Gala de gaffes au lycée
Qui n’a jamais été interloqué par le bleu très définitif du panneau indiquant la « fin provisoire d’autoroute » juste avant Gap ? A croire qu’entre Provence et Dauphiné, on est bien dans ce sud chanté par Nino Ferrer où « le temps dure longtemps ». Pourtant, en fin de mandat, le maire (UDI) Roger Didier multiplie les chantiers, la municipalité s’enorgueillissant d’être « la ville moyenne la plus attractive de la région ». En fait, la « moins fragile » dixit le « commissariat à l’équilibre des territoires ».
Gap, ça veut dire aussi « écart ». Ce qu’illustre le chantier du lycée Dominique Villars. En 2014, la Région investit 12 millions d’euros pour réhabiliter cet établissement napoléonien et voir sortir de terre un « plateau scientifique », un « CDI »… Date de livraison ? 2019. Las, du côté du bâtiment « post-bac », ça coince. Avec un bras de fer entre l’Area, l’agence en charge des « grands travaux » de la Région, et l’architecte du chantier, Frédéric Nicolas. Adepte d’une architecture « bioclimatique » et du bois, il est en train de voir avec lequel se chauffe cette structure présidée par Pierre-Paul Léonelli, ancien « dir’cab » du feu-maire de Nice, Jacques Médecin.
Juin 2017 : alors que le bâtiment est achevé à 80 %, le contrôle technique (qui s’assure de la conformité du chantier) passe de Veritas à Qualiconsult. Un prestataire qui, après un marché de 105 000 euros fin 2016 auprès de la Région, rafle la mise trois mois plus tard : 3 millions d’euros, répartis en 19 lots, pour assurer la « mission de contrôle et de vérification technique pour les travaux de gestion du patrimoine » sur « 186 sites ». Essentiellement les lycées.
Paroxysme et négligence
Pour Bernard Jaussaud, ancien élu municipal et régional (PS) à Gap, changer de contrôleur en cours de route est pour le moins « inhabituel et surprenant ». Même son de cloche de l’ancien élu (PC) aux lycées, Jean-Marc Coppola. La Coprec, fédération qui chapeaute ces organismes « tierce partie », va plus loin, expliquant que s’il est fait appel à plusieurs contrôleurs, il faut que l’un d’eux soit désigné « pour coordonner l’ensemble des missions de contrôle. Il faut donc les connaître à l’avance et l’un d’eux doit coordonner le tout. Impossible avec deux marchés successifs indépendants. Cette démarche est donc anormale, contraire au code de la construction, et dangereuse ».
Pour justifier ce changement, la Région met en avant les « relations difficiles » entre Veritas et le bureau d’études de l’architecte. Fin 2016, il s’est en effet fendu d’un courrier très critique à l’égard du bureau de contrôle, écrivant : « Il est inenvisageable que notre bureau d’études pâtisse d’une quelconque appréciation négative dans notre travail pour la cause avérée d’une négligence poussée à son paroxysme. » Sans pour autant demander à changer de contrôleur.
Car, en l’espèce, on tombe de Charybde en Scylla. Début 2018, alors que les « opérations préalables à la réception » sont lancées, Qualiconsult présente ses premiers « avis défavorables ». Notamment à l’égard de la « solidité » de la toiture. Pour le bureau, il y a un « défaut de ventilation ». Qui « peut amener à des condensations non maîtrisées » avec « risque de moisissures de l’isolant » et d’une « diminution de la solidité de l’élément porteur en bois voire des éléments de structure » ! Impossible d’ouvrir dans ces conditions. L’architecte est mis en demeure de rectifier le tir avant de voir résilier son marché ! Si la sollicitation du « comité de règlement amiable des litiges en matière de marchés publics » n’aboutit pas, le tribunal administratif, malgré l’opposition de la Région, désigne un expert. Dont les conclusions, fin 2018, ne sont pas tendres pour le bureau de contrôle.
Contrôles et blocage
D’après lui, en évoquant un « désordre futur », Qualiconsult souhaitait « avant tout dégager sa responsabilité ». Et d’asséner : « L’attestation de solidité à froid n’aurait jamais dû faire l’objet de la remarque techniquement infondée de Qualiconsult. » Il enfonce le clou en indiquant, suite à une visite sur place, qu’« à ce jour, aucun dommage lié à la couverture litigieuse n’a été déclaré par le maître d’ouvrage ».
Le chantier n’en reste pas moins au point mort. Car il est « à tiroirs » : qu’un élément soit bloqué et il est impossible de lancer la suite ! Confirmation du maire : ce n’est que le « 2 mai » qu’un « avis favorable » a été rendu. « Le bâtiment ouvrira ses portes à la rentrée », précise Roger Didier. Mais pas question pour la Région, que l’on a sollicitée en vain, de revenir sur l’avis de son contrôleur. Ou sur la résiliation du marché confié à l’architecte, qui devrait saisir la justice administrative pour annuler cette décision. Soupir de l’édile : « Pour la suite du chantier, il va falloir relancer un appel d’offre. »
Mais, quand on rentre dans le détail, il botte en touche : « Je suis élu à la Région mais cela ne relève pas de mes compétences. » L’Area refuse de nous répondre. Ni Veritas ni Qualiconsult ne daignent nous éclairer. Et au lycée, le proviseur nous renvoie à la Région. De fait, au sein de l’établissement, on est à peine au courant. Confidence au conseil d’administration : « On n’a eu aucune explication et on n’en a pas demandé. Un chantier en retard, c’est classique. En outre, ça concerne le « post-bac ». Et ce n’est pas comme si les élèves étaient dans des Algeco… »
Philosophe, le maire préfère mettre en avant le fait que le collège attenant au lycée va, lui aussi, bénéficier de travaux. Quand on lui rappelle qu’il les réclame depuis 2017, il lâche : « Vous savez, c’est toujours compliqué de faire du neuf avec du vieux… »
Sébastien Boistel
Enquête publiée dans le Ravi n°174 daté juin 2019