« On bascule dans une stratégie du "cause toujours" »
Jean-François Julliard
Rédacteur en chef du Canard Enchaîné
♦ le Ravi, un journal qui enquête
Aujourd’hui, quand on enquête, le nombre de sources disponibles est beaucoup plus important. Il est aussi plus facile de travailler en amont sur de la documentation, ce qui est essentiel. En face, il n’y a pas forcément plus de communication qu’avant, elle est peut-être même moins triomphante que dans les années 1980… Mais cela reste toujours aussi difficile de franchir la barrière, d’accéder aux gens. La vraie nouveauté, c’est que les pouvoirs ont réalisé que cela ne leur coûtait pas cher de ne pas répondre à la presse. On bascule dans une stratégie du « cause toujours ». La situation serait peut-être différente si les journalistes étaient plus solidaires entre eux. Aux États-Unis, en conférence de presse, quand le président refuse de répondre à une question, les autres médias la lui reposent jusqu’à ce qu’il réponde. À l’inverse, en France, il y a une espèce de révérence par rapport au pouvoir, qu’il soit national ou local.
À ces phénomènes de cour, s’ajoutent les droits de réponses et des recours de plus en plus nombreux. Au Canard, nous ne sommes pas très exposés aux procès-bâillons, mais pour certains élus ou certaines personnalités, c’est un véritable système. Et la justice n’utilise pas assez la notion de procédure abusive pour indemniser les journaux qui sont injustement attaqués.
Malgré tous ces freins, l’enquête continue à faire du bruit dans les médias, avec une caisse de résonance et une forte puissance de frappe. Mais elle a beaucoup moins d’effets sur les ventes : l’affaire des diamants à la fin du septennat de Giscard nous avait fait 50 % de ventes en plus. Ce ne serait plus le cas aujourd’hui.
Pour fêter le 18e anniversaire du Ravi, de grands témoins commentent des Unes marquantes ou des rubriques emblématiques dans le 200e numéro du régional pas pareil qui ne baisse jamais les bras…