« Nous sommes une Zad, une zone à développer ! »
Les amis de Kamel Guémari rivalisent de lyrisme lorsqu’ils font son portrait. Il serait donc selon eux à la fois le Che Guevara des Mac Do, l’abbé Pierre des quartiers populaires, le Spartacus des luttes syndicales, le Don Quichotte du mouvement social, le Gandhi de l’aide alimentaire… Ses adversaires le traitent plutôt de squatteur, délinquant, voyou…
Il est, avant tout, un enfant des quartiers nord Marseillais – et à pied ça fait loin jusqu’au Vieux Port… Il y est né en 81, à la cité des Créneaux, et a grandi à la Savine. L’AFP affirme qu’il aurait pu connaître une carrière pro de footballeur avec une sélection dans l’équipe olympique algérienne. Le Bondy Blog raconte que le travail lui a évité de sombrer dans la délinquance.
Son premier boulot, il le décroche, mineur, au Mac Do Saint-Barthélémy, comme équipier. Il a 17 ans et nous sommes alors en 98. Il y restera plus de vingt ans en grimpant tous les échelons jusqu’à devenir directeur adjoint.
Seulement il a aussi le goût des combats collectifs et de la justice sociale : syndiqué à la CGT puis à FO, il mène de nombreuses batailles en obtenant notamment une prime du 13ème mois, avantage étendu à l’ensemble des fast-foods français.
Saint-Barthélémy devient un symbole, jusqu’aux USA, et un repère pour de nombreux salariés précaires exploités par la multinationale.
Difficile de croire au hasard lorsque Mac Do décide, en 2018, de fermer le restaurant au prétexte qu’il n’est plus rentable.
Désespéré, il menace de s’immoler par le feu pour dénoncer cette décision. Avant de préférer souffler sur une autre flamme : celle d’une lutte du pot de terre contre le pot de fer afin de refuser une liquidation judiciaire. Une lutte XXL durant deux ans avec occupation des locaux.
En décembre 2019 la liquidation est prononcée. Mais l’occupation se poursuit et le combat prend une nouvelle dimension. Durant le premier confinement, alors que les pouvoirs publics brillent par leur absence à Marseille, Saint-Barthélémy devient l’épicentre d’un mouvement autogéré pour répondre à l’urgence sociale. En un an, 100 000 personnes sont secourues et jusqu’à 2000 familles par semaine reçoivent des colis d’aide alimentaire.
Kamel Guémari milite désormais au sein de l’Après M, afin de créer, toujours dans les locaux du Mac Do, un fast-social-food. Il pourrait prendre la forme d’une SCIC, une société coopérative d’intérêt collectif, réembauchant les anciens salariés… Et nous sommes tous invités à prendre notre « part du peuple » en souscrivant 25 euros pour rassembler les fonds nécessaires au lancement du projet…
Voilà donc Kamel Guémari bâtisseur. Mais bien entendu, ce n’est qu’un début, le combat continue…
M. G.
Vos adversaires n’hésitent pas à vous qualifier de squatteurs, de délinquants…
« Je suis content et ravi d’être un délinquant, de pouvoir essayer de préserver le travail. Si c’est ça la délinquance, alors qu’on me condamne ! C’est horrible d’entendre le mot squatteur. Il y a eu une réquisition citoyenne mais pour préserver l’outil de travail. Donc on n’a pas squatté ! On a préservé l’outil de travail dans une zone fracturée socialement. Nous avons essayé de ne pas vendre notre dignité. Dans les quartiers nord, il y a des gens honnêtes, qui ont envie de s’en sortir ! Je suis fier de vouloir finir ma vie dans ces quartiers, de tendre la main aux plus souffrants. »
Dans une lutte, la fin justifie-t-elle les moyens ? José Bové, qui est venu vous soutenir, avait par exemple démonté symboliquement un Mac Do en chantier…
« L’histoire de la France a commencé par un démontage sur la place de la Bastille, donc par un acte symbolique pour reconstruire. José Bové a démonté un Mac Do pour un acte symbolique. A Marseille, 21 ans après, une petite graine a émergé au Mac Do de Sainte Marthe. Ce territoire, c’est une Zad, pas une zone à défendre plutôt une zone à développer. On est fier que José Bové soit venu nous voir pour nous féliciter ! Je crois en un monde après Mac Donald : un monde de partage, de richesses, d’entraide, de valorisation humaine. Mac Do dit « venez comme vous êtes, venez dépenser votre argent« . Nous, on a pris cette phrase, on l’a culbutée. On a remis l’être avant le paraître. On dit « comme vous êtes, vous venez« . D’abord l’être humain parce que la richesse, elle se produit par l’être et pas par le paraître. »
Pour lancer un fast social food, l’Après M, il faut rassembler 50 000 « parts du peuple » de 25 euros afin de lever 1 million 250 mille euros. C’est très ambitieux !
« Nous voulons essayer de prouver que l’entraide existe ! Elle a toujours existé dans nos quartiers où quand quelqu’un n’a pas de sel, il tape à la porte de son voisin et ainsi de suite. Quand il y a eu ce confinement, cette pandémie, notre cher président nous a dit « Nous sommes en guerre ! » Oui ! Nous, enfants des quartiers nord. Nous, les enfants de misère à leurs yeux, alors que nous avons une richesse inestimable. On va leur montrer que ce lieu (l’ancien Mac Do occupé) est extraordinaire, un lieu de diversité ! C’est la place du village et on n’a pas envie de la perdre. On souhaiterait juste pouvoir partager notre expérience. Le bien, l’entraide et la richesse devraient aller au plus souffrant. C’est pour ça que sur 50 000 souscriptions, il y aura la part « suspendue » réservée pour nos amis dans la rue que sont les SDF. On les viole chaque jour à travers notre regard, notre posture ! Ils étaient en souffrance pendant le confinement. Il n’y avait personnes pour eux, tout était fermé. On les chassait pour qu’ils ne soient pas visibles. Ces personnes-là, comme celles qui viennent chercher des colis alimentaires, on souhaite qu’ils soient propriétaires de ce lieu. Enfant, j’allais avec maman chercher les colis alimentaires au Secours Populaire, aux Resto du Cœur. Je me dis, merde, c’est horrible de faire la queue ! De se mettre devant pour faire la manche. C’est pour ça qu’on s’est dit qu’il va falloir qu’on apprenne à combattre la misère au lieu de la dénoncer en pleurant sur notre sort. »
« On ne souhaite pas être les futurs danseurs politiques »
5000 personnes ont déjà souscrit à une « part du peuple ». C’est bien ça ?
Exactement !
Soit 125 000 euros…
« C’est bien, mais c’est encore loin de l’objectif ! Nous avons fait face à 4 ordonnances d’expulsion et… un ordre de démolition. A l’origine, ce restaurant Mac Do, ils l’ont mis en place, en 1992, pour pouvoir dynamiser l’emploi dans des quartiers. Ça a été un pari, ils nous ont vendu un rêve. Et en 2019, ils dynamitent l’emploi là où on a besoin d’eux ! Alors que ce lieu fait partie d’une zone franche. Alors que les pouvoirs publics les ont aidés à travers l’aide à l’embauche, la TVA. Mais aujourd’hui, on n’en a rien à foutre de Mac Do. C’est l’outil de travail qui nous importe. Cette place du village ! »
Benoît Payan, le maire de Marseille, promet de soutenir l’Après M. Et, pour commencer, la ville a décidé de racheter à Mac Do le bâtiment à hauteur de 650 000 euros. C’est une bonne nouvelle ?
« On est content et fier que le maire ait fait un acte inédit. C’est courageux de tendre la main à une jeunesse oubliée et de lui donner de l’espoir. Donc on le remercie d’avoir fait son travail. Mais nous, on souhaite ne pas être les futurs danseurs et danseuses politiques. Notre objectif est de laisser un héritage. J’ai sacrifié ma vie, mes enfants, ma famille, en travaillant 23 ans chez Mac Do pour essayer de préserver ma dignité. Ce n’est pas pour qu’elle puisse être demain un enjeu politique. Je ne souhaite pas être le futur salarié de l’Après M, je veux laisser un héritage. Je souhaite continuer juste à être un simple citoyen bénévole au sein de ce lieu. En me réjouissant que mes frères et sœurs puissent aller y travailler. Au lieu qu’on les laisse à l’abandon, plutôt qu’ils aillent gagner leur subsistance en tenant des blocs et en finissant dans un cimetière ou entre quatre barreaux. Il est là notre combat, celui de l’Après M. Celui qui se bat pour son prochain n’a pas de limites. C’est ça qui est extraordinaire. Quand on regarde l’histoire de Saint-Barthélémy et de son territoire, on se dit merde ! Pourquoi on est arrivé là ? Quand cette jeunesse ouvre son frigo vide, elle est en détresse sociale, quand les jeunes accompagnent leurs parents dans des instituts qui les maltraitent, quand on leur parle comme à des clochards, des misérables, il y a une haine dont ces enfants se nourrissent. »
« Vous cautionnez les squatteurs monsieur le maire », a dénoncé Catherine Pila, la porte-parole du groupe d’opposition LR qui a voté contre l’achat du Mac Do. Votre réaction ?
« Déjà le mot squatteur, je n’arrive pas à m’y faire, c’est horrible ! On a préservé l’outil de travail, le matériel. Si on avait écouté cette dame, on l’aurait abandonné. Ce lieu serait occupé par d’autres. Il y a trois grills qui font 15 0000 euros chacun. Je vous laisse calculer. Il y a des friteuses qui ont une valeur de 10 000 euros. La machine à glace, 20 000 euros… On n’a pas laissé des personnes squatter, dégrader. Au contraire, Mac Do devrait nous payer ou cette dame qui parle au nom de notre argent. J’ai travaillé pendant 23 ans donc j’ai cotisé pour son salaire. Elle se permet de dire squatteurs ! Tout au long de cette lutte, on a nettoyé ce restaurant, on a végétalisé l’espace, on a essayé de soigner notre image et de donner une leçon. Non pas par des pleurs, par des cris, par une colère. On n’a jamais appelé à une manifestation pour essayer de perturber notre ville. Mais par contre, on a fait valoir nos droits…. »
Le collectif de l’Après M aimerait que la Ville accorde un bail emphytéotique sur une longue période de 18 à 99 ans ou qu’elle vous revende l’ancien Mac Do. Des discussions sont en cours ?
« Les discussions elles n’ont pas commencé encore, parce que Mac Do n’a jamais souhaité parler avec nous. Donc la firme parle avec la mairie. Nous faisons confiance à la ville parce qu’elle nous a tendu la main. On ne va pas mettre la charrue avant les bœufs !
« Nous voulons créer une franchise sociale à but non lucratif »
La ville n’est pas encore propriétaire formellement. Bientôt ?
« Fin septembre exactement ! On commencera alors des discussions sereines et saines pour essayer de réfléchir. Peut-on laisser un héritage derrière nous qui ne soit pas un enjeu politique ? Le maire a fait un acte courageux et nous sommes contents. Mais l’aventure n’est pas finie. L’avenir nous prouvera s’il y a une mal-intention ou pas. Nous, nous sommes sincères. Et nous ne sommes pas seuls. Des milliers de personnes, en France et au-delà, font partie de ce projet lié à un modèle social révolutionnaire, pas une révolution destructive mais une révolution constructive. Nous sommes une Zad, une zone à développer, pour donner une bouffée d’oxygène à tout un territoire ! Et pourquoi pas, en créant une franchise sociale à but non-lucratif. Parce que la marque de l’Après M, on l’a déposée et on souhaiterait la donner. Objectif : que des salariés puissent accéder à l’emploi, en sachant pour qui et pourquoi ils travaillent ! »
Même si la facture baisse de moitié dans l’hypothèse où la ville loue à l’Après M l’ancien Mac Do, il reste nécessaire de toujours lever au moins 600 000 euros, 24 000 « parts du peuple » de 25 euros !
« Nous visons 1 million 250 mille euros. Le rachat du lieu par la mairie – soit 650 000 euros – nous a donné une bonne bouffée d’oxygène. Elle nous a retiré cette épée de Damoclès qui était sur notre tête. Mais il y a le restaurant à rénover, un fonds de roulement à mettre en place. On compte relancer l’activité avec 35 salariés. En espérant que nous allons donner une leçon à cette multinationale. Notre but, à terme, c’est de pouvoir créer 150 postes de travail autour de ce restaurant. »
Toujours au conseil municipal cet été, un autre groupe d’opposition, celui d’extrême droite, a voté contre le rachat du Mac Do. Cédric Dudieuzère pour le RN a accusé le maire de « faire savoir à toute l’extrême gauche anticapitaliste qu’il est possible de pirater, de collectiviser une entreprise avec la bénédiction des pouvoirs publics ». Commentaire ?
« On lui a répondu par une vidéo : « nous sommes à Marseille bébé ! » Nous étions dans le public. Quand je racontais une connerie, mon père me disait « fils, tu as raté l’occasion de fermer ta gueule ! »…
Rappelons que le Front national, le RN, a été à la tête de la mairie du secteur dans lequel se trouve votre fameux Mac Do…
« On remercie qu’ils se soient cassés parce que ni oubli ni pardon pour Ibrahim Ali. Je suis fier et content qu’existe désormais une avenue à son nom, lui qui a été tué par des colleurs d’affiches du Front national. Ils nous donnent des leçons mais avec eux, en 6 ans de mandat, dans notre arrondissement, la voyoucratie a été accentuée… Je salue le choix de la nouvelle municipalité d’honorer Ibrahim Ali ! Je salue ces frères et sœurs qui ont lutté pendant 26 ans (pour obtenir cette reconnaissance, Ndlr). Une lutte, c’est comme à vélo, le jour où on arrête de pédaler, on perd l’équilibre. Ils n’ont pas arrêté de pédaler pendant 26 ans. Ils n’ont rien lâché et cette avenue, elle a vu le jour et nous, on en est fiers. Ça ne ramènera pas notre frère, mais ça donne une leçon à certaines personnes. Pour leur dire qu’on n’a pas choisi d’être noir, ni chinois, ni blanc, ni arabe. On a choisi de vivre ensemble. On peut ne pas être d’accord, mais il y a qu’une seule race : la race humaine ! »
Soso Maness – dont vous avez choisi de diffuser une chanson pendant votre Grande tchatche avec le Ravi – soutient de près l’Après M.
« Oui, c’est un frère ! Il est à deux pas de notre restaurant. On l’a vu grandir dans cette place du village. Je suis fier de cet enfant-là, qui a pu se débrouiller pour pouvoir essayer de s’en sortir, qui aide cette jeunesse des quartiers nord, donne un coup de main à un territoire où on en a besoin…. »
« La police est parfois une force du désordre »
Il fait un bad buzz suite à son concert à la fête de L’Humanité à Paris, où l’Après M tenait un stand cette année, lorsque la foule a chanté « tout le monde déteste la police » comme dans certaines manifs…
« Il a juste lancé « tout le monde …. » et le public a dit la suite… On a le droit de détester qui on veut, d’aimer qui on veut ! Il n’a pas appelé au crime, à la haine. C’est une phrase de quartier. Des fois à propos de la police, je parle des forces du désordre. Ces personnes agissent parfois avec passion en perdant la raison. Combien il y a eu d’éborgnés dans les manifestations ? Combien il y a eu de mains arrachées ? Combien il y a eu d’enfants dans ces quartiers-là, maltraités, frappés par des cons ? Ce sont eux qui créent le désordre par leurs actes. Oui, on dénonce une violence qui ne devrait pas être. Nous sommes dans un pays de droit, nous devons respecter même le délinquant. On l’a maîtrisé : il y a un juge pour pouvoir le juger. Il ne doit pas subir une double peine et c’est ça qu’on dénonce… »
Vous avez été vous-même condamné à 4 mois de prison avec sursis, en avril, pour « violence et insulte » à l’encontre du directeur d’un Mac Do. Vous faites appel de cette condamnation ou vous l’acceptez ?
« Je vais faire appel pour quoi faire ? Pour clamer mon innocence, pour prouver qui je suis ? Je sais qui je suis ! Je demande juste à tout le monde de se renseigner sur ce dossier-là. J’ai été placé en comparution immédiate après un méfait qui est mensonger. Ils m’ont collé sur le dos les termes de racket, de vol en bande organisée, d’homophobie. »
Vous avez été relaxé sur ces motifs…
La seule connerie que j’ai pu faire – je suis qu’un simple être humain, j’ai perdu mes nerfs – c’est d’avoir mis une petite tape sur le directeur d’un Mac Do et ça m’a coûté quatre mois….
« Ce n’est pas de la surveillance que l’on veut, c’est de l’éducation populaire ! »
Les quartiers populaires de Marseille sont meurtris par une nouvelle série d’assassinats liés au trafic de drogue. En retour, l’État, Emmanuel Macron en tête, promet plus d’argent pour recruter 300 nouveaux policiers, construire un commissariat et un hôtel de police au nord de la ville…
« On ne peut pas répondre par la force ! Est-que cette jeunesse-là, on va lui donner du travail ? Est-que cette jeunesse-là va pouvoir essayer d’être libre, pouvoir circuler sans être pointée du doigt ? C’est nous qui allons payer ces gens-là pour qu’ils puissent nous surveiller ? Ce n’est pas de la surveillance que l’on veut, c’est de l’éducation populaire ! C’est du travail pour cette jeunesse qui s’entretue. Ils préfèrent vivre un à dix ans comme des lions que soixante ans comme des moutons. On ne cautionne pas le mal qu’ils font non plus ! On n’est pas d’accord avec eux, mais quelles alternatives peut-on leur donner ? Quels outils on peut mettre entre leurs mains si on veut combattre cette délinquance ? Si on veut rentrer dans les quartiers, c’est par le travail et non par la force ! Les cimetières ne sont remplis que de gens pauvres.
Toute une population est placée dans le néant, privée de stratégie… J’ai demandé à un enfant de 15 ans « qu’est-ce que tu fais ? L’école tout ça ?« . Il m’a répondu « mais quelle école ? Je n’ai pas le choix, c’est soit la mort ou la prison« . Ces jeunes-là ne rêvent plus, n’ont plus d’espoir ! Ce n’est pas l’armée qui va rétablir la situation, c’est nous en tant que citoyens. D’ailleurs ont a pris l’initiative avec Almany Kanouté, qui a joué dans Les Misérables, avec quelques grands frères comme Christian Anelka, quelques personnes de la Savine, de la Busserine, d’aller voir cette jeunesse pour qu’ils puissent libérer leurs paroles. Parce que l’arme du pauvre, c’est la parole. »
Votre stratégie porte un nom : l’Après M, un fast social food, véritable restaurant qui sera ouvert de 10 heures à minuit, une entreprise d’insertion, tout en restant toujours une plateforme solidaire mobilisant des bénévoles…
« Déjà, je suis gêné quand vous me dites « vous » ? Moi seul, je peux aller vite, mais ensemble on peut aller plus loin. Le plus important, c’est le collectif ! Cette énergie, cette intelligence collective, qui rayonne autour de cet Après M. Même le plus souffrant peut emmener une pierre à l’édifice. L’Après M ça veut dire l’après Mac Do, mais ce n’est pas que ça. « Après » ça veut dire « Association de préfiguration pour un restaurant économique et social« . Ce lieu, on souhaite qu’il ait un sens qui puisse perdurer à moyen et long terme. Ce fast social food, il est là pour essayer de répondre à un besoin. Quand on a mal à la tête ou aux pieds, au cœur ou quand on est amputé, on passe par les urgences dans les hôpitaux. Nous, nous avons créé une urgence sociale. Nous sommes, comme l’a dit notre cher président, un laboratoire. Mais nous ne sommes pas des rats !
« Après la multinationale, une multi-sociale »
L’Après M, sous la forme d’une Scic, une Société coopérative d’intérêt collectif, sera géré différemment ? Pas par une multinationale ?
« Ah non ! Ce sera une multi-sociale. Ce qui est beau, c’est qu’il y a cinq collèges (membres fondateurs ; usagers et bénévoles ; fournisseurs et donateurs ; collectivités publiques et privées ; salariés, Ndlr). Ils auront un droit de regard, de parole, de bienveillance. De mon côté, je souhaiterais juste être un simple bénévole. Les anciens salariés vont pouvoir partager leurs expériences et la richesse qu’ils ont pu obtenir pendant 20 ou 27 ans d’expérience chez Mac Donald. Leur héritage, il faut qu’ils le transmettent. On est souvent surpris par l’inconnu parce qu’on imagine qu’on ne va pas y arriver ou qu’on n’est pas à la hauteur. Aujourd’hui, on a réussi à prouver ça ! Quand je suis parti dans cette lutte, personne n’arrivait à me comprendre. Comment ? Je me bats pour des personnes que je ne connais pas ? Des personnes que j’aime plus que je m’aime à moi-même ! Cette jeunesse, ces gens que je ne connais pas, je souhaiterais qu’ils puissent accéder à l’emploi plus que moi. J’ai sacrifié mon temps de vie pour eux. Je ne m’inquiète pas pour les gens qui sont autours de nous parce que je pense que ces personnes-là ont les mêmes valeurs que moi : on se bat pour notre prochain. La main qui donne ne doit jamais être au-dessus de la main qui est tendue. Je croyais que j’étais un homme généreux. Un SDF, notre ami dans la rue, m’a donné une leçon de vie. On a parlé deux-trois minutes avec lui et on lui a donné un repas. Alors que nous allions partir, il nous a rappelés. « Revenez ! Revenez ! » Et il nous a tendu 10 euros. Je lui ai dit : « Tu es fou ! C’est gratuit ! » Il m’a dit : « Non mais ça me fait plaisir. » Je lui ai dit : « Mais comment tu as des sous ? » Il m’a répondu : « Non, je n’ai que ça ! » Moi si je n’avais que 10 euros dans ma vie et que je ne savais comment j’allais me nourrir le lendemain, je les aurais peut-être conservés. Là, ça m’a mis une claque. Me dire merde, je crois que je suis un homme bien, mais il y a toujours mieux que moi ! »
Des gens comme ce SDF sont donc au cœur du projet de l’Après M ?
« Dans cet Après M, vous êtes comme vous venez. Il y a des personnes qui sont bien, d’autres moins bien. Nous, on essaye de tirer le meilleur de chacun sans regarder son orientation sexuelle, sa couleur de peau, son passé. Ce qui compte pour nous, c’est le présent et comment on peut réfléchir ensemble sur le futur. »
Beaucoup de monde vous rend visite, de très loin mais aussi du centre et du sud de la ville, ce qui n’est pas rien dans une ville toujours très fracturée…
« Dans la chanson Nous sommes les enfants des quartiers nord (enregistrée en 1982, Ndlr), ils disaient que « à pied ça fait loin jusqu’au Vieux Port ». C’est toujours aussi loin ! Dans nos quartiers, il n’y a pas de Vélib, pas de trottinettes, pas de métros ! Il y a un bus et on met une heure, une heure et demie pour pouvoir accéder au centre-ville. Ils nous ont cloisonnés ! Près de 70 % des habitants des quartiers nord n’ont pas accès à la mer. Alors que la mer, elle est à deux pas de nous… »
Mais Macron dans son grand plan pour Marseille a annoncé 4 nouvelles lignes de tram et 5 nouvelles lignes de bus à haut niveau de service. Vous y croyez à ses promesses ?
« Ils nous ont appris à devenir des Saint Thomas. Donc on essaye de croire ce qu’on voit. Même quand on sait que le vent, il existe, mais on ne le voit pas. Par contre la seule chose que je pourrais dire aux citoyennes et citoyens qui habitent ces quartiers-là, c’est que ce qui est décidé sans nous l’est réellement contre nous ! Il n’y a pas mieux que celui qui ressent la douleur, la vie, pour l’exprimer. Aujourd’hui, lors de la venue de Macron, quelles sont les personnes qui ont pu exprimer cette douleur, qui ont pu montrer le désarroi que l’on vit dans nos quartiers ? Quand il arrive dans un quartier, on le nettoie pour l’arrivée de notre cher président. Peut-être que cette poubelle et ces déchets qui traînaient dans la rue ça risquerait de lui piquer aux yeux ? En oubliant que ça pique notre vie, notre dignité ! Ça nous humilie de vivre au milieu des déchets. La Savine, où j’ai vécu, est un quartier extraordinaire par sa diversité. Il y avait des Chinois, des Sénégalais, toutes les races. On a grandi dans un des plus beaux quartiers au monde pour moi. Qu’ont-ils fait ces responsables alors que nous avons payé nos loyers pendant 20-30 ans ? Ils ont décidé de détruire ces bâtiments et de reloger ces personnes-là dans d’autres quartiers. Mais ils ont oublié qu’ils ont causé des dommages collatéraux. Quand un enfant s’installe dans un quartier qui n’est pas le sien, il va falloir qu’il prouve que c’est un bonhomme, un fou, qu’il est plus fou que le fou. Donc, inconsciemment, les bailleurs ont contribué à cette délinquance. Inconsciemment, ils ont contribué à cette fracture sociale en déracinant une grande famille. Sur les hauteurs de la Savine, on domine Marseille. Nous avons la forêt, la nature. Et elle revient à qui ? Aux riches ? Mais en tout cas pas aux quartiers nord. On y trouve une grande serre immense qu’on laboure. Ce n’est pas des jeunes des quartiers qui travaillent là-dedans… Ces fruits et légumes, ils sont vendus ailleurs. Et c’est une violence terrible. »
Avec l’Après M, il y aura aussi des jardins partagés ?
« Je dirais des jardins nourriciers où on explique aux enfants qu’il faut qu’ils se familiarisent avec la terre. On souhaiterait créer un jardin plutôt avec des plantes médicinales afin d’expliquer à cette jeunesse qu’on peut essayer de se soigner autrement qu’avec des médicaments. »
Alors encore 45 000 souscriptions à 25 euros à réunir ?
« Comme on dit : à cœur vaillant, rien d’impossible ! »
Propos recueillis par Michel Gairaud, mis en forme par Kellie Provost
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