J'veux du soleil
Comme l’a rappelé le maire (PS) de Marseille Benoît Payan au président de la République Emmanuel Macron, la cité phocéenne a le sens de l’accueil. Sinon comment Richard Martin, le patron du théâtre Toursky et actif soutien de l’ancien leader de la droite Bruno Gilles, pourrait ouvrir ses portes au député Insoumis François Ruffin et son dernier film ?
Mais, comme l’ont souligné la sociologue Camille Allaria et la psychiatre Aurélie Tinland dans leur étude « Les population sans logement à l’épreuve du confinement à Marseille », la crise du Covid a mis à mal les capacités d’accueil de la ville. Alors, écrivent-elle, « du fait de la méconnaissance du nombre de personnes sans logement et de l’état précis du parc immobilier mobilisable, une des solutions largement retenues par les pouvoirs publics fut de mobiliser le parc hôtelier ». Un recours que les chercheuses qualifient d’« abusif », pointant les situations les plus dramatiques.
La valeur de l’action
La crise a toutefois desserré des contraintes, comme le nombre de nuitées, et a permis à des équipes mobiles d’investir davantage le terrain. Cela s’est aussi traduit par des expériences inédites. Comme l’accueil d’avril à juin 2020 de près de 200 personnes sans-abri au Village Club du Soleil, un village vacances au cœur de la Belle de Mai, une résidence trois étoiles dans les anciens locaux de la maternité du quartier. Situé juste à côté de la Friche et en bordure des voies menant à la gare Saint-Charles, cet îlot de verdure abrite, entre autres, la seule piscine d’un des quartiers les plus pauvres en France.
Le Club Soleil s’affiche modeste : « On n’est pas à l’origine du projet et l’on n’a été qu’hébergeur, souligne la responsable Armelle Cizeron. Et puis, le Club Soleil, ce n’est pas l’Intercontinental ! Mais comme avec le confinement nos établissements étaient fermés, on s’est porté volontaire. Autant que nos lits et nos chambres soient utiles ! »
Dans le sillage du « Lab Zero » et de bien des dispositifs expérimentaux, l’initiative a associé des acteurs parfois aux antipodes les uns des autres. Ce que reconnaît sans peine Jean-Regis Rooijackers, de Médecins du monde, également chargé de mission chez Just : « On est une communauté d’acteurs qui veulent, face à la saturation des structures, apporter des réponses concrètes. Arrêtons de demander à l’État de remplir son rôle, soyons proactifs. Quitte à réunir des acteurs que, a priori, tout oppose. Comme par exemple Nouvelle Aube et Yes we camp. Mais qui partagent comme valeur celle de l’action. »
Dont acte puisque la « Conciergerie collective et solidaire » associera les acteurs précités ainsi que l’APHM ou encore le « Club Immobilier Marseille Provence ». Jean-Régis Rooijackers se souvient de la méfiance. Et d’un coup de fil affolé d’un représentant des pouvoirs publics : « Vous êtes en train de vider les bidonvilles au Club Soleil ! » Sur près de deux mois, le village vacances accueillera « 180 personnes vulnérables dont 53 enfants ». Des familles donc mais aussi des personnes ayant des problèmes psy, des addictions, des sans-papiers…
Couettes… trop molles
« On était aux antipodes de ce que peuvent vivre les familles qui s’entassent dans une chambre d’hôtel. Un extérieur, pour des enfants, quoi de mieux ? Mais aussi pour quelqu’un qui décompense, plus facile à gérer dans un tel environnement que quand une crise survient dans une chambre ou un couloir », s’enthousiasme celui qui est passé par HAS (Habitat Alternatif Social) et qui s’est investi dans le domaine de la réduction des risques. Et d’insister : « Ce qu’on ne voulait pas, c’était refaire un foyer. Où les gens ne sont vus que comme des problèmes. »
D’où l’intervention, entre autres, du collectif Vélos en ville, de l’association Fotokino ou du Badaboum Théâtre. De fait, le Club Soleil s’est voulu un lieu « pour souffler et initier des accompagnements sanitaires et sociaux ». Dans le détail : « plus de 220 rendez-vous liés aux soins » (notamment des « suivis psychologiques » mais aussi de « grossesses »), « plus de 70 rendez-vous » dans une démarche de « réduction des risques » et d’« accompagnement au droit commun », une soixantaine pour des soins en « libéral », plus de 120 en direction des « structures de soins marseillaises » et plus d’une centaine avec une « assistante socio-éducative et/ou une éducatrice spécialisée ».
« Ça s’est globalement bien passé, affirme Armelle Cizeron. Il y a bien eu quelques difficultés avec des personnes qui avaient des problèmes psy et, lorsqu’il y a eu violence, les personnes ont été dirigées vers des structures plus adaptées. » Elle se souvient encore de cette personne « qui n’osait pas dormir dans sa chambre. Une autre, c’était dans son lit. Les couettes lui paraissaient trop molles, elle n’avait pas l’habitude ! »
Et d’ajouter : « Même si notre métier c’est le tourisme et qu’on n’a pas l’intention d’investir le terrain du social, si c’était à refaire, on le referait. D’autant qu’en travaillant à la Belle de Mai, ces personnes, cette misère, on les croise tous les jours le matin et le soir. » Tout en s’interrogeant : « Je me demande si cette parenthèse, en soi, n’a pas été un peu violente. On leur promettait quoi ? Que ce serait ça, le monde d’après ? » L’expérience s’est en effet arrêtée avec l’arrivée de l’été et des touristes. D’après le bilan de l’action, sur les 180 personnes passées par le Club Soleil, près d’un quart sont « parties sans donner de nouvelles », un tiers ont été accueillies en « centre d’hébergement », la majorité (plus de 40%) retournant à l’hôtel. Des hôtels sans étoile…