La fronde des maires solidaires contre l’extrême droite
« J’ai donné consigne à mes employés d’état civil de ne pas appliquer ce texte anticonstitutionnel et criminogène et de ne pas aller à l’encontre des droits humains ! », joint par téléphone, le maire de Palerme ne décolère pas. Leoluca Orlando (Lire interview complète ci-dessous), 71 ans, Parti démocrate (centre gauche), est vent debout contre la nouvelle loi anti-migrants du leader de La ligue (extrême droite), et ministre de l’intérieur Matteo Salvini, votée fin novembre.
En quelques années le visage de la capitale sicilienne a totalement changé : la mafia y a été chassée, le tourisme s’est développé et si Palerme, « le refuge idéal » (en grec), reste pauvre et le chômage élevé, Leoluca Orlando se fait le chantre de l’accueil des réfugiés. « Si vous me demandez combien il y a de migrants à Palerme, je ne vous répondrai pas. Pour moi il n’y a que des Palermitains. Un maire ne distingue pas un citoyen d’ici d’un citoyen venu d’ailleurs », lance-t-il. « Salvini va introduire l’intolérance, le racisme. Cette loi transforme une présence légale en présence illégale », poursuit l’édile, ancien avocat et professeur de droit constitutionnel. Avec les maires de Naples, Milan, Florence, Parme et des présidents de région qui se sont élevés contre loi, ils vont porter la question devant la Cour Constitutionnelle. « Je n’ai pas besoin d’une tribune, mais d’un tribunal », martèle-t-il.
La possibilité d’une île
En Italie, les réfugiés en situation régulière sont 5 à 6 millions et ils seraient un demi million en situation irrégulière. Le texte prévoit de remplacer les permis de séjour humanitaires octroyés à 25 % des demandeurs d’asile, qui donnent droit de résidence, de trouver un travail, d’accéder aux soins ou à l’aide sociale d’une durée de deux ans par divers autres permis comme celui de « protection spéciale » d’une durée d’un an ou de « catastrophe naturelle dans leur pays d’origine » d’une durée de six mois. La loi instaure aussi une procédure d’urgence pour expulser tout demandeur d’asile « dangereux ». Le système d’accueil se trouve également réorganisé en parquant les migrants dans de grands centres par mesure d’économie.
« Jusqu’à la réforme, à leur arrivée les migrants étaient rapidement transférés dans des structures plus petites où ils pouvaient démarrer leur cursus d’intégration avec des cours d’italien notamment, le temps de la procédure qui peut durer deux ans, explique Giuseppe De Mola, responsable du projet “Out of sight” pour Médecins Sans Frontière à Palerme. Mais avec la loi Salvini, les demandeurs d’asile vont rester dans de grands camps, avec le service de base c’est à dire dormir et manger. Dont ils sortiront en fin de parcours sans maîtriser la langue ni connaître la société dans laquelle ils devront évoluer. Ce qui laisse peu d’espoir à une vie décente par la suite. » Et l’humanitaire de poursuivre : « De toute façon le but de la loi est de réduire au maximum le permis de résident. » 120 000 migrants devraient, de fait, basculer dans l’illégalité. « Ce qui ne va faire qu’accroître l’insécurité et développer les activités illégales. Pas sûr que le résultat escompté soit au rendez-vous », note le responsable MSF. Salvini refuse également de signer le pacte de l’ONU sur les migrations.
Survivre ensemble
Autre victime choisie du ministre de l’intérieur, Domenico Lucano, maire communiste de Riace, qui a su conjuguer accueil des réfugiés et survie de son village de Calabre, un exemple de solidarité et d’intégration (1) applaudi internationalement. Dans le collimateur du ministre de l’intérieur depuis sa nomination, l’édile a été arrêté le 1er octobre dernier, assigné à résidence puis interdit de séjour dans sa propre commune. Il est suspecté d’aide à l’immigration clandestine et accusé d’avoir organisé des mariages blancs entre des habitants de Riace et des migrants pour leur obtenir un titre de séjour. La solidarité s’est organisée autour de ce maire symbole.
Radio Riace Internationale (2) est née de la rencontre entre Marc Jacquin, directeur de l’association de création radiophonique Phonurgia Nova à Arles (lire ci-contre notre article) et la cousine parisienne de Domenico Lucano. La web radio s’est montée en dix jours, avec des bénévoles, sans financement, soutenu par le collectif La presse ça presse et avec Jack Lang pour parrain. Entre Paris, Arles, Rome et les Cévennes, « un bel exemple de réappropriation de l’information par les citoyens », souligne Marc Jacquin. En mettant fin au modèle de Riace, Salvini met fin au Système de protection des demandeurs d’asile et réfugiés (Sprar) qui comptaient 1200 communes s’engageant, en échange de fonds alloués par le ministère de l’intérieur, à intégrer des populations. Mais Domenico Lucano n’a pas dit son dernier mot. Il envisage de poursuivre ce modèle sans fonds publics grâce à son projet de fondation qui répond au nom de « C’est le vent ». Le même qui pousse des migrants sur les côtes italiennes, auxquels des maires tendent la main…
1. A voir : Paese di Calebria de Shu Aiello et Catherine Catella 2. http://mixlr.com/radioriaceinternational/