Nos Italiens solidaires
Les Italiens ont longtemps constitué la communauté étrangère la plus nombreuse en France, et a fortiori en Provence-Alpes-Côte d’Azur, région frontalière. Jusque dans les années 1970, ils ont subi les foudres racistes avant que d’autres étrangers ne deviennent les boucs-émissaires.
« Dans les années 1950, ils faisaient peur parce que les femmes étaient vêtues tout de noir et voilées », se souvient Gérard Fromm, le maire (DVG) de Briançon (05) qui était minot à l’époque. Aujourd’hui, sur son territoire alpin, les migrants d’Afrique de l’Ouest sont les nouveaux « macaronis » de certains habitants (Cf le Ravi n°164). Heureusement, sous l’œil bienveillant de la municipalité, beaucoup d’autres se portent solidaires. Et ils sont rejoints par des voisins piémontais qui viennent soutenir. De quoi enquiquiner Matteo Salvini, l’agitateur d’extrême droite, devenu ministre de l’Intérieur de la république transalpine. Installés en Paca, de ses compatriotes de tous âges s’investissent pour défendre un tout autre monde que celui qu’il professe.
Laura Monda, 55 ans, partage sa vie entre Nice et Turin. Elle a émigré dans les Alpes-Maritime en 2005, « par choix et pour donner une autre possibilité à [ses] enfants ». Son engagement transfrontalier débute en 2016 à Vintimille. « A chaque trajet de retour, je pleurais tout le temps, parce que je savais que la nuit, des migrants prenaient des risques pour traverser la frontière. Et je pouvais la franchir tranquillement pour rentrer chez moi », soupire celle qui était alors gérante d’un magasin-restaurant bio dans le centre de Nice. « Pendant la guerre en Yougoslavie, j’étais bénévole dans un camp proche de Zagreb. A Vintimille, j’ai rencontré des femmes qui ont subi les mêmes sévices que là-bas. Ça m’a fait vraiment un choc », poursuit Laura qui ne laisse pas son engagement derrière la frontière. A Nice, elle accueille chez elle et s’insurge du sort réservé au jeunes étrangers majeurs, « mis dehors de leurs foyers comme cadeau de leurs 18 ans ! ».
En terre niçoise, Teresa Maffeis donne du fil à retordre à des Ciotti et Estrosi. La binationale, originaire d’Orléans où elle est devenue prof, s’est installée à Nice en 1975. Étudiante à Nanterre en 1968, c’est là qu’elle a commencé à militer. En son temps, le maire Jacques Peyrat (élu RPR en 1995, transfuge du FN) l’a surnommée « la punaise verte », en référence à sa tenue toujours de cette couleur et son inaltérable activisme. A 69 ans, Teresa est toujours de tous les combats : pour dénoncer les politiques anti-mendicité, anti-Roms, les agissements de l’extrême droite, le sort réservé aux migrants… et même sur quelques questions écologiques en Italie.
« Le vert c’est la couleur de Salvini, alors quand je vais en Italie ses partisans me félicitent », grince celle qui est poursuivie dans ce pays pour « participation à une manifestation non-autorisée ». « L’interdiction de territoire » est la seule condamnation possible qui inquiète Teresa. « Je ne pourrais pas retourner dans mon pays », s’émeut-elle. C’est qu’elle envisage même de s’installer de l’autre côté de la frontière. « Je ne vais jamais dans les bars à Nice parce que je m’emmerde, alors qu’en Italie il y a dix bars par rue qui sont pleins de gens qui se parlent. Et dans les manifs à Nice, si on voit 10 jeunes on est content. Tandis qu’à Vintimille ils sont nombreux », témoigne-t-elle.
De la situation politique en Italie, Roberto Sole, 29 ans, n’en « fait pas une raison pour être ici ou là-bas. Même si j’ai de plus en plus de copains à Napoli qui sont en colère. Alors j’en profite d’y aller quand il y a des mouvements qui s’organisent », raconte ce Romain de 29 ans qui a posé ses valises dans la communauté autogérée de Longo Maï à côté de Forcalquier (04). « J’aurais pu m’imaginer au milieu d’un projet similaire en Italie mais je n’y trouvais pas le côté politique et le lien entre les luttes rurales et urbaines », explique-t-il. Avec quelques amis de Longo Maï, Roberto vient de temps en temps sur Marseille pour prêter main forte au combat du quartier de La Plaine qui veut garder sa place populaire.
Manu Schiavoni, originaire de la région des Marches sur la côte Adriatique, vit depuis 2003 à Marseille. « J’étais venu pour une semaine et ça fait 16 ans que je suis là », s’amuse le quadragénaire. En 2011, après une vie bien remplie, d’étudiant en sciences sociales et de bénévole dans plusieurs associations, il lance la Casa Consolat avec des amis, au numéro 1 de la rue du même nom. Le lieu propose une cantine quotidienne avec une fourchette de prix en fonction des moyens de chacun, et pleins d’activités culturelles. Pour nombre de Marseillais, la Casa Consolat s’apparente à un lieu de vie de la culture italienne. « Des musiciens italiens qui faisaient de la musique traditionnelle se sont vite raccrochés au local. Mais on ne se professe pas en centre culturel italien. On a aussi l’université populaire, des concerts de toutes sortes de musiques, des cours de russe, de chinois… » A la Casa Consolat, les Italiens émigrés des années 2000 se retrouvent et partagent avec moulons d’autres cultures. A la façon de Marseille.