Demandeurs sans asile
A Marseille, les mineurs non accompagnés ne sont pas les seuls abandonnés par les institutions : les demandeurs d’asile majeurs subissent le même sort. Comme ailleurs en France, au moins la moitié d’entre eux ne sont pas, aujourd’hui, hébergés. Le gouvernement table sur une croissance des demandes de 10 %, alors que, lors des huit premiers mois, en 2018, elle a été de 18 %. Dans les Bouches-du-Rhône, leur nombre est passé de 2 179 en 2017 à 3 019 sur les onze premiers mois de 2018, selon les chiffres de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), recensés par la Cimade.
Un bon de 40 % qui ne prend pas en compte les « dublinés », les migrants obligés de déposer leur demande d’asile dans le pays qui les a enregistrés en premier. En 2017, ils représentaient 45 % des premières demandes d’asile dans le département, soit 1 786 personnes. Il faut enfin y ajouter celles toujours en attente de décision et les demandeurs d’asile envoyés d’autres régions sur décision administratives, comme pour désengorger Paris. Autant dire qu’avec seulement 3 200 places d’hébergement, ça fait du monde à la rue (1).
L’imagination au pouvoir
Pour Pascaline Curtet, déléguée nationale de la Cimade en Paca, « le problème est donc structurel ». D’autant plus que la création de places depuis quelques années est notoirement insuffisante. « Avec les difficultés d’accès à l’alimentation, aux soins, à la scolarisation, cette saturation de l’hébergement marque une volonté de décourager les demandeurs d’asile de venir en France », estime la militante. Pourtant, leur mise à l’abri est une « obligation universelle », rappelle l’avocate Flora Gilbert. Et la juriste de poursuivre : « La directive accueil européenne impose même que les Etats offrent une vie digne aux demandeurs. Mais en France, la jurisprudence du conseil d’Etat demande au juge de prendre en compte la saturation des dispositifs. Et comme rien n’est fait, ou pas assez, il y a saturation. »
Face au manque de place, les services de l’Etat développent beaucoup d’imagination. Ils ont, par exemple, cherché à faire prendre en charge leur hébergement par les demandeurs d’asile. Une idée retoquée par la justice. Ils ont aussi multiplié les nuitées d’hôtel : il y en a eu 1000 en moyenne chaque jour en 2018. En 2017, le dispositif a couté 3 millions d’euros, l’équivalent de 420 places en centre d’acceil des demandeurs d’asile (Cada), qui, lui, offre stabilité et accompagbement social. Face à la demande, les nuitées en hôtel ont été limitées à 10 par an et par famille. Une spécialité marseillaise qui a fait tousser le sénateur Dallier dans le rapport de 2016 sur l’hébergement d’urgence.
Mais comme c’était encore trop, la Direction départementale de la cohésion sociale a aussi décidé, la même année, de trier les bénéficiaires sur des « critères de vulnérabilité ». Critères qui ont été durcis en avril dernier. Priorité aux familles avec enfants âgés de moins de 3 ans, et non plus de moins de 10 ans, aux femme enceintes de plus de 8 mois munies d’un certificat médical (6 mois précédemment) ou victimes de la traite des êtres humains et/ou de violences conjugales et à toute personne ayant des problèmes de santé très graves. « Malgré ça, plus de 80 familles entrant dans ces critères dorment encore dans la rue ! », dénonce Benedetta Badii, de la Fédération des acteurs de la solidarité.
Réfugié et à la rue
Heureusement, elles ont l’embarras du choix : les rues à côté de la Pada de Marseille, les squats, dont la durée de vie est de plus en plus courte, ou la solidarité citoyenne. Une solidarité à laquelle fait aussi directement appel la plateforme d’accueil en cas d’urgence selon plusieurs militantes. Des solutions habituellement réservées aux célibataires. « Le gros souci, ce sont les isolés, ils sont abandonnés », explique une assitante sociale marseillaise, travaillant dans un Cada. Akhter, un Afghan de 26 ans rencontré fin décembre, a ainsi vécu en squat depuis son arrivée à Marseille en août 2017. Précision : il a obtenu le statut de réfugié en novembre mais n’a toujours pas reçu de proposition d’hébergement…
D’autres institutions prennent aussi parfois le relais. C’est le cas de la maternité de la Conception, qui prolonge les séjours au-delà du nécessaire pour que des nouveaux-nés ne se retrouvent pas à la rue. Il y a aussi l’unité d’hébergement d’urgence de la Madrague dévolue aux SDF accueillant aujourd’hui essentiellement des demandeurs d’asile.
« Que des gens puissent dormir à la rue ne pose pas de problème de conscience à l’administration. C’est intolérable de la part de la 7e puissance mondiale », gronde Margot Bonis, coordinatrice de l’Observatoire Asile, un collectif d’association d’aide aux migrants. Il vient de publier un recueil de témoignages de demandeurs d’asile, de professionnels, de militants, sur l’accueil à Marseille (2). « Ça a pourtant des conséquences humaines : une détérioration de l’état de santé, beaucoup de fatigue à devoir toujours batailler, de l’humiliation au-delà du déclassement social », dénonce encore Françoise Rocheteau, du Réseau Hospitalité.
Une situation qui ne devrait pas s’améliorer. En 2019, alors même que la dotation est encore insuffisante, le gouvernement prévoit de financer prioritairement l’hébergement d’urgence plutôt que les Cada…
Jean-François Poupelin
1. En dehors de ce chiffre, la préfecture n’a pas répondu à nos sollicitations.
2. L’asile en exil. Etat des lieux de l’accueil des personnes en demande d’asile à Marseille (2017-2018).
Réquisition !
A Avignon, le collectif Rosmerta hausse le ton face à l’inaction des pouvoirs publics envers les personnes à la rue, dont beaucoup de réfugiés mineurs.
Trop c’est trop. « On cherche à interpeller aujourd’hui car nous sommes en surcharge. Les citoyens jouent le rôle de l’Etat », expliquait « Camille », l’une des membres du collectif Rosmerta d’Avignon (RESF, La Cimade, le collectif des réfugiés de Vaucluse, 100 pour 1, le MRAP…) lors d’une conférence de presse organisée le 10 décembre.
Portant le nom de la déesse celte de l’abondance, il s’est créé face à un ras-le-bol devant l’absence de prise en charge des sans-abri, particulièrement des mineurs isolés sans-papiers. Face à l’urgence hivernale et l’inertie des pouvoirs publics, une soixantaine de personnes ont réquisitionné au petit matin, le 21 décembre, un bâtiment appartenant au diocèse. « C’est une ancienne école, explique Guy Chenevier, membre du collectif. L’endroit est grand, adapté et central. Il faut maintenant prendre le temps de bien l’aménager avant de l’investir. »
S’appuyant par exemple sur le projet Coco Velten de Yes we camp à Marseille, le souhait du collectif est de voir émerger un lieu pérenne pour en faire un endroit multi usages, à vocation sociale et culturelle… Que 300 bénévoles sont prêts à animer de suite. Selon Rosmerta, qui se base sur des maraudes associatives, une trentaine de personnes dormiraient dehors tous les soirs dans la cité des Papes. Pour la plupart des mineurs, dont la mise à l’abri revient légalement à l’aide sociale à l’enfance (ASE), géré par le conseil départemental.
Or, à travers le réseau RESF, une quarantaine de familles réparties sur le département hébergent déjà une cinquantaine de mineurs, parfois depuis deux ans. Et les bénévoles, comme Kristine, critiquent vertement l’attitude de l’ASE : « Les jeunes se présentent et l’ASE évalue leur minorité en une heure et demi maximum. Normalement ils doivent les garder cinq jours. Bien souvent on leur donne un papier disant, entre autres, qu’ils n’ont pas l’apparence de leur âge. » S’ensuivent des procédures auprès du juge des enfants qui ordonne un placement provisoire à l’ASE – dans des hôtels pour les mineurs – en attendant l’évaluation de minorité par la police. Qui bien souvent est accordée, selon RESF.
Avant cette réquisition, la Préfecture confirmait au Ravi avoir été contactée par la mairie pour organiser une réunion sur le sujet. Tout en précisant que la charge des mineurs revenait au conseil départemental… Le collectif promettait de « monter d’un cran » si rien ne se passait rapidement. On n’est jamais mieux servi que par soi même.
Clément Chassot
Enquêtes publiées dans le Ravi n°169, janvier 2019