Les bibliothèques attendent toujours le printemps
Mi juin, Jean-Marc Coppola, l’adjoint (PCF) à la culture de Benoît Payan (PS), en était persuadé : les bibliothèques du Panier et des 5 Avenues, fermées depuis de nombreux mois, rouvriraient leurs portes en juillet. Mieux, ce serait aussi la fin des horaires dégradés des autres structures marseillaises ! Quelques jours plus tard, c’est la douche froide : tout est repoussé à la rentrée. Au mieux. Contacté par téléphone, l’élu balance entre colère et accablement : « C’est usant, agaçant… »
Un an après sa victoire, le Printemps marseillais a en effet du mal à mettre en place ses promesses sur des dossiers symboliques comme les bibliothèques ou les écoles. Une situation qui passe mal chez les usagers comme chez les agents. Le 2 juillet, syndicats de la ville, de l’Éducation nationale et parents d’élèves, ont tiré un bilan au vitriol de la première rentrée de la nouvelle majorité marseillaise. Le lendemain, Marsactu annonçait qu’une partie des musées municipaux ne pourraient pas ouvrir cet été. « Il y a un changement de discours et d’attitude, mais la mise en route est trop lente. Avec la fermeture de deux bibliothèques sur neuf, s’est incroyable de se dire qu’on en a finalement moins que sous Gaudin », dénonce José Rose du collectif des usagers des bibliothèques de Marseille.
Un constat partagé par les organisations syndicales. « La majorité tarde… Pour nous, la question est de comprendre pourquoi depuis l’arrivée de la nouvelle majorité, et alors que les élus connaissent la situation, le problème n’est pas réglé. Au-delà de la question des postes, on a l’impression que pas grand-chose n’avance », regrette Raymond Romano de la CGT (1). Et de fustiger l’audit diagnostic et préconisations lancé en début d’année par la ville : « On a l’impression qu’il a été décidé pour justifier le retard des recrutements ! »
Gaudin en héritage
« Un coup de com », que Jean-Marc Coppola réfute. Présenté en comité de direction des bibliothèques le 2 juillet, il n’avait pas été rendu public au moment du bouclage du Ravi. Mais son point d’étape sur la ligne managériale des bibliothèques de l’audit, tombé dans les bras du mensuel d’enquête et de satire, est très instructif. Entre « des procédures encore plus lourdes », notamment pour les achats et marchés publics, « une absence de réponse des services » (RH, informatique) et « de vision avec le changement de municipalité », on est loin du plébiscite du Printemps marseillais. A sa décharge, le document de 22 pages rappelle aussi le lourd passif dont a hérité le PM : absence « de politique documentaire », « de réelle politique d’actions culturelles », « de fiches de poste », de locaux en bon état et en nombre suffisant ou encore de considération. Et bien entendu d’effectifs.
Comme dans les écoles ou les musées, le principal problème reste en effet le manque de personnels formés. Comme dans les musées, les services privilégient le reclassement des agents des crèches et des écoles en fin de carrière. Pour les bibliothèques, les chiffres officiels sont connus : alors qu’il faudrait au minimum 320 agents, elles n’en disposent que de 230, dont une cinquantaine est en arrêt maladie. Soit un déficit de 90 postes. Mais selon un autre diagnostic, réalisé cette fois par la direction des bibliothèques, par service, par département et par type d’emploi en distinguant les effectifs cibles, de ceux planchers et réels, ce serait même pire. Le document que le Ravi a pu consulter chiffre à 110 le déficit d’emplois statutaires et, contractuels compris, à 150 le total des postes manquant. D’où une souffrance des agents et la multiplication des arrêts maladie et des départs.
Résultats, à l’exception notable du département des Arts de l’Alcazar dirigés par un délégué FO qui dépasse en postes le plancher (34,6 agents contre 33), les problèmes se retrouvent à tous les étages. Exemple avec le secteur Jeunesse, autre département très prisé de la bibliothèque à vocation régionale, auquel il manque de 4,2 à 12,2 postes. Liste non exhaustive des problématiques selon la direction : « importantes difficultés à ouvrir », « perte de professionnalisation dans la gestion des collections », « forte réduction des accueils des classes » et encore« absence de développement de projets de littérature jeunesse ». N’en jetez plus !
La police flingue la culture
« On est à l’os, résume Ryamond Romano. Et il n’y a pas de recette miracle : pour faire les choses bien – le prêt, la gestion du patrimoine, la programmation, etc. – il faut des moyens. » Même Jean-Marc Coppola s’en désole : « Vous ne pouvez pas avoir neuf médiathèques et ne pas avoir le nombre d’agents nécessaire ! »
En début d’année l’adjoint à la culture avait annoncé 40 recrutements statutaires, qui sont devenus 25 au conseil municipal de mai (2). « Le lendemain, on est passé à 10 ! », peste le communiste. Et de pointer la direction des ressources humaines de la ville : « Ils m’ont fait perdre des recrutements parce qu’ils n’ont pas lancé les entretiens ! La DRH nous a aussi expliqué que malgré le déficit de 90 agents, le problème est organisationnel ! Mais la surprise la plus désagréable, c’est l’absence de gestion prévisionnelle des emplois et compétences. » Et pour cause : 90 départs à la retraite sont programmés ces prochaines années…
Pour José Rose, la situation provient également d’arbitrage politique qui « ne sont pas favorable à la culture ». Ce que ne dément pas Coppola. « Alors qu’on a besoin de 900 emplois de proximité, le budget ne permet d’en prendre que 600 », reconnaît l’adjoint à la culture. Tout en se plaignant : « Mais on ne peut pas prendre 100 policiers municipaux et ne rien faire pour les bibliothèques ! »
En bon communiste, il promet cependant un avenir radieux : « Lorsque nous aurons les garanties financières de l’État sur les écoles, les finances de la ville vont se détendre. » Pas de quoi rassurer José Rose, qui rappelle : « Pour l’instant, les élus n’osent plus faire de promesse en terme de calendrier. » Ce qui est finalement plus prudent…
1. La CFE-CGC-CFDT et FO n’ont répondu à nos sollicitations.
2. Contactée, Olivia Fortin, l’adjointe au personnel, n’a pas répondu à nos demandes d’entretien.