Pas de politique sans eux
« Je dois avouer ma stupéfaction d’avoir découvert à quel point le système était désinvolte et se mentait à lui-même », s’exclame Jean-Louis Borloo en introduction du rapport qu’il a remis au gouvernement en avril. L’ancien ministre, artisan du Programme national de rénovation urbaine (PNRU), dépeint un constat alarmant sur les quartiers dits prioritaires et réclame un nouveau « plan banlieue ». Cette proposition n’a pas convaincu Emmanuel Macron : le 22 mai devant 600 acteurs triés sur le volet, il s’est contenté de présenter quelques mesurettes, comme l’ouverture de 30 000 places de stages en entreprise pour les élèves de 3ème des quartiers populaires.
« Une philosophie » et « une méthode », pour reprendre les mots du président de la République, qui ne devraient pas rassurer les militants de la coordination nationale « Pas sans nous » (PSN). Bien qu’ayant contribué à l’élaboration du rapport Borloo, ce « syndicat des habitants des quartiers populaires » se fait peu d’illusions sur les propositions venues d’en haut. « Quand je vois que les personnes qui vont prendre possession du rapport seront celles qui, pendant des décennies, n’ont pas fait leur boulot, je ne suis pas très optimiste », jugeait Mohamed Mechmache, président fondateur de PSN, lors de son assemblée générale qui s’est tenue à Marseille les 12 et 13 mai. Porte-parole d’ACLEFEU, collectif né au lendemain des révoltes des banlieues de novembre 2005, il appelle à ce qu’un minimum de pouvoir d’agir soit conféré aux habitants des quartiers : « Ils disposent d’une véritable expertise de terrain, contrairement à ceux qui occupent les cabinets ministériels et mettent au point des diagnostics très éloignés de la réalité. »
Discriminations nationales
L’implication des habitants et la démocratie participative, passées sous silence dans le rapport Borloo, étaient d’ailleurs au cœur des discussions lors de l’AG. Le collectif a regroupé plus d’une centaine d’adhérents venus des quatre coins de la France. Au programme, des ateliers dans lesquels les différents acteurs des quartiers se réunissent autour d’un objectif commun : porter leurs revendications auprès des institutions. Réunis dans l’ancienne cinémathèque de Marseille, universitaires, techniciens ou encore femmes au foyer, exposent des problématiques en s’inspirant de leurs expériences quotidiennes. « Mon champ de bataille, c’est l’éducation. Je fais actuellement l’objet d’un procès car j’ai usé de mon droit le plus légitime en dénonçant le comportement d’un professeur à mon égard », raconte Taous, la quarantaine. Femme au foyer, elle se plaint de la discrimination dont sont victimes les mamans voilées dans les écoles.
La lutte contre toute forme de ségrégation constituant la priorité du combat mené par cette coordination, la question du voile et de la stigmatisation des enfants et leurs parents dans les écoles n’ont cessé de nourrir le débat. Les revendications portaient également sur l’accès au logement et les projets de rénovation urbaine, considérés comme un « piège » mis en place dans l’unique but « d’exclure les habitants et augmenter les prix du logement ». A été aussi abordée la question de l’accès aux soins, « notamment en ce qui concerne la santé mentale due à l’isolement » précise Samira, militante PSN 13.
Pour pallier les défaillances de politiques publiques, l’AG a avancé plusieurs propositions : cesser d’agir en réaction à l’agenda institutionnel ou encore développer la co-formation au sein de la coordination. « Nous avons plein de ressources au sein de notre réseau, il faut les exploiter et les mutualiser pour unir nos forces », souligne la co-présidente sortante de PSN, Nicky Tremblay.
Expérimentations locales
Au niveau local, les « Pas sans nous 13 » développent aussi les tables de quartier. Ces espaces citoyens d’expression et de mobilisation, regroupant associations et habitants d’un territoire, ont pour objectif d’améliorer leurs conditions de vie en partant de leurs préoccupations et solutions. Financé pour multiplier des expérimentations dans les Bouches-du-Rhône, PSN 13 en a fait un enjeu important, avec pour objectif d’obtenir sa reconnaissance institutionnelle et de l’étendre au national. Autre axe de travail : l’implication des jeunes dans la coordination. « Parce qu’ils sont concernés et assureront la pérennité de notre mouvement », explique Fatima Mostefaoui, élue au conseil national de PSN et militante des quartiers Nord de Marseille. Et cette travailleuse sociale de rêver de « petits Pas sans nous », regroupant des 6 à 13 ans de tous les quartiers de Marseille.
A l’issue de ce rassemblement, un appel réclamant la participation des habitants dans la « mise en œuvre des décisions qui les concernent » a été rendu public. Mais les adhérents restent perplexes quant aux réalisations du collectif. « Comment mobiliser les habitants qui en ont marre et ne croient plus en notre pouvoir d’agir, interroge un militant d’une trentaine d’années. Nous avons besoin d’actions concrètes, pas de beaux discours ! » Et Fatima Mostefaoui de conclure : « Tant qu’il n’y aura pas des gens de nos quartiers au sein du pouvoir public, nous resterons mal représentés. Et les actions menées en ce sens ne serviront à rien. »
Yasmine Sellami
Enquête publiée dans le Ravi n°163, daté juin 2018