Européennes : l’hymne aux abois
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« Vous avez entendu Renaud Muselier sur Loiseau ? » Installé dans un des canapés de la salle des pas perdus de l’hémicycle du Conseil régional, Frédéric Boccaletti, le président d’extrême droite du groupe RN, est en lévitation. Ce vendredi 15 mars, en début de plénière, le président LR de la collectivité et député européen (1) est revenu sur le débat de la veille entre Marine Le Pen et Nathalie Loiseau, alors ministre des affaires européennes, et a sévèrement taclé la désormais tête de liste de La République en marche (LREM) : « Je l’ai trouvée pitoyable parce qu’elle ne connaît pas ses dossiers. Je n’étais pas sûr de voter pour Bellamy [tête de liste LR, Ndlr], [elle] m’a convaincu de [le faire]. » Conclusion de Boccaletti : « Avec cette candidate, on sera en tête ! »
En 2014, le FN était arrivé largement devant avec 25,4 % (28,18 %, dans la grande région électorale Sud-Est), mais depuis le début de l’année, selon les sondages, LREM reste légèrement devant le parti d’extrême-droite – 23 % contre 21 % -, très loin devant les autres concurrents. Le troisième, les Républicains, est à 10 points ; les suivants, Les Insoumis et les écolos, à au moins 15 points. Le duel annoncé et voulu par le président de la république pourrait donc avoir lieu. Même si Bertrand Mas-Fraissinet, le référent LREM des Bouches-du-Rhône (LREM 13), parle d’une construction « des commentateurs », fin 2018 Emmanuel Macron a bien décidé de rejouer fin mai le même match qu’aux présidentielles de 2017. « C’est une situation politique qui existe en France et dans le monde », minimise encore le Marcheur. « Macron a intérêt à organiser un duel contre le populisme, à faire de l’élection un référendum pour ou contre l’Europe, juge par contre Olivier Bettati, un ancien LR élu aux Régionales de 2015 sur les listes FN. Ça marche. »
Droite et gauche marginalisées
Dans les autres chapelles, on fait de fait la tête. Difficile en effet de trouver de l’espace pour pousser une « autre voie » (Bernard Asso, LR) ou une « troisième voie » (Jérémy Bacchi, PCF). « Je ne comprends pas qu’on puisse considérer que l’avenir de la France se joue de façon binaire, entre « nationalistes » et « modernes », dénonce le premier, un Niçois. Il faut défendre la place de la France en Europe et la place de l’Europe dans le monde. » Et ce juriste proche du très droitier député Eric Ciotti et grand défenseur de « la culture et de la civilisation européennes » d’en appeler à « Mon Général » : « La Vème république s’est fondée dans un esprit de grande souveraineté pour la France tout en accélérant la construction de l’Europe. »
Secrétaire départemental du PCF 13, le second propose de son côté une « Europe plus juste, plus humaniste et solidaire ». Mais crédité au mieux de 3 %, son parti passe sous les radars des médias. Comme Générations, le mouvement de l’ancien candidat PS à la présidentielle Benoît Hamon, le PCF n’a pas été convié au premier grand débat télévisé de la campagne, le 4 avril sur France 2. « Une scandaleuse censure », « alors que notre liste est à l’image de ce qu’est la France, avec 50 % d’ouvriers et d’employés », dénonce le communiste.
Les listes sont d’ailleurs, pour beaucoup, problématiques. Désormais nationales et non plus régionales comme en 2014, elles sont très parisiennes et manquent de locomotives, notamment locales (1). « En France on met des battus, des nouveaux futurs ex », se désespère Olivier Bettati. En dehors de LREM et du RN, qui profitent de l’implication corps et âmes de leur patron et patronne, les autres partis n’ont effectivement pas de têtes de gondoles pour les tirer vers le haut. Les Insoumis ont d’ailleurs décidé de ressortir leur tribun pour rebooster la campagne et se rapprocher de leur objectif de 11 %, leur résultat des législatives. Le PS a lui offert sa tête à un philosophe cathodique et fondateur du groupuscule Place Publique, Raphaël Glucksmann. « A 6 % il faut être humble et sur une élection à un tour, il faut être visible et lisible, justifie Nora Mebarek, la secrétaire fédérale du PS 13. Et puis, lui, ne prendra pas le quinquennat dans les dents toutes les 5 minutes ! »
La région ignorée
Si l’adjointe d’Hervé Schiavetti, le maire PCF d’Arles, est candidate, en position potentiellement éligible (3), elle est cependant la seule représentante socialiste de Paca sur une liste de 79 candidat-e-s, alors même que le PS 13 reste la seconde fédération au niveau national avec 1 300 adhérents à jour. Une double tendance générale : les représentants régionaux sont peu nombreux dans les listes et les prétendants à l’élection encore moins. Non éligible, la 19e place du seul LR des Bouches-du-Rhône, a même fait sortir Jean-Claude Gaudin de sa pré-retraite.
Résultat, à part Sylvie Brunet, la seule candidate LREM de Paca, qui pointe à une 7eme position qui lui promet un siège au parlement européen, les autres prétendants de la région sont à des places plus que fragiles : Nora Mebarek est annoncée à la 6ème, Bernard Asso est 15ème et l’Insoumis et Marseillais Bernard Borgialli est 10e. Il faut faire 5 % pour avoir ses quatre premiers élus… Conducteur de train et syndicaliste Sud, ce dernier s’amuse à faire campagne sur son statut : « Je répète à mes collègues que je suis le seul cheminot potentiellement éligible ! »
A défaut de grandes victoires, les européennes vont finalement servir d’autres causes. C’est une élection centrale pour les écolos, qui tentent la pédagogie en dénonçant les projets régionaux soutenus par l’UE (Iter, contournement autoroutier d’Arles, migrants qui meurent dans les Alpes, etc.) et font du scrutin un enjeux « du devenir de l’écologie politique », dixit Christine Just, porte parole d’EELV Paca et 30ème de liste. Il s’agit aussi d’un scrutin qui pèse lourd pour le RN qui espère « changer les choses de l’intérieur » grâce à la vague populiste qui traverse l’Europe, selon Frédéric Boccaletti. Les Européennes vont surtout être un moment de remobilisation pour plusieurs partis, en particulier à gauche. « L’idée d’une tête de liste qui n’est pas dans une posture, c’est aussi pour récupérer nos électeurs partis à LFI, chez Hamon, chez les écolos, les déçus de Macron et Mélenchon », souligne Nora Mebarek. « Il faut que l’on arrive à remobiliser notre électorat, remobiliser les gens à voter et à se redéfinir citoyens par le vote, retrouver la force de notre campagne de 2017, insiste de son côté Bernard Borgialli, pour qui le scrutin doit être un référendum anti-Macron. C’est l’incarnation de l’autoritarisme libéral européen. »
A droite, on a, par contre, fait une croix sur le scrutin de mai avec 2020 en ligne de mire. « C’est comme avec l’écologie, les européennes on en parle cinq minutes. Dès la fin de l’entrée, on va sur les municipales, jusqu’au formage et au dessert », rigole Olivier Bettati…
Jean-François Poupelin
1. Renaud Muselier ne se représente pas. 2. Si les députées européennes sortantes de la grande région Sud-Est Michèle Rivasi (EELV) et Sylvie Guillaume sont en place éligibles sur leurs listes, elles font partie de la région Rhône-Alpes. 3. Nora Mebarek est en 2e position des candidates PS, mais devra faire avec les places accordées aux partenaires des socialistes.
La gauche façon puzzle
Avec cinq listes, la gauche a fait le choix de partir dispersée et de ne pas peser sur le scrutin.
Si l’objectif est de « créer un rapport de force », comme l’annoncent toutes les formations de gauche, la stratégie de la division n’est visiblement pas la bonne. Avec au moins cinq listes annoncées, le nombre de députés s’annonce famélique pour chacune : à 2 % ou 3 % dans les sondages (n’oublions pas les importantes marges d’erreur et méfions nous des pronostics des sondeurs !, Ndlr), PCF et Générations frôlent plus avec le non remboursement des frais de campagne (moins de 3%) qu’avec le grand soir, c’est à dire les quatre élus promis aux formations qui dépassent les 5 % des voix. Un seuil que le PS atteint péniblement et que LFI et EELV dépassent tout juste (7 % à 9 % des intentions de vote).
Si des discussions ont eu lieu, elles n’ont pas abouti. Le PS paie toujours le quinquennat Hollande, LFI préfère faire cavalier seul et EELV rêve d’une renaissance de l’écologie politique. Tout en la définissant ni de droite, ni de gauche… « Au parlement européen, c’est le consensus qui prime, explique Christine Just, d’EELV Paca. Donc, on ne travaille pas toujours qu’avec la gauche. » Réponse du communiste Jérémy Bacchi : « On a des visions différentes de l’Europe. Le PCF est le seul parti à avoir toujours voté contre les traités européens, qu’EELV ne remet pas en cause. »
Pour Bernard Borgialli, candidat LFI, il y a pourtant urgence à ce que la gauche retrouve une voix audible : « [Elle] a besoin de ré-exister politiquement pour relayer, porter le combat social. »
J-F. P.
Article publié dans le Ravi 172, daté avril 2019