Grande Tchatche sur les élections régionales
Pourquoi, pour la première fois, être candidat à une élection derrière Jean-Laurent Félizia (gauche et écologiste) ?
Laurent Tramoni : « C’est un engagement de syndicaliste, d’enseignant. Pendant 6 ans, Muselier et Estrosi n’ont pas répondu aux besoins de la population, en particulier sur la question de l’éducation. Nous attendons 60 000 lycéens de plus d’ici 2031 dans notre région à raison de1000 élèves par établissement. Il aurait fallu construire 6 lycées dans la région. Monsieur Muselier n’en a entrepris aucun et en a laissé un grand nombre à l’abandon. Il me semble important de corriger cela en s’impliquant activement dans le débat politique. »
Quel sens a pour vous la liste régionaliste « Oui la Provence » que vous menez ?
Hervé Guerrera : « Nous ce qu’on veut faire vivre c’est une alternative citoyenne d’abord, puisque notre liste est la seule liste régionaliste. C’est la bonne échelle pour faire un aménagement du territoire cohérent, et répondre à l’urgence économique et sociale d’une part, et d’autre part recréer de la citoyenneté, retisser du lien social. »
Autrefois écologiste allié à la gauche, puis centriste, comment expliquer votre ralliement à Renaud Muselier dès le 1er tour ?
Christophe Madrolle : « Toujours écologiste ! Vous savez, quand Renaud Muselier m’a demandé de participer à cette campagne, il a été très clair que je ne rentrais pas à LR. C’était pour amener mon expertise écolo, une écologie positive, entrepreneuriale. J’en ai eu un peu assez des écologistes qui étaient contre tout. Le combat que je mène, c’est une écologie heureuse où on crée de l’emploi. Et où on associe le développement économique et l’écologie. »
Quel regard portez-vous sur le bilan de Muselier ?
L. T. : « C’est d’abord le bilan d’une absence d’anticipation sur l’augmentation démographique que connaît notre région. Des études ont été faites par le Conseil régional, l’Insee, et l’Éducation nationale, montrant que nous avons des établissements qui sont aujourd’hui en limite de saturation. Je prends l’exemple du 14ème arrondissement de Marseille, c’est une ville qui compte autant d’habitants que Neuilly, et il n’y a pas un seul lycée public. La majorité de la jeunesse de notre ville se trouve dans les quartiers nord, et ces derniers scolarisent à peine un tiers de ces jeunes parce qu’il n’y a pas d’infrastructure. »
« Croyez-moi, personne ne me lave la tête ! »
Mais Muselier promet 100 milliards pour rénover 100 % de lycées…
L. T. : « 100 milliards pour rénover les lycées, c’est la facture de ce qu’il n’a pas fait jusque-là. Je tiens en particulier à souligner l’état déplorable des sanitaires des établissements scolaires. La plupart de nos lycéens étudient dans des conditions indignes, qui ne sont pas conformes à la transition écologique. Nous avons des établissements qui sont des passoires énergétiques. Peut-être que lorsqu’on se rallie à la droite on subit un lavage de cerveau. Mais quand on va chercher dans sa mémoire de militant écologiste, on sait bien que ce dont parle Muselier, c’est du greenwashing, et pas autre chose. »
C. M. : « Il faut aller plus vite, plus fort, et vous avez raison de signaler ça, mais chaque chose en son temps. Concernant l’état des lycées je crois qu’il y a des efforts qui ont été faits et qui vont être faits. Et croyez moi, personne ne me lave la tête. »
H. G. : « Je voudrais parler d’un autre secteur, le ferroviaire. Muselier a voulu multiplier par 150 % la carte Zou étudiant à l’entrée de la crise Covid. Il y avait la réouverture de certaines lignes, dont Aix-Rognac qui était prévue au contrat de plan État-Région en 2020. C’est aujourd’hui repoussé à après 2030. C’est ça le bilan de Muselier, c’est le refus d’électrifier la ligne Aix-Marseille, c’est le choix de soutenir la Ligne Nouvelle. Nous voulons inverser les priorités, mettre les sous véritablement sur le ferroviaire et ne surtout pas soutenir ce genre de grand projet inutile qui va encore nous mettre dans l’embarras pour loger les jeunes. »
C. M. : « En 2015, j’étais la tête de liste de la gauche rassemblée dans les Bouches-du-Rhône, j’ai fait la campagne en permanence sur la question des trains. 27 % d’entre eux arrivaient en retard. Aujourd’hui cela représente 7 %. Reconnaissons qu’au niveau de la régularité des transports en commun, il y a du mieux dans notre région. Ça a été souligné par tout le monde ! »
L. T. : « C’est facile de dire que le pourcentage du nombre de trains en retard a diminué, que le taux de satisfaction évolue. Mais c’est normal, vous avez supprimé 160 liaisons quotidiennes, moins 25 % dans les liaisons ferroviaires au niveau régional. Forcément c’est plus aisé de faire circuler les trains. »
La privatisation des trains que Muselier appelle de ses vœux dans la région est-elle une solution pour améliorer les transports ?
C. M. : « Ça a été un grand débat que nous avons porté au parlement européen avec Jean-Luc Bennahmias (alors député EELV pour lequel Christophe Madrolle a été attaché parlementaire). On s’était opposé à la libéralisation du transport ferroviaire. Aujourd’hui c’est un fait, la gauche au parlement européen a essayé de s’y opposer, et a perdu. »
Mais Muselier a toujours été un partisan de cette mesure, et il l’anticipe…
C. M. : « Mais c’est normal, Renaud Muselier est un libéral. »
L. T. : « Ça ne doit pas être évident d’être la caution écologique d’une politique libérale et de droite. L’Union européenne permet la libéralisation et la mise en concurrence des trains, mais elle n’oblige personne à le faire. Le projet de Muselier consiste à casser le service public du transport régional. La région a en main les outils qui permettent d’améliorer l’aménagement du territoire, de faire en sorte que notre région ne soit plus celle qui utilise le plus de pesticides au mètre carré. Celle qui, alors qu’elle produit énormément dans son agriculture, exporte l’essentiel de ce qu’elle produit et ne valorise pas les circuits courts. »
C. M. : « Je serai vigilant sur ces sujets-là. »
Muselier promet par exemple d’augmenter de 10 % le budget de la culture. Est-ce pertinent ?
C. M. : « Oui. Il a un vrai engagement pour la culture, toutes les cultures. »
L. T. : « Muselier est soutenu par les grandes institutions culturelles, mais nous ce qui nous importe c’est la pratique culturelle, sportive et artistique des habitants qui se trouvent sur le territoire. Et là, les politiques publiques font cruellement défaut. Notre ambition, c’est de contribuer à faire en sorte que la richesse de notre région soit mieux partagée, qu’on ne soit plus dans une région qui est extrêmement polarisée en termes d’inégalités sociales. »
« Qu’a fait Muselier pour notre lanque régionale ? Strictement rien ! »
H. G. : « Il faut rappeler que c’est le président Muselier qui a supprimé les subventions et aides aux radios alternatives et à la presse pas pareille. Nous, on défend une compétence régionale forte dont personne ne parle et c’est bien dommage : la promotion de notre langue régionale. Elle permet de mieux intégrer, de mieux partager, de faire avancer le vivre ensemble. C’est une langue d’Europe qui permet l’ouverture sur les péninsules italienne et ibérique ainsi que sur le reste du monde. La politique linguistique est une compétence attribuée aux régions par la loi NOTRe. Qu’a fait Muselier là-dessus ? Strictement rien. »
Thierry Mariani (RN) fait de la sécurité un thème central de sa campagne alors que ce n’est pas une compétence centrale de la région. Est-ce un sujet pour vous ?
L. T. : « La sécurité n’est pas une compétence de la région mais il est vrai que tout le monde en parle. Les milieux populaires sont d’ailleurs les premières victimes de l’insécurité. Mais je constate qu’actuellement on a un mirage technologique. Je prends l’exemple des cameras et portiques installés devant les lycées, pour lesquels Muselier a dépensé des mille et des cents, qui ne fonctionnent pas et donnent l’impression aux jeunes de se rendre en prison tous les matins. La sécurité c’est d’abord des personnes. Il faut faire en sorte qu’il y ait une police de sécurité, des médiateurs, des agents dans les gares…. Ensuite, il y a la précarité qui fait que les habitants de la région sont parmi les plus pénalisés par cette insécurité sociale. Les inégalités sociales peuvent être rééquilibrées par la région et les outils dont elle dispose. »
H. G. : « C’est aussi un piège de se positionner sur des questions propres au RN. Mais effectivement, rien ne remplace l’humain. Ce n’est pas une caméra de vidéosurveillance qui, si vous avez un problème, va venir vous secourir. On parlait précédemment des trains, il faut mettre des gens dedans. C’est juste le contraire de la politique faite par Muselier. »
C. M. : « La sécurité touche tout le monde. Nous devons mettre en place un triptyque : protection, réparation et sanction. Il faut en effet remettre du personnel dans les trains et lycées, mais les dispositifs déjà présents sont utiles. Quand il y a une caméra dans un train ça sécurise les usagers qui le prennent. Selon un sondage, 67 % sont d’ailleurs plutôt favorables à la présence de caméras. »
L. T. : « Il faut surtout reconnaître la vigilance des lanceurs d’alerte, qui avaient par exemple dénoncé le projet illégal d’installation de dispositifs de reconnaissance faciale à l’entrée des établissements scolaires. Heureusement qu’on a arrêté Muselier. Par ailleurs on parle beaucoup de l’insécurité à l’extérieur mais pour la moitié de nos concitoyens elle se passe dans le foyer. Je veux parler des femmes et de la question des violences sexistes et sexuelles. »
C. M. : « C’est une priorité annoncée par R. Muselier hier avec l’inauguration de la première maison Françoise Giroud. »
L. T. : « Sauf que ce n’est pas un problème qu’on a découvert hier et que trop peu a été fait. »
Même s’il faut se méfier des pronostics des sondages, comment réagissez-vous aux intentions de vote très élevées pour le RN et l’extrême droite ?
L. T. : « C’est une très grande angoisse. Si je participe à cette campagne électorale, c’est parce que je ne souhaite pas que les 6 000 agents de la région aient pour donneur d’ordre le RN. Je ne souhaite pas non plus que les lycéens reçoivent une propagande d’extrême droite véhiculée avec le matériel produit par la région. Il y a des conséquences concrètes pour la population qu’il faut que tous les démocrates et progressistes mesurent bien avant d’aller voter. L’extrême droite n’a jamais été aussi proche du pouvoir en région. Si elle prend Paca, c’est un marche-pied pour l’élection présidentielle. Il faut donc que la gauche se mobilise et vote Jean-Laurent Felizia au premier tour. »
Vous faisiez partie d’un collectif qui s’appelait « Il est temps » qui demandait une plus large alliance que celle cristallisée autour de votre liste actuelle. Et pourtant par exemple, les Insoumis sont restés sur le côté…
L. T. : « L’aventure “Il est temps” était une expérience extraordinaire. Ce collectif a fait avancer la gauche sur le long chemin de l’unité. Les Insoumis ne sont pas soutiens de cette liste mais je connais beaucoup de gens de ces milieux-là qui n’ont pas l’intention de laisser le faux duel entre Mariani et Muselier – blanc bonnet et bonnet blanc – avoir lieu sans que la gauche soit présente. »
Sans fétichiser les sondages, qui vous annoncent à moins de 1 %, il est peu probable que vous soyez au second tour. Votre démarche est-elle celle d’une candidature de témoignage ?
H. G. : « Ce n’est pas le sujet. On propose une alternative citoyenne qui reste à construire. Beaucoup d’amis écologistes sont venus nous renforcer. On veut offrir autre chose que les combinazioni qu’on a vu à droite et à gauche. On sait que l’alternative est complexe, mais on n’est pas là pour être dans la facilité. On est là pour défendre de vraies idées, de vrais programmes et une démarche cohérente en dehors de tout logo. Personne n’attendait « Oui la Provence », on l’a fait et on ne s’arrêtera pas à ça. »
Le fait que Muselier soit annoncé à plus de dix points derrière le RN n’est-il pas une forme de critique féroce de son bilan et de son alliance avec LREM ?
C. M. : « Non, le RN se nourrit des peurs, du racisme et aussi des politiques nationales qui abandonnent tout un pan social. Il y a effectivement un ras-le-bol des gens sur la sécurité, sur le problème d’une immigration fantasmée, sur les migrants et de ce qui est porté par certains médias. Plusieurs régions risquent de passer au RN. Mais ferons-nous preuve d’un sens des responsabilités, comme en 2015 avec Christophe Castaner [tête de liste PS pour lequel Christophe Madrolle, alors à L’UDE, conduisait la liste dans les Bouches-du-Rhône] ? Moi je le referai sans hésiter. »
« Il faut que la gauche se remobilise ! »
Lors des dernières régionales en 2015, pour faire barrage en Paca à Marion Maréchal-Le Pen (RN) la liste PS-MRC et UDE conduite par Castaner s’est en effet retirée en faveur de celle d’Estrosi-Muselier. Le même scénario va-t-il se reproduire en juin prochain au second tour ?
L. T. : « Les sondages se trompent régulièrement. Il faut faire la campagne du premier tour. Je suis de ceux qui osent toujours penser que la différence entre la droite et l’extrême droite n’est pas simplement une différence de degrés mais de nature. Lorsqu’on voit le bazar à droite et les transfuges de la droite vers le RN, on peut cependant se poser des questions. Renaud Muselier est très clair sur son positionnement mais la problématique c’est celle des votants qui préféreront changer de camp. Il n’est pas sûr que si un front républicain se forme ils voteront pour lui. Cette équation politique sera résolue le moment venu, en attendant je voudrais que la droite fasse son travail et que la gauche se remobilise. »
C. M. : « Si Jean-Laurent Felizia est numéro deux, j’appellerai au retrait de la liste. Vis à vis du RN, on les connaît à la région, il n’y a pas de discussions possibles. Ça fait 25 ans qu’on les combat. Ils se nourrissent de toutes nos faiblesses à gauche comme à droite. »
H. G. : « L’union des gauches fera ce qu’a fait Christophe Castaner en 2015. On sait tous que c’est Paris qui a passé un coup de fil pour qu’il se retire. Là ce sera Yannick Jadot qui le fera. »
Propos recueillis par Michel Gairaud, mis en forme par Alicia Arquetoux et Louise Gal
De haut en bas, caricaturés par Trax : Laurent Tramoni (« Rassemblement écologique et social », liste Jean-Laurent Félizia), Christophe Madrolle (« Notre région d’abord », liste Renaud Muselier), Hervé Guerrera (« Oui la Provence », liste régionaliste).