Un bois toujours sacré
Sept hectares en lisière de centre ville avec vue imprenable sur la rade de Toulon, trois espaces boisés. Depuis près de vingt ans, le terrain Bois sacré à La Seyne-sur-Mer fait saliver Constructa, un promoteur Marseillais. « Un site exceptionnel », reconnaît Philippe Bega, le directeur du groupe. Tout en pestant : « On a atteint des records d’attente ! » Depuis 2002, Constructa a en effet dans ses cartons un projet « haut de gamme » de 65 millions d’euros et quelques 350 logements et villas.
Mais des grincheux font de la résistance. Si la municipalité d’union de la gauche en place depuis 2008 a, à son arrivée, négocié à la baisse le projet initial (le double de logements), le Comité d’intérêt local (CIL) du quartier (Balaguier, Le Manteau, l’Eguillette) et la confédération environnement méditerranée (CEM) s’y opposent fermement. Cet été, ils ont déposé un recours devant le conseil d’Etat contre le jugement, prononcé en février, du tribunal administratif de Toulon.
Bien que ce dernier ait annulé partiellement le permis de construire accordé en 2015 pour absence de « de prescriptions relatives aux mesures de contrôle […] en phase d’exploitation, [de] la qualité de l’eau potable et l’étanchéité des canalisations », les plaignants estiment que les juges auraient du « avoir un autre positionnement », comme l’explique Gérard Demory, du CEM. S’ils pestent que les 7 immeubles et 8 maisons vont leur gâcher la vue et peut-être déprécier le bien de certains et que les quelques 1000 nouveaux venus et leurs voitures vont dégrader un peu plus la circulation, ils dénoncent surtout un grave problème de pollution. « S’il n’y a rien sur le plan toxicologique, pourquoi avoir demandé des canalisations d’eau potable doublées et des mesures mensuelles de la qualité de l’eau ? », interroge cet ancien inspecteur du travail.
« Risques acceptables »
Propriété de Total, le site a servit de dépôt d’hydrocarbures entre 1925 et 1988. Le groupe pétrolier a réalisé quelques travaux de dépollution mais il a, surtout, obtenu une servitude d’utilité publique. Les parties exposées (sites de chargement et d’installation des réservoirs) ne sont tout simplement pas constructibles. Mieux : selon un avis de la Dreal (Direction régionale de l’environnement, des aménagements et du logement) d’août 2014, qui se base sur une étude d’impact réalisée pour le promoteur, on y trouve en quantité parfois supérieures aux normes, du benzène, des métaux et autres hydrocarbures (1). « Des substances cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction », résume Christelle Lachaud la présidente du CIL. Si elle dénonce aussi une étude d’impact sur la circulation « réalisée pendant des vacances scolaires », elle insiste : « Il devrait y avoir une dépollution totale, et elle n’est pas prévue. »
« Le site n’est pas énormément pollué », relativise Philippe Bega. Ou alors sur « certaines zones. » Dans son avis, la Dreal estime de son côté que « l’évaluation quantitative des risques sanitaires menée en 2014 pour des usages de types loisirs en extérieurs a mis en évidence que les risques pour la santé des futurs usagers sont acceptables ». 10 % de pertes, comme à l’armée ? Résultat, le projet ne prévoit qu’une dépollution devant la servitude et des constructions sur les parties considérées non polluées. La ville elle botte en touche : « Nous n’avons pas de moyen d’agir, c’est un projet privé. Total est propriétaire et des engagements ont été pris. C’est en 2004 que la zone est devenue constructible. » Un joli coup de pied de l’âne à Arthur Paecht, le maire UMP de 2001 à 2008, qui a bétonné la ville. Il est décédé cet été.
Inquiétudes réelles
Les services de l’Etat ne sont pourtant pas complètement sereins. Dans l’avis, ils s’inquiètent d’une certaine légèreté de l’étude d’impact : elle « exclut le transfert et l’exposition via les eaux souterraines et superficielles (mer) pourtant considérées vulnérables en cas de pollution par ruissellement ». Et leur conclusion recommande des « compléments » sur « l’état initial de la pollution des sols » et « l’évaluation des impacts en phase de travaux sur la qualité de l’air et le réseau routier ». A part ça, les risques sont « acceptables »…
Selon les avocats des plaignants, les doutes sont donc assez forts pour plaider le principe de précaution. « Que l’on n’exige pas de dépollution totale du site est incroyable d’un point de vue politique. C’est pourtant le seul questionnement qu’il doit y avoir au regard du passé », explique maître Audrey Palerm, avocat du CIL au tribunal administratif. Et de rappeler l’affaire des bébés malformés de l’Ain, dans laquelle les pesticides sont montrés du doigt.
Pour Gérard Demory, d’Environnement Méditerranée, le projet met aussi en lumière les limites des études d’impact, qui sont payés par les donneurs d’ordre. Autre vertu, Bois Sacré rappelle également le poids des promoteurs dans l’urbanisme. Dans une lettre de juin 2002 tombée dans les bras du Ravi et adressée à Arthur Paecht, Marc Pietri, le patron de Constructa, liste cinq projets qu’il souhaite développer dans la ville, dont Bois Sacré. Mieux, dans une proposition de planning, il demande qu’ils soient « pris en compte dans le PLU en cours d’élaboration. » « Une autre forme d’urbanisme », reconnaît Philippe Bega. Avec une pointe de nostalgie ?
1. La Dreal n’a pas donné suite à nos sollicitations.