De l’art de mariner
Au Front, tout est dans le détail. A Fréjus (83), les nains de jardin portent des drapeaux. Mais, cette année, pas la moindre affiche pour le meeting de Marine Le Pen. Ni d’université d’été en front de mer. La faute à ces « juges » qui « veulent tuer le Rassemblement national », dixit la com’ suite au gel de 2 millions d’euros de dotation dans le cadre de l’affaire des emplois présumés fictifs au Parlement européen (1).
Les militants qui font la queue avant le meeting ont droit toutefois à du champagne. « Du crémant, c’est moins cher », corrige une amatrice. Un tiers des permanences aurait fermé, faute de soutien du siège. Nicolas Bay minore : « On opte pour des locaux plus petits et moins coûteux, voilà tout ! » Et le Niçois Philippe Vardon de renchérir : « On va même ouvrir de nouvelles permanences dans les villes gagnables ! »
Mais, « économie oblige », c’est une carte de visite « FN » que distribue un élu. Et si le RN a pu réunir 300 élus, c’est en jouant sur leur droit à la formation. Avec, pour prodiguer la bonne parole, outre les « penseurs » Xavier Raufer et Hervé Juvin, le Vauclusien Thibault de la Tocnaye, patron de l’institut « maison » de formation du Front : « On a surtout parlé de communication. Avec du media training. Et l’équation de Plekhanov qui a inspiré Lénine. Propagande x agitation x organisation = réussite de la révolution ! »
« Vive l’Europe ! »
Pour le nouveau secrétaire du « 13 », Emmanuel Fouquart, « on ne pouvait organiser une université d’été comme si de rien n’était ». Signe d’une rentrée « low cost » : pour ouvrir le meeting, c’est un élu du Grand Est qui joue les sosies de… Johnny ! Un rôle qui revient d’ordinaire au Marseillais Stéphane Ravier, absent pour raison personnelle.
Alors, peut-être est-ce par souci d’économie que la fille recycle le discours du père…. Talonnant « en marche arrière » dans les sondages pour les européennes, face à ses « soldats de l’an 2 », elle glose sur « l’ensauvagement » de la société et la « submersion migratoire », assénant : « Nos idées progressent partout en Europe. » Et promet : « Avec nous, l’Aquarius n’aura plus le droit d’accoster. »
De quoi regonfler ces militants qui vous collent sous le nez les photos de leur téléphone : « Ça, c’est l’hôtel Ibis du Luc. Y a que des Noirs ! Nourris, logés, blanchis ! » Au fond, au Front, rien ne neuf ? Le Marseillais Jean-François Luc tempère : « Si, il y a une nouveauté. Marine a conclu par "Vive l’Europe !" son discours. » Et puis, avec l’accent chantant qui sied à l’autrichien comme à l’italien, des représentants du FPÖ et de la Ligue ont chauffé la salle pour Le Pen…
Bilan peu flatteur
Mais, avant de quitter le meeting, certains militants repartent les bras chargés de tracts, d’affiches : « En ce moment, on est à court de matériel. Alors on en récupère pour militer. » Dans le besoin, le frontiste est aussi pudique que bravache : « Nous, on peut se passer de l’aide de Nanterre, assure Fouquart. Et, côté adhérents, ça repart à la hausse. Après une baisse de 50 % » La faute aux banques : « On ne pouvait plus adhérer en ligne. Il fallait envoyer des chèques ! », s’étrangle le Toulonnais Amaury Navarranne.
Reste que, dans les Alpes, ça tangue : le secrétaire du « 05 » vient de mourir et celui du « 04 » de rendre son tablier. Mandaté pour re-booster ces fédérations, Navarranne serre les dents : « Je vous assure qu’il y a un chargé de mission dans le "04". Quant à s’interroger sur le remplacement d’un responsable au lendemain de son décès, c’est un peu tôt. »
Difficile toutefois de voir le déplacement à Châteaudouble, petit village varois qui va accueillir 72 migrants où Marine Le Pen a été chahutée, comme un franc succès. Ni l’inauguration de l’école de formation de Marion Maréchal, la veille du meeting de sa tante, comme un simple hasard. Même le maire de Fréjus, David Rachline, ne s’éternisera guère sur le bilan des villes frontistes.
Peut-être parce que, à en croire le « Forum Républicain », il est loin d’être flatteur : « Son projet d’aménagement de la base Nature est un fiasco. Il avait promis un hôtel, une discothèque… Il n’y a rien ! A part un projet d’aquarium avec des restaurants et des cafés : les commerçants du port et du centre sont ravis… Le pire ? C’est que tout ça, c’est juste pour renflouer les caisses afin d’être à l’équilibre en 2020. »
Car au RN, en témoigne la rentrée de Ravier à deux pas de la mairie de Marseille, on prépare déjà les municipales. « La différence avec les autres, dit Vardon, c’est que nous, on ne s’arrête jamais. » Comme tout le monde, en fait. Même l’élu marseillais Michel Catanéo, celui qui a porté plainte contre Ravier suite à l’agression qu’il aurait subie fin 2017, y est allé de sa conférence pour annoncer que, suite au refus du RN de renouveler sa carte, il sera candidat « sans étiquette » en 2020.
Il va donc y avoir embouteillage. Ce que déplore autant le néo-frontiste (et ancien de Debout la France) Laurent Jacobelli que Vincent Vidal du SIEL en Paca. Qui tique à peine sur la participation, début octobre du côté d’Avignon, de l’ex-frontiste aixoise Catherine Rouvier, une ancienne de ses ouailles, à un colloque d’Amitié & Action française. Ainsi que l’a dit Marine Le Pen à Fréjus, à deux pas d’un Mac Do : « Venez comme vous êtes. » Ce qui n’empêchera pas notre voisin, un « journaliste » un peu particulier, de passer une partie du meeting à arracher de son ordinateur portable un autocollant qui, c’est vrai, faisait un peu tache : une fleur de lys tricolore.
Sébastien Boistel
1. La justice vient de restituer 1 million sur les 2 saisis.
Enquête publiée dans le Ravi n°166, daté octobre 2018