« Mettez fin à cette procédure bâillon ! »
13H30
le Ravi, son rédacteur en chef, la journaliste « prévenue » (Ndlr, l’auteure de ce « contrôle technique ») et leur avocat, Vincent Schneegans, sont à l’heure au tribunal de grande instance de Draguignan (83), ce 18 septembre 2018. Suite à la parution de l’article « Les élus d’abord, les enfants après… » dans le Ravi n°151 (mai 2017), l’association Odel Var (Office départemental d’éducation et de loisirs), son directeur, Marc Lauriol, conseiller départemental LR, et sa présidente Josette Pons, députée-maire LR au moment de la parution, ont attaqué le directeur de la publication et la journaliste du Ravi (qui signe ce papier) pour diffamation, en citation directe. Les parties civiles – Josette Pons en moins puisqu’elle n’a pas consigné – réclament 30 000 euros au Ravi. À ce jour, nous en sommes au 5ème renvoi.
13H35
Philippe Schreck, nouveau bâtonnier du TGI et avocat de l’Odel Var – à ne pas confondre avec le monstre tout vert du dessin animé, qui rote, qui pète, et qui a un âne pour compagnon de route – brille par son absence. Notons que « Schneegans » signifie, quant à lui, « oie des neiges » en allemand, c’est quand même plus classe…
13H40
Des lecteurs sont présents. C’est la juge Marie-Laure Arnouil qui préside, cheveux courts et lunettes rouges. On nous vante sa répartie et son sens de l’humour… « Elle est juge aux affaires familiales, mais c’est dans des audiences comme aujourd’hui qu’elle donne sa pleine mesure ! », précise un habitué du barreau. « C’est Tout à l’ego ! », s’énerve notre avocat qui vient d’apprendre par la juge que Schreck aura une heure de retard.
13H44
En attendant… Monsieur G., 70 ans, italien, comparait pour menace avec arme. Son avocat a clairement envie d’être ailleurs et serait même prêt à le faire juger sans interprète. La présidente insiste : « C’est pas comme s’il parlait sanskrit, on va bien en trouver un. » Et le journaliste de Var-matin de relever, en marmonnant : « Le sanskrit ça ne se parle pas. »
13H59
Veste de jogging sur le bras et cheveux blancs, monsieur B. est à son tour accusé d’atteinte sexuelle sur mineures. Les faits remontent à 2012 mais le dossier s’est perdu dans le dédale des services juridiques… Ses propres filles, la cinquantaine, viennent témoigner à la barre des atrocités subies enfant. L’accusé nie tout en bloc. Jusqu’à ne plus se rappeler ce qu’est une fellation. Qu’à cela ne tienne : la présidente lui en redonne la définition précise. La procureure recadre monsieur B. dont elle déforme le nom jusqu’à le confondre avec celui d’un primate : « Ce n’est pas vous qui êtes victime ! […] Arrêtez ! Je bouillonne ! »
14H30
Brushing impeccable mais tête baissée, Schreck s’installe discrètement. La plaidoirie du prédateur sexuel se termine.
15H27
Shreck sort réviser son dossier dans la salle des pas perdus. On a trouvé un interprète pour monsieur G. « Vous avez tout capisce là ? », ironise la présidente. « L’homme moyen a les miquettes, madame la présidente ! », l’excuse difficilement son avocat. Fou rire retenu de l’assemblée. Suspension de séance.
16H14
Trois mois sans mandat de dépôt pour monsieur G. Quatre ans fermes et un an de mise à l’épreuve avec obligation de soins pour monsieur B. Prison directe sans passer par la case départ.
16H35
Je suis appelée à la barre. Une première pour moi. Les magistrats sont lessivés par l’affaire de mœurs. « Prévenue Rouchard » est poursuivie comme auteur du délit et non comme le prévoit la loi du 29/07/1881 sur la liberté de la presse comme complice. Maître « Chaînegan », comme le nomme l’huissier, fait de ce fait valoir une exception de nullité.
16H45
« La philosophie de cet article est de décrire un mécanisme – je n’aime pas cette expression car de mécanisme on n’en a pas – c’est d’insinuer dans l’esprit du lecteur que cette association collecte de l’argent public dans le but de servir les intérêts personnels des élus et de son directeur », introduit Schreck. L’avocat s’attarde sur le titre satirique, « ça commence bien », lance-t-il. Puis poursuit sur le mot « pieuvre ». « Là aussi on pourrait se dire que ce n’est pas un gros mot, qu’il s’agit juste d’un poisson… » Shreck rit lui-même de sa phrase, la journaliste aussi, les juges eux restent de marbre. Il se reprend : « On sait très bien que cela renvoie à des faits délictueux, immoraux et mafieux. » Et enchaîne sur l’insinuation « selon la journaliste » que « l’Odel créerait des structures pour capter des financements […] ce qui sous-entendrait un potentiel conflit d’intérêts ». Il signale aussi que l’attestation du commissaire aux comptes prouve clairement que les comptes de l’Odel « ne sont pas falsifiés ». Et de conclure : « Le débat démocratique, quand on est journaliste, ce n’est pas de dire sans preuve de vérité qu’une association connue pour son honorabilité, satisfait l’enrichissement personnel des élus en trafiquant les comptes d’une association. Ça fait quand même beaucoup lorsqu’on fait son travail et qu’on le fait bien de voir ça sans raison dans les kiosques. »
17H00
Schneegans brandit les passages accablants du rapport de la Chambre régionale des comptes concernant l’Odel Var auquel le Conseil général a versé 20 millions d’euros de 2009 à 2014. « Cet article est même plutôt gentil si on le compare au rapport de la CRC », précise notre avocat. Et de souligner : « On ne s’intéresse pas à l’Odel uniquement parce que ça fait plaisir d’écrire un article satirique, mais parce ce que ça a un intérêt social, économique et politique parce que précisément on est sur la problématique des croisements entre financements publics et privés. Il est légitime qu’un journaliste fasse son travail devant un tel rapport. » Pourquoi s’attaquer au « petit journal le Ravi » plutôt qu’à la CRC ? Pourquoi avoir refusé de répondre aux questions et renoncé à exercer un droit de réponse ? Pourquoi Pons s’est volontairement retirée de la cause ? Et citant les statuts de SG Services, une des sociétés de Lauriol pointée du doigt dans l’article incriminé, il invite l’Odel Var à faire son autocritique : « Nous constatons par ailleurs les tendances de plus en plus affirmées de nombre de nos concitoyens à aller chercher de façon judiciaire réparation au moindre préjudice […] Rejeter la faute sur autrui est devenu une habitude qui permet bien souvent d’éviter une autocritique quelques fois douloureuse. »
17H05
Schreck tripote son portable. « Pour être ici devant vous on a attendu plus d’une année ! », souligne maître Schneegans. Il en bégaye : « Il y a ici une instrumenlisa…instrumentalisation de la justice […] Cette citation directe a pour effet de faire en sorte que la journaliste ne puisse plus enquêter […] Il s’agit d’une procédure bâillon ! » Il rappelle que plus d’une trentaine de pièces ont été jointes au dossier « ce qui démontre une enquête sérieuse », taclant Schreck qui semblait dire précédemment que la journaliste n’avait que la bonne foi à plaider.
17H10
Schneegans note aussi avec humour que la « pieuvre » est un animal intelligent et Lauriol devrait alors se sentir flatté ! Quant à l’attestation du commissaire aux comptes, il fait remarquer à la cour qu’elle n’existait pas au moment des faits puisqu’elle est postdatée à la citation directe… Et notre « oie des neiges » de conclure : « J’espère que vous mettrez fin à cette procédure bâillon. » La présidente reste impassible en annonçant le délibéré au 9 octobre [En savoir plus sur l’issue de la procédure…]. Le monstre vert, quant à lui, n’est déjà plus là….
Samantha Rouchard
Procès en diffamation
Partie civile
L’association Odel Var (Office départemental d’éducation et de loisirs) et son directeur Marc Lauriol, conseiller départemental LR du Var. Josette Pons, présidente de l’Odel, actuelle présidente LR de l’agglo de la Provence verte, n’a pas consigné la somme forfaitaire de 600 euros. Elle ne fait donc plus partie de la plainte.
Prévenus :
Étienne Ballan, directeur de la publication du Ravi, et Samantha Rouchard, journaliste du Ravi.
Article mis en cause : « Odel Var : Les élus d’abord, les enfants après… », publié dans le Ravi n°151 (mai 2017)
1ère citation : 23 mai 2017
Nombre de renvois : 4 à la demande des parties civiles
Somme demandée : 30 000 euros
Le procès soumis au contrôle du Ravi
Durée : 42 minutes
Temps de parole de chaque partie : 15 minutes
Public : une vingtaine de personnes
Journalistes : 3 dont 1 prévenue
Reportage publié dans le Ravi n°166, daté octobre 2018
Les dessins de Trax : en haut de page, Vincent Schneegans, notre avocat. En bas de page, Philippe Schreck, l’avocat de l’Odel Var.