Avec Mathilde Chaboche, ça déménage !
D’un point de vue immobilier, le Ravi est bien entouré. À côté, le cabinet Berthoz, propriétaire entre autres du 67 rue d’Aubagne. Et, jusqu’à peu, on aurait pu croiser dans le quartier l’adjointe à l’urbanisme Mathilde Chaboche. Mais elle vient de déménager. Un départ que certains de ses anciens voisins ne goûtent guère, les problèmes de l’îlot où elle habitait, entre deux parallèles qui mènent à la Canebière, le boulevard de la Libération et la rue Consolat, restant entiers.
La future élue emménage en 2016 au 36 rue Consolat qui fait l’angle avec la rue Bourgat. D’après une voisine, « elle s’est tout de suite impliquée dans la vie de l’immeuble ». À l’époque, les propriétaires – dans leur immense majorité occupants – tentent de se coordonner pour réaliser les travaux nécessaires dans un ensemble où, par leur situation et leur conception, les immeubles, se distribuant autour d’une cour intérieure, sont solidaires les uns des autres.
Et les problèmes ne manquent pas ! Si le 36 rue Consolat est relativement épargné, ce n’est pas le cas de l’immeuble juste au-dessus, le 37 boulevard de la Libération, à l’angle de deux rues en pente. Ni de celui juste à côté, le 38 rue Consolat où l’on ne compte plus les fissures. C’est là que vit Bruno Le Dantec : « Quand ma fille a vu la vidéo d’un immeuble rue d’Aubagne avant qu’il ne s’effondre, elle m’a dit “ici, c’est la même chose !” Et quand des agents de la mairie ont débarqué en décembre 2018 en criant “arrêté de péril”, on a tous cru qu’on était bon pour l’évacuation. Face aux fissures, l’un d’eux a dit : “Elles sont pas belles” ! J’ai expliqué que des travaux allaient être lancés, qu’on avait le diagnostic d’un architecte… Sauf qu’il date de 2014. Et les travaux, on les attend encore. »
Imbroglio de fissures
En 2014, l’architecte Marc Verret constate que « la capacité porteuse du terrain s’est réduite déstabilisant l’ensemble ». Il ne tranche pas sur les causes : « infiltration par les réseaux dans la cour », « assèchement de la nappe phréatique »… Mais, pour lui, le 36 Consolat, « situé au point le plus bas semble avoir amorcé un basculement », emportant « avec lui les murs communs avec les bâtiments n°37 Libération et n°38 Consolat », les « planchers » accompagnant « le mouvement ».
Khaira Boidin au 37 Libération ne décolère pas : « Mon assureur avait déjà établi un diagnostic en 2009. » Suite à des fissures dans sa cuisine, un « rapport d’expertise » fait état de « désordres structurels » et enjoint le syndic à « prendre les dispositions qui s’imposent » en insistant : « La loi de 1965 vous oblige à la conservation et à l’entretien de l’immeuble. »
Confirmation des études réalisées en 2018-19, pointant des « fondations établies à faible profondeur » et une « mauvaise gestion des eaux pluviales » (il y a même un puits dans la cour avec l’eau pas loin !) La solution ? Des « réparations structurelles » avec « renforcement par injection de résine ». Même si le 40 Consolat ou le 39 Libération ne sont pas de la partie, début 2020, pour trois immeubles (36-38 Consolat et 37 Libération), un calendrier de travaux se dessine. Las, le Covid gèle la situation.
Ça n’empêche pas la Soleam, la société d’aménagement métropolitaine, de mettre la pression sur le ravalement de façade ! Et, du côté de la métropole justement, les propriétaires font chou blanc. Alors, à la veille de la rentrée 2020, notant que la « nouvelle maire de Marseille considère la résorption de l’habitat dégradé comme une priorité » et pensant que « l’appui des services municipaux, forts d’une nouvelle volonté politique, est à même de nous aider à débloquer la situation », plusieurs d’entre eux veulent interpeller la ville. Pour « encourager les différents syndics et intervenants à agir ensemble et au plus vite », « renouveler le moratoire sur le ravalement de façade » et « nous informer des aides financières publiques »…
Ils comptent solliciter la maire de secteur Sophie Camard, l’adjoint au logement Patrick Amico ainsi que leur « voisine Mathilde Chaboche, écrivent-ils. Non pour lui demander un piston malvenu mais pour qu’elle nous indique la plus rapide marche à suivre ». Sa réaction ? Plutôt fraîche : « Merci de ne rien envoyer en notre nom à tous avant que je ne vous aie répondu et me sois penchée sur le sujet », réplique-t-elle par mail. Dans son sillage, plusieurs de ses voisins font part de leur inquiétude face à cette démarche, craignant l’expulsion.
Avenir en commun
Une de ses voisines se veut indulgente : « Comme elle est partie prenante, difficile pour elle de s’impliquer. Et puis, elle n’a plus le temps. Nos problèmes doivent lui sembler négligeables. » La missive sera finalement envoyée en septembre et débouchera sur un rendez-vous en novembre avec Sophie Camard et Patrick Amico. Dans la foulée, la maire de secteur invite les syndics pour parvenir au « montage d’une solution commune ». Et de rassurer quant au dépôt d’un dossier auprès de l’Anah, l’Agence nationale de l’Habitat : « Cette démarche ne signifie pas que les immeubles sont en péril. Elle a justement pour but d’éviter cette situation. »
La réunion a lieu le 6 janvier. Ce jour-là, coup de théâtre : par mail, Christophe Gavaudan, du cabinet d’Agostino, en charge du 37 Libération, annonce que ce dernier ne souhaite « pas prendre part aux travaux communs » ! Il avait pourtant pour charge de coordonner les copropriétés. Peu après, il est mis fin à la mission de l’architecte présent depuis 2014. Qui, amer, écrit : « Le principal problème reste encore et toujours de faire comprendre aux 7 copropriétés qu’elles ont une cour commune, des murs porteurs communs, des réseaux pluviaux et d’assainissement communs et donc un avenir commun. » Un mois plus tard, des bouts de façade s’effondrent dans la cour.
Face à un « dossier mal né », Gavaudan reste droit dans ses bottes. Pour lui, « le diagnostic de l’architecte est erroné. D’après plusieurs bureaux d’études, le mouvement du 37 boulevard de la Libération n’est pas lié à celui des 36 et 38 Consolat ». Il s’appuie sur l’avis fin 2019 de l’ingénieur béton Michel Beaudet de Poly-Structures pour qui « la cause des désordres est plutôt à chercher vers un tassement du mur mitoyen entre le n°39 et le n°41 [Libération] voire le n°37 et le n°39 ». Même constat fin 2020 d’un autre ingénieur, Xavier Brouck.
Toutefois, rappellera l’architecte, il en faisait déjà état dans son rapport de 2014. Et ses collègues ingénieurs pointent comme lui le « tassement du 36 Consolat ». Début 2019, Beaudet indique, à propos du 37 Libération : « L’absence de dilatation entre les immeubles n’interdit pas un effet d’arrachement du 36 de la rue Consolat sur votre immeuble et le confortement du sol rue Consolat ne pourra aller que dans le sens de la sécurité pour le 37 Libération. »
Il enfonce le clou début 2020. Pour lui, le 37 Libération « est directement lié au 36 Consolat et au 39 Libération, soit aux deux immeubles impactés par le basculement pour l’un et par le tassement pour l’autre. Il semble que la solution de renforcement de sol via injection de résine soit la plus appropriée dans les deux cas (basculement et tassement) » (1).
Ni son, ni image
Face au revirement de son collègue du 37 Libération, le syndic du 39 n’est pas tendre avec lui : « Vous souhaitez faire supporter à vos voisins une éventuelle cause, ce qui m’étonne d’un professionnel sur un immeuble de plus de 100 ans construit en angle de rue sur un sol meuble avec contre votre immeuble un puits sur un boulevard en forte pente. »
Depuis ? La situation est en stand-by. De fait, d’après plusieurs sources, lors de la réunion en mairie en janvier, l’atmosphère aurait changé quand les élus ont eu vent de la présence dans l’histoire de leur collègue de l’urbanisme. Commentaire d’un fin observateur du secteur, « c’est kafkaïen. Et cela aurait pu être géré autrement. Avec des propriétaires prêts à travailler ensemble, cela aurait pu être un exemple. Las, la ville a des leviers. Mais elle ne les utilise guère ». Idem pour Bruno Le Dantec : « Il y a des situations plus dramatiques. Mais, entre les syndics, la métropole, la Soleam, ce qu’on vit, c’est un véritable cas d’école. » Et une voisine de soupirer : « Au-delà des discours, on a l’impression que les pouvoirs publics sont impuissants. Quant aux professionnels de l’immobilier, derrière les chartes, il n’y a rien. Et nous, propriétaires occupants, on est coincé entre les deux. »
L’adjoint au logement Patrick Amico nous donne sa version : « Depuis janvier, on n’a plus le son ni l’image. Même si on n’a pas à s’immiscer d’avantage, j’ai indiqué que si rien n’était fait et si la situation se dégradait, on pourrait prendre un arrêté de mise en sécurité et demander des travaux d’office. Quant à la présence de Mathilde Chaboche, on ne l’a su qu’après. Cela n’a eu aucune influence et elle est depuis hors du jeu. »
Et Mathilde Chaboche s’explique : « Quand on est arrivé en 2016, on savait qu’il y avait des travaux à faire. Et moi, sociologue et urbaniste, je me suis attelée à mettre tout ce petit monde en mouvement. Cela n’aurait pas été logique que chacun agisse dans son coin. » Mais avoue l’adjointe au logement, « je ne voyais pas le sens de demander une réunion en mairie. Comme il n’y a pas de péril… Et puis, la ville a d’autres urgences ! Naturellement, je me suis déportée du sujet. » Elle reconnait néanmoins le « rôle pédagogique de la mairie de secteur » comme « la difficulté pour le citoyen à trouver la bonne info ». Aujourd’hui, elle part « en tout quiétude. On n’aurait pas vendu s’il y avait eu incertitude sur l’issue. Là, les travaux doivent démarrer cet automne. Et on a payé notre quote-part ».
Un optimisme que ne partagent pas tous ses voisins. « Si chacun intervient de son côté, ça peut déstabiliser l’ensemble », s’inquiète Khaïra Boidin, boulevard de la Libération. Quand un bout de façade s’est effondré, elle écrira : « Quel enseignement avons-nous tiré du drame de la rue d’Aubagne ? » Son assurance enfonce le clou : « Il est légitime de s’interroger sur le risque pour les occupants de (ou des) l’immeuble en l’absence de travaux importants qui n’ont toujours pas été réalisés. » Et cet été, l’ingénieur béton, suite à une visite dans l’immeuble, d’interpeler : « Il nous semble urgent de purger les éclats d’enduit intérieur et extérieur afin d’éviter des dégâts corporels et/ou matériels. » Chez d’Agostino, en attendant de nouveaux diagnostics, on table au mieux pour des travaux l’an prochain. Avec le retour du Printemps ?
1. L’architecte ne nous a pas répondu. Pas plus que l’ingénieur béton.