Moi, Xavier Niel, le big box
En trottinette connectée et caleçon Louis Vuitton (sa compagne Delphine Arnault, fille de Bernard, en est directrice), Xavier Niel, le patron milliardaire de Free traverse la cour de son hôtel particulier parisien et trouve le Ravi dans sa boîte aux lettres. Le journal sous le bras, il rentre en sifflotant du Claude François (dont il a racheté le catalogue) passant du Téléphone pleure à My Way…
Encore un petit journal du Sud ! Je les collectionne : Nice-Matin, Var-Matin… Bientôt La Provence où j’ai déjà 11 % et où j’espère rafler la mise face à Rodolphe Saadé de la CMA CGM. Par le passé, j’avais même mis un peu de sou dans Marsactu (1). Et, avant d’être repris par Maritima, La Marseillaise avait cru que je voulais la racheter.
« Ce sera votre Vietnam ! », clamait la CGT. Tout dans la nuance. Mais avec une maîtrise des langues vernaculaires : « Niel ? Niet ! » Mon entourage avait démenti : « En voyant La Provence s’intéresser [à La Marseillaise] les gentils révolutionnaires marseillais ont fait un raccourci pour mieux dénoncer l’attitude prédatrice du méchant milliardaire parisien ! » (1) Bon, y a quoi dans le Ravi ? Ce serait pas ma tronche en dernière page ? Putain, ils ont fait mon portrait !
J’en fais quoi ? « J’ai un modèle de plainte tout prêt, y a qu’à remplir le nom du journaliste » (2) Les procès-bâillons, ils aiment ça ou quoi ? Ou mieux : « Quand les journalistes m’emmerdent, je prends une participation dans leur canard et ensuite ils me foutent la paix. » (3) J’vais les racheter. Ça aurait de la gueule ! Le vieux rêve de Lagardère : un « arc méditerranéen » (4), de Menton aux Saintes-Maries, du vieux journal local au fanzine…
Faut que je me calme. C’est vrai, j’ai ma petite réputation. Quand Libé a rappelé qu’avant de faire fortune avec Free, j’ai percé grâce au minitel rose et même passé par la case « prison » pour abus de biens sociaux avec les peep-shows dont j’étais proprio, j’ai sorti la grosse artillerie. Qu’importe les condamnations pour procédure abusive. En attendant, un ancien patron de Libé se sera fait cueillir par la maréchaussée à son domicile devant ses gosses (6). Moi aussi j’ai morflé : « Si vous avez des enfants et que leur père est en prison pour proxénétisme aggravé, je vous laisse imaginer les dégâts » (7). Mais c’est le juge Van Van Ruymbecke qui m’a conseillé de « juste mordre la ligne jaune » (8). Et puis « mon succès sera ma revanche » ! (2)
« Mon succès sera ma revanche »
Résultat ? Aujourd’hui, le Xavier, il est tout miel ! (rires) Faut dire que, quand j’ai mis la main en 2010 sur Le Monde avec Mathieu Pigasse et Pierre Bergé, ça a grincé des dents. Alors ma dernière trouvaille, c’est un fonds de dotation – le « fonds pour l’indépendance de la presse » (rires) – pour rendre incessible ma participation au capital du groupe. Promis, je n’en tire « aucun intérêt fiscal » (9). Je précise parce que mon nom est sorti dans plusieurs enquêtes : Malta Files, Paradise Papers, OpenLux… Et juré craché, le « seul objectif », c’est « consolider l’indépendance des titres » (9). Pas de bol, l’économiste des médias, Julia Cagé, a vu les failles : c’est moi qui désigne le président du fonds, l’essentiel du conseil d’administration et, en cas de décès, ce sont mes ayants droit qui héritent du bébé. J’ai déjà placé mon fils (10)…
Mais tout le monde le fait ! Lagardère, Tapie… En reprenant le canard de celui dont j’avais récupéré aussi le yacht, je fais presque dans le social. Alors racheter le Ravi, c’est de l’humanitaire ! Bon, on peut pas dire que c’est une start-up. Et leur site me rappelle mes années minitel. Je vois déjà le truc bien vintage : 3615 LE RAVI !
Au fond, on est pareil : « On n’est pas là pour gagner de l’argent, on est là pour foutre le bordel ! » (8). Idem sur la satire. Sur Twitter, j’ai déconné en racontant que « la 5G ne fonctionne pas si on porte des tongs » (11). Faut pas que j’insiste, sinon on va se rendre compte que, juste avant le Covid, j’ai lancé la Freebox… Delta ! J’aurais presque ma place dans les manifs : mes gosses s’appellent Jules et John.
Ça va bien se passer, au Ravi, ils ont l’air de pas trop l’aimer, Macron. Moi aussi, il me gonfle : « On est croisé entre les déclinistes et un pouvoir politique qui ne fait rien » (12). J’ai même parlé de « fait du prince » lors de la nomination de la présidente de l’Arcep, l’autorité de régulation des Télécom, m’étonnant de voir désigner « à la tête d’une autorité indépendante quelqu’un qui a bossé quinze ans chez Orange » (13).
En même temps, je monte avec une ex-conseillère de Macron une école pour former des agriculteurs bio, après avoir lancé Station F, mon incubateur de jeunes pousses et l’École 42, une formation gratuite aux métiers du numérique. En appliquant « l’économie collaborative à l’éducation. Et dire : “On n’a plus besoin de profs”. C’est une forme de hacking ». (14) Ça, c’est sûr que ça va plus plaire à Blanquer qu’au Ravi.
Idem avec la gestion RH dans les centres d’appel. Après, je me voile pas la face : « Le job qu’ils font, c’est le pire des jobs » (14). C’est peut-être pour ça que je suis en train de les démanteler ! De toute manière, « faire rentrer les ressources humaines chez Free, c’est détruire Free » (15). Si ça se trouve, au Ravi, c’est un peu pareil. C’est de l’associatif : ça doit bosser le week-end, la nuit… même en vacances. Ah, « c’est tellement agréable de se promener dans son entreprise après 22 heures et de voir tout le monde travailler » (15) ! Allez, je les appelle…
Allô ? Bonjour, c’est Xavier Niel, le patron de Free. Non, je ne vous téléphone pas pour changer de box. Mais de dimension. Faudrait que je parle au patron… Y en a pas ?! C’est pareil, chez moi : « Je ne suis pas un patron, je suis tout l’inverse d’un patron » (8). Bon, je voudrais vous acheter. Non, je parle ni d’abonnement ni de kiosque. C’est pour vous aider. Vous avez besoin de quoi ? D’ordinateurs ?! J’comprends. c’est de là que tout est parti. Un Sinclair ZX81 : « Avec ça, j’ai trouvé un machin qui faisait gentiment ce que je lui demandais de faire » (16). Ça fait rêver, hein ? Besoin d’autre chose ? Vous vous faites accompagner par le Fonds pour la presse libre qui édite Mediapart pour votre site ? Besoin de conseil : fallait le dire tout de suite ! Commençons par le début : « On n’achète pas un journal libre, on finance son indépendance »… Comme slogan, c’est pourri. Essayez ceci : « Il a le Ravi ? Il a tout compris ! »