Claude Maignant, résistant à la fascisation de la France
Rien ne prédestinait ce professeur gaulliste, militant de l’Union pour la nouvelle République (UNR) de 1963 à 1971, à être soutenu à la fin des années 1980 par toute la gauche et l’extrême gauche française. Né en 1931, élève au petit séminaire Saint-Paul de Cannes de 1942 à 1949, puis au lycée Massena de Nice jusqu’en 1953, Claude Maignant a enseigné les Lettres durant 28 ans au sein du lycée militaire d’Aix-en-Provence. Excellemment noté par l’Éducation nationale tout au long de sa carrière, il fut pourtant exclu du lycée militaire après qu’une quarantaine de lettres dénonçant son enseignement « trop universitaire » et « ne répondant pas aux nécessités du concours d’entrée à l’école spéciale militaire de Saint-Cyr », aient été adressées en 1985 par des élèves et des parents au commandant de l’établissement.
Maignant avait dénoncé peu de temps auparavant le climat créé dans le lycée par des élèves d’extrême droite. Il s’était notamment indigné du fait qu’un professeur d’allemand ait fait entonner à ses élèves un chant nazi en l’honneur d’un colonel de l’armée allemande reçu dans l’établissement. À l’époque le ministère de la Défense avait diligenté une enquête, qui avait confirmé les faits.
« Les socialistes ne voulaient pas froisser l’armée. Une fois de plus, ils capitulaient ! »
En outre, Maignant représentait une menace pour les milieux traditionalistes de l’armée : il préparait les concours d’entrée de Saint-Cyr-Coëtquidan et prônait une évolution de cette épreuve, afin qu’elle s’ouvre davantage à la société française. Promoteur d’une armée démocratique et républicaine, Maignant affirmait que certains élèves, médiocres, intégraient Saint-Cyr parce qu’ils étaient d’extrême droite et bénéficiaient, pour cette raison, de favoritisme. Après que la compétence professionnelle de Maignant eut été confirmée dans un rapport d’inspection élogieux, le général de Rochegonde, commandant des écoles de l’armée de terre, avait publiquement dénoncé « l’action concertée » menée à l’encontre du professeur. De 1986 à 1994, Maignant a engagé plusieurs actions en justice afin d’être réintégré au lycée militaire d’Aix-en-Provence. Dans les médias, le combat de ce professeur opiniâtre contre « une armée de caste en proie à des dérives fascisantes » devint « l’Affaire du lycée militaire ». Maignant gagna la plupart de ses procès, mais l’Armée se plaça continuellement au dessus de la justice française. Le professeur ne fut jamais réintégré.
Entre 1986 et 1988, années dites de la « première cohabitation », François Mitterrand, président de la République depuis 1981, avait pour Premier ministre Jacques Chirac. Au cours de ces deux années, le Parti socialiste a soutenu Maignant. « Lorsque la gauche est revenue au pouvoir en 1988, j’ai été reçu par Lionel Jospin, alors ministre de l’Education nationale, nous a expliqué Claude Maignant, peu avant de décéder. Dans son bureau, Jospin m’a expliqué qu’il ne pouvait rien faire pour me réintégrer au lycée militaire. Son gouvernement ne souhaitait pas froisser l’armée. Ainsi, une fois de plus, les socialistes capitulaient ! »
Parmi les élèves d’extrême droite qui participèrent à la cabale contre le professeur exclu, certains ont fait depuis une brillante carrière. « Le meneur s’appelait Nicolas Le Nen », nous a affirmé Claude Maignant. Après avoir commandé le Service Action de la Direction générale de la Sécurité extérieure (DGSE) de 2014 à 2018, le général Nicolas Le Nen a pris la tête du Commandement pour les opérations interarmées (CPOIA) en février 2020.
Les obsèques de Claude Maignant ont eu lieu le 20 novembre dernier dans l’église des Milles (Bouches-du-Rhône).