “Il faut tout faire pour le peuple sans rien attendre de lui”. En voilà une belle formule !
Pourquoi selon vous, appeler à une union de la gauche est à la fois une position idéaliste et réaliste ?
L’union de la gauche est idéaliste car c’est vers là qu’il faut aller. Comme disait Jaurès, il faut aller à l’idéal. Mais pourquoi réaliste ? Car il faut comprendre le réel. Et le réel de la gauche telle qu’elle est structurée n’est pas propice à se réunir. Dans mon livre, j’appelle à l’union de la gauche de manière générale, théorique et abstraite. Mais je ne veux pas spécialement que tous les partis se réunissent. Déjà le Parti socialiste est mort. Malgré la candidature d’Anne Hidalgo, c’est un parti très défaillant et qui est au bord du gouffre. Ce sont les élus locaux qui le maintiennent comme le Parti communiste qui est perdu depuis 30 ans déjà. Ils survivent comme des monuments historiques avec des résultats dérisoires. Il faut refonder l’union de la gauche mais pas forcément avec ces partis-là. J’aurais aimé voir les gilets jaunes former un nouveau parti. Les Insoumis sont les derniers arrivés mais il peut y en avoir d’autres.
Et l’union des idées ?
Le premier verrou à faire sauter en France c’est évidemment la Vème République ou en tout cas le régime présidentiel, cette “monarchie constitutionnelle” où la continuité de la France se fait par le corps du Président de la République. Bien entendu c’est ridicule : pas plus Hollande que Macron ne sont le corps de la France ! Le régime parlementaire est bien mieux. D’ailleurs les régimes présidentiels n’existent quasiment pas en Europe, ils sont tous parlementaires. Ils ne sont pas plus instables que nous, ne vivent pas moins bien que nous. La démocratie fonctionne probablement mieux en Allemagne, en Italie, en Espagne qu’en France.
« Le programme de Mélenchon est celui que je préfère ! »
Vous retrouvez-vous toujours dans le programme de l’avenir en commun ?
J’étais au congrès fondateur du Front de gauche. C’est d’ailleurs un terme qui me plaît, on comprend qu’il y a plusieurs partis côte à côte qui font front à l’adversaire de droite. J’ai beaucoup espéré de ce Front de gauche. Dès qu’il y a une union j’espère. Ça a commencé avec le programme en commun en 1972 puis le Front de gauche dont je rêvais depuis longtemps. La division en deux du Parti socialiste était logique. Il y a une tendance historique extrêmement à gauche des socialistes surtout dans le Nord de la France. Je pensais que beaucoup allaient suivre le Front de gauche mais je me trompais, Jean-Luc Mélenchon est parti un peu tout seul. Des gens qui étaient dans la tendance d’Henri Emmanuelli auraient pu le suivre et des choses auraient sûrement changé. Je revendique de l’avoir soutenu. Aujourd’hui, après la présidentielle de 2017, je suis en désaccord stratégique. Plus stratégique que sur le fond. Mais bien entendu que son programme est celui que je préfère ! Tous les gens qui sont autour de Mélenchon sont désespérés ! On ne sait plus quoi faire. A la France insoumise, il y a toujours cette idée de pouvoir gagner seul. Et seuls ils ne gagneront pas. Ils vont dans le mur.
Êtes-vous partisan de la primaire populaire qui espère, en janvier, recoller les morceaux à gauche et chez les écologistes ?
Toutes les démarches qui vont dans le sens de la primaire populaire me plaisent. Ce sont des gestes pour essayer désespérément de faire exister une alternative de gauche forte, radicale, écologiste et sociale. En même temps cette initiative est prisonnière de l’élection de fait puisque c’est pour élire un candidat qui aurait la majorité mais toujours en restant dans un régime présidentiel. Gérard Mordillat, qui est un vieux camarade, disait ”boycottons l’élection présidentielle et faisons une union plus large pour les législatives”. C’est un scénario de politique-fiction mais c’est assez intéressant.
Vous êtes aussi convaincu que « le nationalisme est l’ennemi de toutes les révolutions »…
Dans l’histoire, le nationalisme et le racisme qui l’accompagne sont d’abord la haine des autres. La grande faillite du mouvement ouvrier, sur laquelle j’ai travaillé pendant plusieurs années, c’est la Première Guerre mondiale. Jean Jaurès est assassiné et les gens qui s’opposent à la guerre sont Rosa Luxembourg, Lénine. Tous les partis socialistes d’Europe se précipitent pour voter les crédits de guerre. En fait, ils défendaient les intérêts de tous les groupes capitalistes de l’époque. C’était une guerre abjecte de “brigandage impérialiste” disait Lénine. Voilà le résultat du nationalisme. Donc aujourd’hui, appuyer en permanence sur ce bouton c’est la dernière chose qu’ont trouvé les théoriciens de droite pour sauver le régime et se battre comme le mécontentement qui gronde. Les questions soulevées sont pourtant en lien avec la lutte des classes comme le service public, le pouvoir d’achat, la question des retraites ou du chômage. Ils veulent qu’on ne parle plus que de l’immigration, des musulmans, de l’envahissement, du « grand remplacement ». Les discours dans les médias se droitisent et vont tous dans ce sens.
« L’identité n’est pas un sujet politique »
Vous dites que l’identité – omniprésente dans le débat public – ne devrait pas être un sujet politique…
Considérer la notion d’identité comme un sujet politique est une erreur philosophique, politique et scientifique. Je ne connais pas mon identité, vous l’avez très bien situé au début de l’entretien par un condensé biographique. Je connaîtrai mon identité finale quand je rendrai mon dernier souffle. Car elle se construit tous les jours. Il y a vingt ans, je ne pensais pas que j’irai passer un an et demi en Afrique pour faire un film. Pourtant ça influence grandement le point de vue que j’ai du monde. Avant j’étais plutôt attiré par l’Allemagne car j’y allais souvent quand j’étais gamin. Par la suite je me suis énormément rapproché de l’Arménie. Je suis autant allemand, qu’arménien ou marseillais. Puis l’identité n’est pas que nationale, ce n’est pas une simple carte d’identité. Dans le sens philosophique, mon identité c’est aussi mon orientation sexuelle, le fait que j’ai deux filles et pas deux garçons, que je suis cinéaste et non plombier. Tout ça fait partie de mon identité donc bien sûr que ce n’est pas un sujet politique !
Vous n’êtes plus adhérent d’un parti depuis des décennies… Pourquoi ?
Je ne suis plus encarté depuis 1979 mais j’aurais pu l’être à nouveau. Si se créait par exemple aujourd’hui en France un grand parti des travailleurs comme celui de Lula au Brésil, je pourrais revenir. Je n’ai rien contre le fait d’être encarté, ni contre la représentation ou la délégation. Je connais des gens qui sont des maires, des conseillers généraux, des députés qui sont d’une sincère honnêteté et qui travaillent dur. Il y a 5 000 élus en France, ils ne sont pas tous corrompus, pas du tout. Certains même se sacrifient jour et nuit pour leurs électeurs.
Vous croyez toujours, écrivez-vous, « à la nécessité absolue des organisations politiques »…
Les organisations sont nécessaires si on se pose la question de la prise du pouvoir. On peut se mobiliser sur une cause spécifique et on peut gagner. Après ce combat-là, gagné ou perdu, les gens arrêtent tout. Puis deux ans après, on y retourne. Ce sont des intermittents du militantisme et j’ai le plus grand respect pour eux car ils ont des victoires. Mais quand il s’agit de prendre le pouvoir, cette horizontalité n’est pas un bon outil. Pour prendre le pouvoir je ne vois pas d’autre manière que l’élection. Je trouve saugrenu de vouloir tirer au sort les représentants. Le seul système qui me semble viable est la démocratie représentative.
« Le communisme c’est le plein épanouissement de l’individu »
Vous revendiquez avec force votre communisme. Quelle définition en donnez-vous ?
Le communisme c’est une société avec un plein épanouissement de l’individu. La mauvaise réputation du communisme c’est qu’il serait la négation des individus. Je pense exactement le contraire. Être communiste c’est réaliser des moments où individus et société vont dans le même sens. Cette société peut être un pays, un village, une entreprise ou une coopérative. Ces moments communistes ont existé, il faut en garder l’exaltation. Ce temps-là, il faut essayer de le reproduire, voir pourquoi ça n’a pas fonctionné. C’est pour moi la définition la plus juste de ce qu’est être communiste.
Et en même temps vous écrivez que « la motivation individuelle est nécessaire », que « toutes les expériences de communisme égalitaire ont échoué »…
Dans le mouvement communiste international, il y a eu des tendances comme l’autogestion en ex-Yougoslavie. Ce sont des choses qui existent toujours à l’intérieur du mouvement communiste. Les kibboutz sont aussi des moments de communisme extrêmement forts. Très vite, on s’est aperçu qu’il fallait gérer différemment la rémunération de la force de travail. Mon entreprise, Agat film, est capitaliste. J’en étais même le président directeur général. Le rapport des salaires y est de un à quatre donc ce n’est pas égalitariste. Je ne pouvais pas être payé comme la standardiste qui faisait 35 heures pile alors que je travaillais le samedi, le dimanche et la nuit. Le rapport de un à quatre était donc justifié. L’égalitarisme forcené est une erreur. Si je repars sur l’idée marxiste de la rémunération de la force de travail, elles n’ont pas la même valeur. Je parle ici en termes abstraits, pas moraux. La force de travail de quelqu’un qui fait dix ans de formation ne peut pas avoir la même rémunération que quelqu’un qui a trois ans de formation. Tout cela n’est pas figé, ce sont des questions théoriques qui me passionnent.
Vous gardez aussi toujours des idées radicales en réclamant, par exemple, la nationalisation de la santé en dépossédant, sans les indemniser, les actionnaires des laboratoires pharmaceutiques…
Être anti-capitaliste c’est être anti-multinationales. On devrait nationaliser, internationaliser plutôt, tout ce qui relève du bien commun. Si on veut avoir une écologie puissante, il faut internationaliser les transports, l’eau et la santé. Pour autant il y a des petites entreprises extrêmement dynamiques parce qu’il y a des gens, pour des raisons biographiques, qui ont envie de travailler jour et nuit. Il faut absolument profiter de ça et la dynamique du monde est liée à ceci. Cela ne veut pas dire que celui qui entreprend a plus de qualités mais si quelqu’un veut entreprendre il faut absolument qu’il le puisse. Les petites entreprises où il y a un plombier avec trois copains c’est presque de l’artisanat. Dans ce cas, on ne peut pas appliquer un droit du travail unique en France. C’est un raisonnement marxiste. Pour qu’une société soit juste face à des inégalités, il faut que le droit soit inégalitaire.
Parmi les moments communistes dont vous vous réjouissez, il y a la gestion des cantines à Mouans-Sartoux.
Mouans-Sartoux est une petite ville dans les Alpes-Maritimes, juste au-dessus de Cannes, qui est un îlot communiste. L’ancien maire était élu à 100 % sans aucun candidat contre lui. Quand je l’ai rencontré je lui ai dit : “soit vous êtes un affreux dictateur soit vous êtes un saint homme”. En l’occurrence c’était vraiment un saint homme. Ils ont adopté un système de maraîchage où leurs cantines sont autonomes. Tous les plats sont bio et viennent du village, avec des salariés municipaux. C’est un moment communiste où individus et société sont réconciliés, en harmonie. Être communiste aujourd’hui c’est tenter de créer du communisme autour de soi en permanence. On peut aussi parler de la Sécurité sociale en 1945 par le ministre communiste Ambroise Croizat. Il avait beaucoup bataillé, je l’ai rencontré une fois dans un meeting. La Sécurité sociale – dont les pouvoirs depuis 30 ans essayent d’en diminuer l’impact et en réduire la définition – est une chose exceptionnelle où tout le monde cotise en fonction de ses revenus et reçoit selon ses besoins.
« Le Printemps marseillais : pourvu que ça dure ! »
Vous classez l’instant où, à Marseille, la dynamique d’union entre les gauches, les écologistes, et des mouvements citoyens, se cristallise avec la création du Printemps marseillais comme un moment communiste…
Le Printemps marseillais – pourvu que ça dure – est une alliance extrêmement large pas seulement entre partis mais aussi avec des associations. C’est cela que j’ai aimé, et ce qui m’a plu aussi c’est qu’ils ne s’attendaient pas à gagner. C’est la preuve qu’une alliance qui repose sur la diversité de ses composantes, tout en ayant un point de vue universel, peut gagner. On se prend à rêver, en se disant pourquoi ça ne fonctionnerait pas au niveau national ? Le remplacement de Michèle Rubirola par Benoît Payan a été un coup de théâtre mais pas une rupture dogmatique. Je ne suis pas dans l’incarnation, ce que je souhaite c’est que le programme pour lequel ils se sont battus, en particulier sur les écoles et les transports, soit respecté.
Les lendemains peuvent donc encore chanter ?
Il y a des périodes plus ou moins exaltantes mais on prend l’exaltation là où elle est. Ce dont on vient de parler, le film en Afrique, le Printemps marseillais, la création du Front de gauche, pour moi ce sont des moments communistes. Même si ça ne fonctionne pas, les quelques années où c’est le cas, restent éclairantes. Le combat pour moi consiste à rappeler ces moments d’exaltation et à les mettre en lumière. Il faut dire aux jeunes : « Réfléchissez aux raisons de l’échec et essayez de ne pas reproduire les mêmes erreurs. » C’est une dynamique permanente qui va de l’optimisme au pessimisme. Après on peut utiliser tous les oxymores que l’on veut, « optimisme désespéré » ou, comme disait Antonio Gramsci, « lier le pessimisme de l’intelligence à l’optimisme de la volonté ».
Vous affirmez « chercher le bonheur de la victoire », « n’avoir aucune complaisance avec le malheur de la défaite ». Vous revendiquez même une part « d’angélisme »…
Il ne faut pas hésiter à tordre le réel dans un sens ou dans l’autre. J’ai fait des films qui sont très enchanteurs, des contes. Dans ce cas, on me reproche d’être trop optimiste, trop béa, trop naïf. Ce sont pourtant des qualités que je n’ai pas. Il faut être angélique car parfois il faut encourager le monde, le public. Il faut savoir prêcher par l’exemple, faire des comédies et des contes qui se terminent bien et qui montrent des micro-solutions. D’autres fois, il faut montrer des situations qui ne se résolvent pas.
« Il faut être angélique parfois »
Vous martelez : « militer est un plaisir, une jouissance, une réjouissance. » Est-ce pour conjurer la dureté de la période ?
J’ai fait un débat sur le livre à Marseille avec des jeunes qui ont participé à des comités comme celui de la rue d’Aubagne. Ils ont adoré mener ce combat, ça leur a paru nécessaire et ils se sont réalisés. Il y a un bonheur de se battre pour les autres aussi, on trouve le bonheur dans l’altruisme. Militer ce n’est pas sacrificiel, on se trouve soi-même augmenté par nos actions collectives. On apprend à parler, à réfléchir ensemble comme à l’université. On voit aussi de beaux exemples de cadres sortis du mouvement ouvrier. Quelqu’un comme Pierre Bérégovoy qui était électricien et qui devient ministre des Finances, c’est exceptionnel.
Et les ronds-points peuvent devenir des lieux de rencontre…
Je trouve ça très beau l’idée que les gens peuvent se retrouver sur des ronds-points pour prendre conscience qu’ils ont les mêmes intérêts. Tout le monde a gagné en conscience de classe avec le sentiment d’appartenir à une classe dominée. Les gens se réjouissaient de ne plus être seuls. Quand on est une nuit entière sur un rond-point on ne parle pas que de lutte. On échange sur sa famille, son histoire personnelle et tout cela est très chaleureux.
Et le twist, même en 2022, peut rester un emblème...
Le twist est un emblème car dès qu’on en écoute, on se met à bouger. Même si on a douze ans et qu’on n’y connaît rien. Le twist ça met en mouvement…
Propos recueillis par Michel Gairaud et mis en forme par Nina Cardon
Twist à Bamako de Robert Guédiguian, sortie nationale le 5 janvier 2022
Les lendemains chanteront-ils encore ?, de Robert Guédiguian, en dialogue avec Christophe Kantcheff, éditions des Liens qui libèrent, 240 pages, 18,50 euros.