Un Maurras peut en cacher un autre !
Les voies du seigneur sont impénétrables : au moment où l’Action française prévient par SMS que le colloque marseillais consacré à Charles Maurras, initialement prévu chez les Dominicains, aura lieu finalement au « Novotel » du Prado (lire encadré), nous arrivons à l’église Sainte-Thérèse de Villeneuve-lès-Avignon. Où va se tenir une « messe pour la France », histoire de fêter les 150 ans de la naissance de Maurras, une commémoration organisée par « Amitié et action française », association pilotée par Clément Gautier, obscur candidat frontiste aux cantonales de Saint-Rémy de Provence.
Malgré (ou grâce à) une faible notoriété, il a réussi à ne pas trop attirer l’attention tout en réunissant un casting de choix : Jean-Marie Le Pen était attendu pour dédicacer ses mémoires… avant qu’un virus ne l’en empêche. Ne boudons pas notre plaisir : il est 10 heures, un samedi 21 avril chez Sainte-Thérèse, celle qui rigole pas avec la tradition. Dans nos mains, une antisèche en latin. Et, cliquetant dans l’allée centrale, le prince Sixte-Henri de Bourbon-Parme, descendant de Louis XIV, soutenu par l’abbé traditionaliste Vella. Qui, même si le Martégal n’a pas toujours été en odeur de sainteté avec l’église, est « là pour commémorer Maurras puisque la République n’a pas voulu le faire », la ministre de la Culture l’ayant écarté des commémorations officielles.
EN LATIN LA MESSE EMMERDE
Les chants sont en latin, les femmes voilées et l’abbé, rappelant que « la France, on a tendance à l’oublier, est aux Français », exhorte ses ouailles pour être de bons « patriotes », à être de « bons catholiques ». Et vice-versa. Le dernier chant permet à la grosse cinquantaine de fidèles de scander, comme dans un meeting du FN, « chez nous, chez nous ». Et ça ricane quand, pour honorer Maurras, est évoqué, outre Jeanne d’Arc ou Saint-Louis, « l’ange-gardien de la France Saint-Michel, une créature qui peut se permettre, elle, de n’être ni homme ni femme ».
Pour ne pas se faire repérer, nous avions refusé de faire du covoiturage et fait l’impasse sur le banquet animé par le « chœur de la Joyeuse Garde ». Ce qui ne nous empêche pas, en arrivant au restaurant le Castel, de les entendre beugler : « A la France, il faut un roi ! » La ponctualité, c’est la politesse des rois, pas des royalistes. Il faut patienter en feuilletant le « journal des Cadets de France » pendant qu’un ex-élu FN de la Région, Hubert de Mesmay, installe son stand pour vendre son brûlot anti-Marine « Autopsie d’un crash annoncé ».
On y croise la directrice d’école et élue frontiste de Tarascon, Valérie Laupies, qui se demande ce que le Ravi fait là. Qui, taquin, lui retourne la question. Quelques bouquins dans les mains, elle troque un recueil de « poèmes » de Brasillach pour un ouvrage de Maurras : « Je m’intéresse à cet auteur. » Entre elle et le Front, ce n’est pas simple. Et pour l’anonymat du reporter du Ravi, c’est « grillé » !
Avant la conférence de Marion Sigaud, l’« historienne » préférée du pote à « Dieudo », Alain Soral, petit coup de pression d’un des organisateurs : « N’allez pas raconter que vous avez vu des bras tendus ! » Pas besoin. Le rayon « librairie » suffit. Y figure, entre autres, Le Maréchal, l’organe de l’ADMP, « l’association pour défendre la mémoire » de Pétain ! Difficile de se concentrer sur Sigaud qui, comme d’hab’, se fait les crocs sur Robespierre, Voltaire ou Rousseau. Résumé de notre voisin : « J’ai loupé un épisode ou elle a fait tout, sauf parler de Maurras ? »
A contrario, le patron de l’institut Civitas, Alain Escada, lui, en fait des tonnes. Rappelant qu’il vient de signer la préface d’une biographie du fondateur de la Phalange, « José Antonio Primo de Rivera », il dit son plaisir d’évoquer ceux qui se battent « pour dieu et la patrie ». Et d’appeler « le pays réel à se réveiller et à se dresser contre l’occupant, qu’il soit intérieur ou extérieur ». Fustigeant au passage cette « néo-Action Française qui censure Maurras », ces « évêques de France bien peu fidèles au Christ » ou « ceux qui veulent sauver la France mais par pur électoralisme, prêts à ramper à Yad Vashem ou Tel Aviv ». Et de scander : « Nous sommes pour l’homme, pas pour la machine, pour Aristote, pas pour Rothschild et pour Maurras, pas pour Rockfeller ! »
ANTI-FRANCE… ET ANTISEMITISME
A la pause, Laupies lâche : « C’est obligé, vous allez tout caricaturer ! » Pas la peine : le prochain intervenant, c’est Yvan Benedetti, patron, entre autres, de l’Œuvre française, interdite comme les Jeunesses nationalistes en 2013, et pour laquelle il repassera devant les tribunaux début juin pour « reconstitution et maintien de ligue dissoute ». Son histoire du nationalisme au pas de charge lui permet surtout de saluer « Maurras comme un visionnaire qui a désigné l’ennemi, les quatre états confédérés : l’oligarchie, les francs-maçons, le cosmopolitisme et, chapeautant le tout, le judaïsme politique ». Et de conclure en lisant longuement le compte-rendu de Maurras de l’inauguration en 1926 de la grande mosquée de Paris avec ce commentaire : « Tout est dit ! »
Sans transition, Gérard Bedel, auteur d’un « Qui suis-je ? » sur « Pétain », lui, joue les vieux profs pour nous convaincre que Maurras est surtout un « poète » ! Et de se réjouir que la « République ne fête pas Maurras. Ce serait de l’étatisme. Et nous ne sommes pas des socialistes ! » Pendant la pause, une mamie tente, elle, de vendre des crucifix à son entourage, sous le regard amusé de l’abbé du matin.
Ça sent la fin. Conseiller de Jean-Marie Le Pen, l’avocat Elie Hatem (qui avait fait, pour « Civitas », 0,37 % aux législatives dans le Var) ressasse ce que ses prédécesseurs ont raconté en hurlant dans le micro. Il dénonce, pêle-mêle, ceux qui veulent « censurer, au prétexte de le dépoussiérer, Maurras », « l’anti-France » ou cette « France qui se défrancise ». Et l’avocat de plaider, outre pour la sécession des comtés de « Savoie » et de « Nice », pour le lancement d’un mouvement « en marche… vers la monarchie » : « Savez-vous qui a déclaré en 2015 qu’il manque un roi à la France ? Un certain Emmanuel Macron ! » Dans la salle, les rares qui avaient applaudi se ressaisissent pour huer le locataire de l’Élysée.
Le prince Sixte-Henri de Bourbon-Parme, que les organisateurs amènent avec peine au pupitre, vient clore la journée. Favorable au « nationalisme intégral » de Maurras, il plaide pour sa paroisse en disant son attachement à la « monarchie héréditaire, garante de l’identité de la nation ». Sans être trop regardant : il peut prétendre autant au trône d’Espagne qu’à celui de France ! Il chevrote : « Maurras est vivant ! » La petite centaine de personnes encore présente répond : « Vive le roi ! »
Sous le regard du DPS, le service d’ordre resté fidèle à Jean-Marie Le Pen, nous nous éclipsons sans nous faire prier. Avant de stopper un instant : à côté du parking, une piscine. Au bord de laquelle un groupe de gamins répète une chorégraphie sur le tube de Michael Jackson, « Black or white ». Joli pied de nez !
Sébastien Boistel
Quand ça veut pas…
Sale temps à l’Action française ! Au point que Luc Compain, leur porte-parole en Provence, refuse de répondre aux questions du Ravi. Sur la procédure à l’encontre de leur local marseillais rue Navarin (désormais aussi inaccessible que le mas de Maurras à Martigues), sur les militants qui ont rejoint les rangs du « Bastion social », ou sur le colloque organisé le 21 avril près d’Avignon par « Amitié et action française » pour les 150 ans de Maurras, le même jour que celui de l’AF à Marseille.
Pire : suite à la mobilisation, notamment, du collectif unitaire antifasciste de Marseille, ce colloque – qui devait se tenir dans un couvent des Dominicains, rénové avec le soutien de la région Paca mais aussi, et surtout, qui avait servi à cacher des Juifs pendant la guerre – s’est tenu finalement au « Novotel » du Prado.
Et l’AF de devoir faire de la retape à l’arrache sur les réseaux sociaux. Samedi matin, sur Facebook, ce message : « Déjà 70 personnes présentes, on vous attend encore plus nombreux à 14h00. » Sur les photos, ça ne dépasse guère les 50 personnes. Quand ça veut pas…
S. B.
Reportage publié dans le Ravi n°162, daté mai 2018