Les effluents vinicoles de la colère
« On a appris l’existence du projet d’usine la veille de Noël. Je suis venue pleurer sur mon terrain », raconte Marie-Blanche Bonhomme, infirmière libérale dont la maison est quasi terminée. « Ce sont les économies de toute une vie. Avant, je me faisais une joie d’emménager, maintenant je n’en dors plus la nuit », souligne-t-elle, dépitée. Elle qui justement avait choisi un terrain sans vue sur l’ancienne distillerie, risque pourtant d’en subir les nuisances. Chemin de la Régalette, sur les hauteurs de Saint-Maximin-la-Sainte-Baume (83), 18 lots à bâtir ont été vendus l’an dernier et, depuis, des maisons y ont été construites.
À aucun moment, les acquéreurs n’ont été prévenus d’un projet d’usine de traitement des effluents vinicoles à quelques mètres de leur future habitation, à la place d’une ancienne distillerie dite en sommeil depuis 2012 et censée être démantelée sous peu. C’est en tout cas ce que leur a affirmé le promoteur, Didier Brémond, agent immobilier, mais surtout maire LR de la commune de Brignoles et président de la communauté d’agglo de la Provence verte, dont Saint-Maximin fait partie. Lui-même a acheté ces terrains en 2013 à Azur Distillation, coopérative viticole de Vaucluse (84) à laquelle appartient la distillerie. Depuis, les nouveaux propriétaires, des Saint-Maximois et d’autres habitants limitrophes se sont regroupés en association SOS cadre de vie et en collectif. Ils seraient autour de 900. Des marches ont été organisées et leur pétition contre le projet affiche 6742 signatures.
Propriétaires en carafe
La Dreal (Direction régionale de l’environnement) a donné un avis favorable au projet. Mais Pascal Auda, écologue et propriétaire dont la future maison est à 35 mètres de l’usine, a épluché le dossier présenté par le porteur de projet Azur Bio Traitement (ABT), filiale d’Azur Distillation : « L’usine prévoit de rejeter 25 millions de litres d’effluents dans un cours d’eau en partant du principe que tout va se diluer. Sauf que ce cours d’eau est à sec plusieurs mois par an. » L’écologue s’inquiète de voir 100 % des effluents finir dans le fleuve Argens, site Natura 2000, protégé au niveau européen. « Cette usine va aussi produire du méthane qui sera brûlé et non valorisé, poursuit-il. C’est-à-dire qu’avec le CO2, deux gaz à effet de serre seront rejetés. »
Quand au plan de zonage versé au dossier en octobre 2017, il ne contient, forcément, aucune des habitations qui existent aujourd’hui. Pourtant, Azur Distillation en vendant ses terrains à un promoteur devait bien se douter que des constructions verraient le jour ? Franck Le Net, directeur d’ABT s’en défend : « Dans notre vision, l’activité qui va être mise en place ne pose pas de problèmes de nuisances. Après avoir arrêté la production, les gens se sont imaginés que ce site était désaffecté alors qu’il y a toujours eu une activité. On a continué à rentrer du marc et à le sortir… »
Tous ces éléments ont été transmis au commissaire enquêteur qui a rendu avec des réserves, un avis favorable, considérant qu’il répond à un besoin et qu’il s’agit de « la bonne solution » vu « son faible impact pour l’environnement et sur la santé des populations » face à un épandage fortement contraint. La préfecture a jusqu’au 18 juin pour rendre un avis définitif. Si le projet se fait, 225 tonnes par an de déchets viticoles du Var et des départements voisins seront traités sur place.
Un goût de piquette
Lors de l’enquête publique, les propriétaires lésés ont eu la surprise d’apprendre qu’en février 2016, bien avant qu’ils n’acquièrent leurs terrains, Azur Distillation avait rencontré, en mairie de St-Maximin, « afin de présenter [leurs] intentions », « l’édile », Christine Lanfranchi-Dorgal, sénatrice LR et maire à l’époque ainsi qu’ « un représentant de l’acheteur des terrains limitrophes », soit le fils Brémond. La sénatrice affirme que ce jour-là, c’est un projet de station de lavage de matériels agricoles qui leur a été proposé et une cessation d’activité qui leur a été annoncée. Idem pour Didier Brémond qui assure avoir eu connaissance du projet d’usine uniquement le 20 décembre dernier, lors de la délibération du conseil municipal de Saint-Maximin. Pour preuve de son ignorance à l’époque, il dit avoir signé un pacte de préférence sur la distillerie, pour en faire une zone artisanale.
Franck Le Net qui n’était pas directeur en 2016, se fait le rapporteur d’Azur Distillation et souligne que la station de lavage était une proposition de la sénatrice. Elle aurait souhaité l’ajouter au projet d’usine de traitement des effluents de cave « qui a bien été présenté lors de cette réunion de février 2016 », assure-t-il. Il avoue cependant qu’il y a peut-être eu confusion sur le terme « cessation d’activité », « qui signifie que l’on cesse partiellement toute activité soumise à autorisation et non que l’on cesse totalement toute activité ».
« Personne n’ignorait ce projet, insiste Valérie Gomez-Bassac, députée LREM de la 6ème circonscription du Var – non élue à l’époque – qui a rencontré tous les acteurs. Seulement des permis ont été délivrés et maintenant il faudrait que chacun prenne ses responsabilités. » Pas sûr qu’elle se fasse que des amis dans la prochaine marche du collectif à laquelle jusqu’ici les élus ont toujours participé. Aucun n’est contre le projet, mais chacun souhaite le voir fleurir ailleurs. À un an des municipales, les politiques n’ont pas d’autre choix que celui de ménager viticulteurs et contribuables au risque sinon de se réveiller avec la gueule de bois…
Samantha Rouchard
Publié dans le Ravi 173 (Mai 2019)