De la richesse des droits culturels
Vous pouvez lire gratuitement cette archive du Ravi. Mais l’avenir du mensuel régional pas pareil, qui existe car ses lecteurs financent son indépendance, est toujours entre vos mains. Désormais vous pouvez aussi faire un don défiscalisé via la plateforme J’aime l’info : www.okpal.com/leravi
« La communication de "Culture près de chez vous" ne correspond pas à l’objectif de base [en faveur des droits culturels], il y a des éléments à corriger. » Ça n’est pas un des nombreux acteurs culturels navrés par le plan présenté par Françoise Nyssen, en mars dernier, qui lance l’estocade, mais Anne-Christine Micheu, la chargée de mission de la ministre de la Culture en charge… des dits droits culturels. Nous sommes le samedi 7 juillet après-midi, la première table ronde du festival d’Avignon consacré au sujet touche à sa fin. Malgré l’enthousiasme affiché par Françoise Nyssen pour ces droits depuis sa nomination en mai 2017, ils restent de fait toujours à conquérir.
C’est ce qui fait rager leurs plus ardents défenseurs. Sous couvert de transport de créations de l’Opéra de Paris ou de chefs d’œuvres du Louvre dans les déserts culturels, « Culture près de chez vous » ne fait que reproduire 60 ans de politique de démocratisation d’accès à la culture et aux pratiques artistiques. « On avait cru [que Françoise Nyssen] avait compris ce que sont [les droits culturels], mais son plan est un contre-sens grossier », se désole Christelle Blouët, coordinatrice du Réseau Culture 21, une association de promotion de la diversité et des droits culturels dans les politiques publiques.
Il y manque en effet à peu près tout ce qui fait sens dans ces droits définis par la Déclaration de Fribourg de 2007 (1) et inscrits dans plusieurs textes internationaux (notamment de l’Unesco) et dans le droit français depuis 2015 et la loi NOTRe (2) : respect de la diversité des références culturelles d’une personne ou d’un groupe (valeurs, convictions, langues, traditions, institutions, modes de vie…), droit de faire communauté sans y être assigné, développement du pouvoir d’agir des individus, droit à la réciprocité de l’information, etc. « Ça signifie qu’il ne peut y avoir de culture dominante, donc qu’une politique publique doit respecter chacun dans sa culture », explicite Ferdinand Richard, fondateur de l’AMI (Aide aux musiques innovatrices) ainsi que du festival Mimi à Marseille, et membre du groupe d’intellectuels internationaux à l’origine de la Déclaration de Fribourg. Et de rappeler : « Les droits culturels sont déjà présents dans la déclaration des droits de l’homme de 1789, qui inscrivent dans le marbre l’égalité en dignité et en droit des personnes. »
Renouveau démocratique
Si la mise en musique des droits culturels a d’abord touché le secteur de la culture, soucieux de contourner les politiques publiques avec d’autres moyens pour réellement démocratiser les pratiques artistiques, toutes les politiques publiques peuvent aussi être investies par ces droits. « S’appuyer sur les ressources culturelles de son territoire, reconnaître la richesse qui imprègne ses habitants ou les personnes qui y travaillent, comme leurs réflexions et objectifs pour leur territoire, peut être une logique de développement local différente mais pertinente pour une collectivité », explique par exemple Patricia Coler, la déléguée générale de l’Ufisc (3), une association représentant 2000 structures culturelles dédiées à la diffusion, la création et/ou l’action culturelle. Et d’insister : « C’est une question d’ascendance de la prise de décision, mais les droits culturels peuvent amener un renouveau démocratique, être une réponse aux replis, à l’abstention, à la défiance vis-à-vis des institutions. »
Au Coustellet, un village du Luberon, La Gare, une scène de musiques actuelles qui assure aussi des activités pour les jeunes et du développement territorial, a sauté le pas. Sous l’impulsion du conseil d’administration d’Avec, l’association qui la gère, et après avoir convaincu la direction des affaires régionales, un de ses principaux financeurs, elle a mis en place un comité artistique composé d’habitants du territoire, d’usagers, d’élus, d’artistes qui a maintenant en charge trois événements par saison. « Ça n’est pas tant le résultat qui est important, c’est plutôt ce que ça créé : la liberté et les responsabilités que ça impose, mais aussi la manière dont ça nous permet de repenser, de reconsolider nos fondamentaux issus de l’éducation populaire », relève Sébastien Cornu, un des administrateurs bénévoles.
Mais la grande réussite du lieu, c’est que les droits culturels imprègnent désormais ses autres activités. « On se demande comment mettre nos jeunes en responsabilité, les enjoindre à faire… Les droits culturels nourrissent aussi notre réflexion, et celle d’élus et d’autres acteurs locaux, sur le développement du territoire », poursuit l’ancien président de l’Ufisc. Qui se réjouit : « Il est désormais vu comme un bien commun ! »
Droits d’un autre monde
Autre exemple, dans le social cette fois. Dans le cadre d’une expérimentation du Département du Nord, Réseau culture 21 a accompagné l’analyse de conférences familiales au regard des droits culturels. Cette démarche constitue un outil de « recapacitation du milieu de l’enfant » et développe en cela les droits culturels de manière très opérante explique sa coordinatrice. Dans le cas d’un signalement ou d’un suivi par l’ASE, plutôt qu’un éloignement immédiat de la famille, il est proposé à l’enfant et sa famille de réunir des personnes importantes pour eux (famille, voisins, amis, instits…) qui vont ensemble définir un plan d’action pour améliorer la situation de l’enfant. Ce processus se déroule de manière autonome sans la présence des travailleurs sociaux même si ceux-ci restent garant du respect du cadre légal. Dans les pays où c’est pratiqué, comme la Tchéquie et la Hollande, il y a une baisse des placements. Un argument financier qui pourrait rendre les collectivités locales et l’état plus sensibles aux droits culturels ? Certainement plus que « le renouveau démocratique » avancé par Patricia Coler, la déléguée générale de l’Ufisc. Même si la loi NOTRe « a fait bouger les choses », selon sa collègue du Réseau Culture 21, le plan « Culture près de chez vous » prouve que ça n’est pas la priorité du « nouveau monde » en Macronie.
Jean-François Poupelin
1. Résultat d’une vingtaine d’années de travaux, la Déclaration de Fribourg a été rédigée par des experts et intellectuels internationaux, le groupe de Fribourg, sous la coordination du philosophe français Patrice Meyer-Bisch. Pour en savoir plus : Http://droitsculturels.org
2. La loi NOTRe enjoint les collectivités et l’Etat à mettre en œuvre les droits culturels, mais sans les définir et en étant non contraignante.
3. Union fédérale d’intervention des structures culturelles.
Par la pratique
Ça fait désormais parti de l’ADN du Ravi. Episodiquement, dans ses pages ou dans des suppléments, le mensuel d’enquête et de satire publie un travail réalisé avec des jeunes et des moins jeunes, le plus souvent habitants de quartiers populaires de la région. L’objectif est d’apporter à ceux qui en ont le plus besoin les outils du journalisme, pour mieux déchiffrer les discours médiatiques, mais aussi pour qu’ils s’en saisissent afin de faire entendre leur voix.
Cette présentation de la quatrième édition de C’est pas du luxe et des enjeux de ce festival pas pareil est enrichie de ce regard singulier. Cinq pages (numérotées IV, V, VII, VII et XII), un tiers du cahier, ont en effet été produites dans le cadre d’ateliers de journalisme participatif autour de thématiques chères aux organisateurs : l’accès à la culture et aux pratiques artistiques. Avec un fil conducteur : les apports de ces usages pour les publics en grande difficulté.
A Marseille, au gré notamment de chroniques du Ravi, une dizaine de salariés de Frip’Insertion, une association de réinsertion par recyclage de vêtements, s’est joyeusement approprié les codes de la satire pour interroger l’accès à la culture sous toutes ses coutures : la fête de la musique, les clichés, les séries, la mode, etc. A Avignon, le petit groupe d’usagères du centre social de La Croix des Oiseaux a été plus classique dans la forme (interview, reportages), mais s’est aussi arrêté plus longuement sur le fil rouge. Le sujet dans le service long séjour de l’hôpital Henri Duffaut a d’ailleurs beaucoup marqué Farida. Elle n’avait jamais été confrontée à ce genre de lieu et ne comprend pas leur existence : dans sa culture, les anciens restent à la maison…
C’est d’ailleurs la diversité des participants, la diversité de leurs regards, de leurs identités, qui fait la richesse des projets de journalisme participatif que nous réalisons. Comme elles font celle du Festival c’est pas du luxe.
J-F. P.
Enquête publiée dans le Ravi n°165, daté septembre 2018