« Sans les prolétaires, la terre deviendrait sans âme »
Cédric Herrou
Paysan (Emmaüs Roya)
♦ le Ravi n°64, juin 2019. Bien avant le post-confinement, les rats des villes, déjà plongées dans la sinistrose politico-sociale, enviaient les rats des champs. le Ravi questionne : simple mode éphémère ou promesse d’une nouvelle alliance entre urbains et ruraux ?
En 2003, le Ravi paraissait pour la première fois. Je quittais la ville pour la campagne avec quelques vieux rêves en tête, rêves restés cachés, non exprimés. Je me souviens il y a quarante ans de ma grand-mère qui tenait un salon de coiffure dans le vieux Nice placé en face d’un boucher : à droite, un bar, au bout de la rue, l’odeur de socca qui frôlait les murs des rues étroites du vieux Nice, l’odeur de sciure de bois absorbant le vin rouge qui péguait au sol du petit bar, où les clients saouls brayaient. Je retiens encore cette phrase : « Oh gamin, on te fait peur ? Ce que tu vois ici c’est le pantaï ! Tu connais le pantaï nicois ? »
Le pantaï, c’est l’une des caractéristiques de Nice. Mélange d’absurdité provocatrice contestataire, satire défiant la norme par sa légèreté et son « je m’en foutisme » donnant aux vies trop plates le relief de nos montagnes. Le pantaï fait que Nissa la Bella ne devienne pas une putain sans âme, un pan bagnat sans huile d’olive, une socca sans farine de pois chiche. Les niçois ont besoin de lui pour vivre, ville qui, vendue à la magouille politicienne depuis Médecin père et fils et du simple d’esprit Peyrat, ne dérive pas dans les décors d’une simple carte postale sans odeur ni âme.
De cette politique, les corrompus ont fait de Nice leur nid. Tels des coucous jetant les prolétaires à terre, terre qui sans eux deviendrait sans âme, une simple niche à fric, sans froc, déculottée par le pouvoir corruptible.
Je me souviens en périphérie de Nice de notre voisine madame Barberis, vieille paysanne qui me contait sa jeunesse dans le quartier de L’Ariane. Les cultures de fruitiers remplacées par le béton, le Paillon qui à son époque coulait encore. Mes rêves se sont construits sur ses souvenirs paysans : l’envie de vert, l’envie de cultures, l’envie d’oliviers et de caves pleine de bocaux de tomates, de haricots verts, de ratatouilles préparés durant l’été pour passer l’hiver. J’ai construit ma vie sur ces histoires de gosse inspirées par ces vieux nissarts, entre bar, socca, salon de coiffure, paysannerie et pantaï.
La mémoire de cette ville qui avait su accueillir ces milliers d’Italiens passés, pour certains, clandestinement par La Roya. Je revenais aux sources avec en mémoire le pantaï. Ce pantaï quasi occulté par ses habitants a su survivre aux coucous. Nice est à terre mais continue grâce à ces acteurs de la presse libre et indépendante comme le Ravi et Mouais, jeune journal où le pantaï reste le carburant de la lutte. Cette presse est devenue l’oiseau rare à protéger, car, sans lui, Nice ne serait plus Nice. Viva Nissa ! J’ai choisi le combat par la terre, car elle donne pouvoir aux semences de prendre racine par amour de la vie. Sans polémique ni racisme, en silence, elle donne sans attendre. La magie s’opère sous nos yeux et nous regardons ailleurs…
Pour fêter le 18e anniversaire du Ravi, de grands témoins commentent des Unes marquantes ou des rubriques emblématiques dans le 200e numéro du régional pas pareil qui ne baisse jamais les bras…