Sacré Graal !
Il y a quelques mois, le Bastion social, ces centres sociaux made in ultra-droite, défrayait la chronique (1). Depuis, celui d’Aix a dû déménager et, à Marseille, ses piliers ont, eux, fait un passage par la case « prison » [Ils ont depuis fermés, NDLR]. Quant aux organisations que le « bastion » a ponctionné, ça ne semble guère aller mieux. Comme l’Action française (AF). Et pas uniquement parce qu’elle doit faire face à la concurrence de dissidents comme « Amitié et Action française » (2).
Si, à Marseille, les royalistes renouent avec de la vedette comme le journaliste André Bercoff (3), c’est du côté de Toulon qu’ils reprennent un peu de poil de la bête. Une ville où niche un établissement qui est une sorte d’ancêtre du Bastion : le Graal.
Positions des missionnaires
Un bar associatif qui vaut son pesant de cacahuètes. Et pas juste parce que, nous dit-on, « c’est la pinte la moins chère de la rade ». Accolé à une église, non loin du stade Mayol, c’est un ancien bar LGBT racheté aux enchères en 2015 par « les missionnaires de la Miséricorde divine ».
Un ordre traditionaliste qui fait la messe en latin, se donnant, entre autres missions, d’évangéliser les musulmans. Et qui, en 2015, clame : « Le bar de Sodome va devenir celui de la Miséricorde ». Un événement salué par l’AF, « Boulevard Voltaire » ou le « Salon beige », un des sites de l’ultra droitier et intégriste Guillaume de Thieulloy, l’ex-attaché parlementaire de Gaudin (4).
Autant dire que déco et clientèle ont changé : crucifix au mur, curés d’un côté comme de l’autre du comptoir et inauguration – avec bénédiction – par Monseigneur Rey, l’évêque ultraconservateur dont les universités rassemblent toujours la crème de la droite de la droite (5).
On n’y sert donc pas que du vin de messe. Et, en témoigne la page Facebook, s’y croisent du militaire en goguette, des curés rugbymen, des groupes de rock… Avec, de la part d’un mélomane, cette revendication : « A quand des groupes de RIF ? » (6)
Le point d’orgue ? C’est, le dernier mercredi du mois, le « café histoire » et ses « causeries ». Dernière en date ? Celle de l’abbé Fabrice Loiseau sur « Léon XIII, le pape social ». Mais, en piochant dans le programme, on trouve aussi : « Eric Zemmour et le fait religieux », le « gauchisme culturel » ou encore, parmi les sujets récurrents, « l’islam », le « communautarisme »…
Défilé d’extrême droite
Parmi les conférenciers, il est possible de relever une chroniqueuse de Minute, Rivarol et TV Libertés, des responsables de l’AF ou d’autres officines royalistes, un ancien de « Génération identitaire »… Le tout animé par Philippe Lallement, ancien responsable dans le Var de l’AF. Qui avait pris la suite de Pierre Navarranne, le grand-père de l’élu frontiste toulonnais Amaury Navarranne.
Un habitué du « café histoire » qui reconnaît y assister « tous les mois ». Et qui, le 25 avril dernier, était présent avec son collègue et ancien policier Hervé Toulzac, lorsque deux militants antifascistes ont, avec farine et boule puante, perturbé la conférence « Napoléon III et le Mexique ». Les frontistes se lancent à leur poursuite, en rattrapent un et portent plainte, ce qui a débouché sur leur condamnation à 4 mois de prison avec sursis.
« Pourquoi j’ai déposé plainte ? Parce que, même si ça ressemble à une blague de potaches, dans le contexte actuel, cette attaque par des personnes cagoulées, c’est quelque chose de violent. S’ils avaient été à visage découvert, peut-être que…», nous explique Pierre Navarranne, en rappelant que, contrairement à son grand-père, il n’est « pas royaliste » et en soulignant que « le Graal » n’est pas un « lieu de formation politique ».
Même point de vue du responsable Paca de l’Action Française, Jean-Eugène Guglietta : « Le Graal est un établissement essentiellement religieux, catholique qui n’a rien à voir avec l’AF. S’il y a des gens de l’AF qui y participent, c’est à titre personnel. Et quand nos militants se réunissent à Toulon, ce n’est pas au Graal. »
Et le patron de la paroisse l’abbé Loiseau de menacer : « Si vous voulez faire passer le Graal pour un bar d’extrême droite, on vous attaquera en justice ! » Même si, finit-il par confier en s’adoucissant, que, lui, « n’aurai[t] peut-être pas porté plainte » contre les deux militants antifascistes… « Les causeries ne sont qu’une activité parmi d’autres, poursuit-il. Au Graal, il y a l’étude de la bible, des réunions autour de la famille, on y accueille aussi des sans-abris… Ce n’est pas un lieu de formation politique ni un café lié à l’Action française. D’ailleurs, j’ai commencé mes conférences sur les papes avec Pie XI, celui qui a condamné l’Action française. Après, j’en conviens, il y a une certaine sensibilité religieuse et politique… »
Illustration avec une conférence début 2018 sur « l’écologie » où, dans le public, intervient Amaury Navarrane : « J’ai l’occasion de siéger au conseil municipal de Toulon et j’ai à mon extrême droite un écolo. Avec lequel je suis souvent d’accord. Mais il y a un sujet où ce n’est jamais le cas, c’est l’immigration. » Applaudissements. Le conférencier, un abbé, soupire : « Il y a d’autres sujets… » L’animateur Philippe Lallement rebondit : « Désolé mais on l’aime, celui-là ! On n’y peut rien ! C’est comme une balle de jokari. On tape et ça revient ! » Sacré Graal…
1. le Ravi n°160 et www.leravi.org pour l’inauguration de l’antenne marseillaise. 2. le Ravi n°162. 3. Participant à la web tv La France libre, il s’est illustré avec un livre d’entretien sur les « apéros saucisson pinard »… 4. le Ravi n°121. 5. le Ravi n°108 et n°110. 6. Rock identitaire français.