« La classe politique française est idéologiquement pro-israélienne »
En quoi consiste le BDS (Boycott désinvestissement sanctions) ?
A l’Union juive française pour la paix (EJFP), nous sommes pour un boycott total de l’État d’Israël : politique, économique, commercial, militaire, culturel, syndical, universitaire, sportif… Le « D » signifie « désinvestissement » et c’est là que les plus grands succès ont été obtenus. De nombreuses compagnies internationales et fonds de pension se sont désinvestis d’Israël à cause de la colonisation. En France, Veolia a perdu des milliards d’euros en contrats non signés car elle avait largement investi en Israël et dans les territoires occupés, notamment dans le tramway de Jérusalem. Et le « S » de « sanctions », c’est l’exemple de nombreux syndicats de dockers refusant de décharger des marchandises venant d’Israël.
Comment est né le BDS ?
A l’appel de 172 associations palestiniennes, en 2005. L’idée était que puisque les institutions internationales et les gouvernements occidentaux sont complices, il faut compter sur la société civile du monde entier pour réagir. On ne part pas de la solution politique mais de celle du droit international avec trois grandes revendications. Premièrement, la liberté, par la fin de l’occupation, de la colonisation, des prisonniers et du blocus de Gaza. Deuxièmement, l’égalité des droits entre Israéliens, notamment pour les Palestiniens de 1948. Et troisièmement, le droit au retour des Palestiniens. Le BDS, par essence, est non violent et anti-raciste. Et très rapidement il a pris comme modèle l’action de boycott qui a contribué au changement de régime en Afrique du Sud.
La France entretient des liens ambigus avec l’État d’Israël, en quoi cela complique le boycott ?
La France est un des rares pays où il y a eu des tentatives de criminalisation du BDS. En 2010, la circulaire Alliot-Marie, alors Garde des Sceaux, demandait aux parquets d’engager des poursuites pour discrimination contre les personnes appelant ou participant à des actions de boycott des produits déclarés israéliens. Il y a eu des tentatives de faire passer le BDS pour antisémite. Ce qui est stupide vu le nombre de juifs engagés dans la cause en France comme aux États-Unis. Cela a ralenti les actions mais on a gagné de très nombreux procès. Un de nos militants accusé d’avoir écrit aux pharmacies pour les dissuader de se fournir en Teva, une grande marque de génériques israélienne, a gagné tous ses procès. On en a perdu deux pour lesquels un recours en cours européenne des droits de l’Homme est engagé. La fascisation avancée du gouvernement israélien joue en notre faveur. Dans le sens où les juges sont de moins en moins enclins à condamner les délits d’opinion concernant les militants défendant la cause palestinienne. En France, si l’opinion a conscience que le fauteur de trouble est le colonisateur, pour autant, elle ne s’engage pas massivement. Quant à la classe politique de tous bords elle est unanimement pro-israélienne, par proximité idéologique. Car finalement Israël « c’est leur Etat », un exemple de reconquête coloniale, de surveillance des populations jugées dangereuses et de répression de masse.
Qu’en est-il en Paca ?
Un groupe BDS y fonctionne. Mais il y a une coopération éhontée entre la mairie (LR) de Marseille et l’État d’Israël. Il y a sans arrêt des cérémonies sur l’anniversaire du jumelage avec Haïfa, théoriquement un jumelage triangulaire avec Khan Younes dans la bande de Gaza qui s’est transformé en jumelage bilatéral. Les autorités municipales sont très pro-israéliennes. A l’époque de plomb durci (2008-2009), la droite et le PS avaient manifesté à Marseille à l’appel du Crif en plein massacre. A Nice la complicité avec Israël est encore plus ouverte. L’historien et écrivain israélien Schlomo Sand [Comment j’ai cessé d’être juif, 2013. Ndlr] se voit régulièrement interdit de conférence. En 2017, Christian Estrosi, actuel maire (LR) de Nice et alors président de région, s’était rendu à Haïfa pour planter des arbres [Palestine : Construire la paix, le Ravi n°148, février 2017.Ndlr] à l’invitation du KKL. Cette association ni écologiste ni humanitaire, a toujours eu pour but d’acquérir, par tous les moyens, les terres des Palestiniens. Lorsque Estrosi va planter un arbre, et Michel Vauzelle, ancien président de région PS, avant lui, c’est un acte de colonisation.
Est-ce que le BDS déstabilise réellement l’Etat d’Israël ?
Il s’est créé en Israël une cellule dotée de nombreux financements qui attaque systématiquement tous les militants en justice. Ils ont fait fermer les comptes Paypal de BDS France et de l’EJFP et on fait voter une loi qui interdit à toute association pro BDS de passer l’aéroport de Tel Aviv. Leur dernière tentative anti BDS a été d’empêcher la diffusion d’un reportage d’Envoyé spécial sur France 2 [ « Gaza, jeunesse estropiée », diffusé le 11 octobre, au prétexte qu’il donnait une image « trop négative » de l’Etat hébreux. Ndlr]. Le BDS ne mettra pas à genoux l’économie israélienne mais il contribue de façon très importante à détruire son image. Et c’est fondamental car 15 % de la population juive israélienne vit hors d’Israël et est donc très sensible à la réprobation.
Propos recueillis par Samantha Rouchard
Entretien publié dans le Ravi n°167, daté novembre 2018