Des citoyens en quête de justice
« Ils sont où les gens ce soir ? » Lors du dernier débat du Banquet citoyen expérimental organisé le 18 juin aux Pins, à Vitrolles, par les centres sociaux de l’Aves les Salyens et le Bartas, Yamina est particulièrement remontée contre les habitants du quartier, finalement moins nombreux qu’espérés. Ils sont tout de même une soixantaine, enfants compris, à s’être déplacés. Si une poignée de curieux a mis le nez à sa fenêtre ou à son balcon pour écouter les échanges, aucun n’a rejoint le jardin pédagogique des Pétunias où se déroulait la soirée.
La déception teintée de colère de cette quadra mordante met en lumière une des problématiques du quartier : l’isolement, le manque de lien social, malgré la densité de la population. Pour certains, c’est d’ailleurs ce point que les centres sociaux devraient prioritairement prendre en main pour mettre un peu plus de justice sociale sur leurs territoires. « Dans mon quartier, c’est chacun pour soi. Si les gens viennent au centre social, on est toute une bande et on peut discuter, mais en-dehors de ça il n’y a rien », résume Nicole Fleury, une retraitée de 74 ans, qui fréquente l’Antenne Oxygène du Bartas depuis trois ans. « Le centre en fait beaucoup et continue à faire du lien, mais je trouve que c’est insuffisant aujourd’hui. Il faudrait qu’il y ait plus de rencontres intergénérationnelles ou d’animations pour les seniors », juge également Max, le vice-président de l’Aves, l’association qui gère les deux centres sociaux.
Pour cet ancien commercial, habitant du quartier depuis 1976, les centres mériteraient aussi d’être réappropriés par les habitants. Un constat qui fait échos à un rappel d’Aurélie Verjus, qui avait en charge l’accompagnement à la scolarité aux Salyens cette année 2020-2021 : « Les centres sociaux sont des passerelles, des lieux de ressources qui influent des dynamiques de groupe permettant de compenser les inégalités de territoire. Et même si on l’oublie un peu, ces lieux appartiennent aux habitants. » Ce que ne manque pas non plus de soulever Kallissa, agent technique des cantines et mère de deux enfants : « Le centre social est ouvert à tout le monde, le but c’est de rassembler, les gens, les voisins, les quartiers, d’organiser des moments d’échanges sur ce que l’on peut y développer entre nous. »
« La justice sociale, ça doit être tout le temps ! »
Pour d’autres, c’est surtout par le développement de leurs missions sociales et d’accès aux droits que les centres sociaux pourront mettre un peu plus de justice sociale dans les quartiers dans lesquels ils sont implantés. « Ils font déjà un boulot extraordinaire auprès des gens en difficulté, comme pendant le confinement, mais ils pourraient cibler plus les familles qui sont déjà accompagnées mais qui ne savent pas comment faire, comment s’organiser pour que l’on puisse les aider », propose par exemple Amara Youlana, une habitante du quartier depuis 42 ans. « L’Aves est proche des habitants et les accompagne dans leurs démarches administratives, par l’accès au droit », rappelle de son côté Fatima Charif, une administratrice de l’association. Avant de lancer : « Mais la justice sociale, ce sont des droits, de la dignité, le partage des richesses, la protection de l’État et ça doit être tout le temps ! » Un État, au même titre que les collectivités locales, qui doit « plus financer [les associations] de l’action sociale pour qu’elles poursuivent leur travail et leur accompagnement [des gens] », juge également Kallissa.
Dans la liste des droits, Naïma met, elle, volontiers la question de la fracture numérique (accès à un ordinateur, à une connexion Internet comme à un copieur). Des besoins qui ont été mis en lumière avec les confinements et reconfinements imposés par la lutte contre le Covid. Mais pour cette habitante des Pins originaire de Grigny, près de Lyon, plus de justice sociale c’est aussi un meilleur accès aux institutions. C’est pourquoi elle propose de faire des centres sociaux les porte-paroles des habitants des quartiers populaires. « C’est au centre social que l’on descend quand il y a un problème, parce qu’il joue un rôle de proximité. Il pourrait donc faire passer des messages que nous, habitants, on ne peut pas transmettre », estime cette mère de quatre enfants en formation d’éducatrice.
Si cette demande de médiation avec les pouvoirs publics n’est pas une première pour un acteur social, la proposition ne fait pas obligatoirement l’unanimité. « Ça postule que les habitants de ces quartiers vont avoir moins d’impact que nous, qu’ils sont dans une insécurité institutionnelle, regrette Aurélie Verjus. Je préfère qu’on les accompagne pour que ce soit eux qui portent leur parole auprès des pouvoirs publics. » Un travail « d’empowerment » initié par la fédération des centres sociaux depuis son dernier congrès, en 2014. Et qu’elle espère renforcer avec les banquets du prochain, dans un an.