Tête de Kurde
« On se retrouve ici, inlassablement depuis 40 ans. On bat le pavé, on crie, on hurle, on appelle au secours. On dit à la France : « Arrêtez de donner des armes aux Turcs. Les bombes que vous leur livrez sont envoyées sur la tête de nos enfants, de nos familles. Ne vous rendez pas complices des crimes commis « . » Salih Azad est le porte parole du Centre démocratique kurde de Marseille. Comme chaque samedi, à 18h00, il retrouve le reste de la communauté en haut de la Canebière pour défiler. La région Paca compte environ 15 000 kurdes. Après Paris, Marseille est la ville où la communauté est la plus importante, ils sont principalement originaires de Turquie.
Sans pays, les Kurdes seraient entre 30 et 40 millions, ce qui en fait le peuple apatride le plus important du monde. Ils vivent à cheval sur quatre territoires, la Turquie, la Syrie, l’Irak et l’Iran, appelés le Kurdistan mais qui n’a pas d’existence réelle. Ils y sont le plus souvent victimes d’exactions. Les Kurdes de Turquie représentent 24 % de la population soit 15 millions. Actuellement des milliers d’entre eux croupissent dans les geôles d’Erdogan. Et plus de 4000 villages ont été détruits. En ce samedi, les militants attendent que les Gilets jaunes aient terminé leur manifestation pour entamer leur marche et se saisir des drapeaux. Celui du Kurdistan est rouge, pour la combativité et les martyrs. Blanc, pour la paix et la prospérité. Vert pour les collines, surmonté d’un soleil pour « la force sacrée des origines » dont les 21 rayons désignent le nouvel an kurde qui a lieu le 21 mars.
Cris de désespoir…
D’autres drapeaux représentent le portrait d’Abdullah Öcalan, leader du Parti des travailleurs kurdes (PKK), enlevé en 1999 par les services secrets turcs, condamné à mort, peine commuée en prison à vie en 2002 lorsque la Turquie renonce à la peine capitale pour plaire à l’Europe. Le PKK est sur la liste des organisations terroristes d’une grande partie de la communauté internationale, dont l’Europe. À ce jour, le leader est toujours emprisonné sur l’île d’Imrali au sud d’Istanbul et ne reçoit plus de visite ni de sa famille, ni de son avocat.
C’est pour dénoncer les conditions de détention et la mise à l’isolement du chef de file, que des militants kurdes ont entrepris une grève de la faim. « Pour un retour à un processus de paix, il est évident qu’il faut que leur leader soit en mesure de parler », explique Nicolas Cheviron, correspondant de Mediapart en Turquie et, ponctuellement, dans le Ravi. La grève de la faim a été initiée, le 8 novembre dernier, par la députée Leyla Guven, du parti démocratique des peuples (HDP), parti de gauche et pro-kurdes. Considéré par le président turc comme la vitrine politique du PKK. Arrêtée en janvier 2018 après avoir critiqué l’offensive turque dans l’enclave à majorité kurde d’Afrine, un tribunal turc a ordonné sa libération fin janvier 2019 à cause de son état de santé très fragilisé. Ils sont des centaines de militants emprisonnés à observer une grève de la faim dans les prisons turques. Sept prisonniers politiques, ont mis fin à leur vie.
Un mouvement de protestation qui a gagné depuis décembre la diaspora. À Strasbourg ils sont une quinzaine à ne plus s’alimenter, dans l’espoir d’alerter les parlementaires européens. Enver, la cinquantaine, installé à Marseille est monté à Strasbourg pour participer pendant une quinzaine de jours. Il a passé 10 ans en prison en Turquie et un an à Fresnes pour « association de malfaiteurs » avant d’être acquitté, comme c’est souvent le cas pour les militants kurdes faute de preuve de leur appartenance au PKK.
« Jusqu’ici, ceux qui s’intéressaient à la question kurde connaissaient notre lutte. Mais c’est depuis Kobané, les femmes peshmergas et le combat contre Daesh que les médias s’intéressent à nous et arrivent à poser des mots sur notre lutte », souligne Naz, en France depuis 2002 où elle vit avec son époux, réfugié politique. « Il y a beaucoup d’enjeux économiques et politiques sur notre territoire. Notre lutte est sans fin, mais notre constance a donné de l’espoir aux jeunes, et aux féministes aussi, celui d’une autre alternative possible. »
… et silence assourdissant
Les élections municipales du 31 mars ont été un coup dur pour Erdogan qui a vu son parti, l’AKP, perdre Istanbul et Ankara. Le président turc était pourtant très engagé dans la campagne, multipliant les meetings, jouant sur la peur et les complots. Mais la répression sanglante de 2016 (55 000 arrestations et 150 000 fonctionnaires limogés) a laissé des traces dans les urnes. « La plupart des maires du HDP, élus dans le sud est de la Turquie en 2014 et qui étaient à la tête de 110 mairies ont été destitués pour 95 d’entre eux, remplacés par des administrateurs judiciaires proches d’Erdogan à l’automne 2016 au moment des purges, explique Nicolas Cheviron. Les élections qui ont eu lieu le 31 mars étaient l’occasion pour eux de prendre une revanche, ils y sont presque arrivés. » Une soixantaine de mairies ont été récupérées, dont deux sur quatre chefs lieux. Une quarantaine de maires kurdes demeurent encore en prison. « Dans la région kurde, il y a de sérieux problèmes économiques depuis que les combats avaient repris à l’été 2015 entre l’armée turque et le PKK, même si ça s’est calmé les investissements dans la région sont à l’arrêt », souligne le journaliste.
Des personnalités de la culture et de la politique ont signé une tribune dans L’Humanité le 19 avril dernier « Pas un kurde ne doit mourir sur notre sol » pour alerter les pouvoirs publics. L’association Solidarité-Liberté a lancé une pétition pour demander à l’Europe de réagir. « Les villages kurdes rasés deviennent des zones militaires turques. Il faut mettre fin au silence assourdissant de la communauté internationale », s’insurge Annick Samouelian, coprésidente en Provence. Pierre Dharréville (PCF), député des Bouches-du-Rhône, fait partis des élus de Paca qui parrainent des élus du HDP, une initiative de l’association. « On contribue à les mettre modestement sous protection. C’est une mesure symbolique », explique le député très attaché à la cause. Il n’a jamais rencontré Bardan Özturk, député HDP qu’il parraine car ce dernier ne peut pas sortir du territoire : « Et je viens d’apprendre que le gouvernement turc demande la levée de son immunité parlementaire », s’inquiète l’élu.
« Il y a une dizaine d’années, l’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides) donnait une protection presque systématique aux kurdes. Aujourd’hui, c’est de moins en moins le cas », explique une humanitaire qui gère des dossiers de demande d’asile. « L’OFPRA ne les considère pas comme des personnes persécutées, elle estime que dans les textes de lois les Kurdes de Turquie notamment sont protégés, même si dans les faits c’est tout autre chose… », poursuit-elle. Beaucoup de jeunes arrivent sur le territoire souvent pour échapper au service militaire. Même déboutés, ils restent et trouvent du travail dans le bâtiment.
« L’OFPRA a des quotas mais certains arrivent quand même à obtenir le titre de réfugié politique », précise Salih Azad. « Les gens pensent que les conditions se sont durcies ces dernières années, en Turquie pour les Kurdes, mais en réalité c’est comme ça depuis les années 80 ! », poursuit le militant. Avant de conclure : « Pour Erdogan, un bon Kurde c’est un Kurde mort ».
Samantha Rouchard