Quand les inégalités pèze(nt) !
« En Paca on a une population parmi la plus riche de France. Mais c’est aussi la région où l’écart "interdécile", c’est-à-dire entre les 10 % des plus pauvres et les 10 % des plus riches est plus grand qu’ailleurs », note Hervé Guéry, économiste et directeur du Centre d’observation et de mesure des politiques d’action sociale (Compas) qui a travaillé sur plusieurs études concernant la Paca. Avec 5 millions d’habitants c’est une des régions les plus peuplées de France, c’est celle aussi qui a connu la plus forte croissance démographique depuis 1960. C’est également la troisième économie régionale avec un Produit intérieur brut (PIB) supérieur à 150 milliards d’euros. Et qui se classe parmi les 20 régions ayant le PIB le plus élevé en Europe. Mais elle se situe aussi en deuxième position après la Corse en termes d’écarts de richesse.
Parmi les 20 premiers milliardaires français (Forbes 2018), on trouve deux marseillais : Jacques Saadé, patron de la CMA-CGM à la 12ème place avec 6 milliards d’euros, soit 13 places de mieux qu’en 2017 (Il est décédé le 24 juin 2018). Et Pierre Bellon, patron de la Sodexo à la 13ème place avec 5 milliards d’euros et 324ème rang au niveau mondial. Comme quoi on peut avoir la quantité en poche sans la qualité en bouche ! Dans les 500 premières fortunes du pays (magazine Challenge 2017), Alexandre Ricard (le PDG de Pernod-Ricard) est à la 22ème place avec 4,3 milliards et le Marseillais Jacques-Antoine Granjon (Vente-privée.com) à la 49ème avec 1,65 milliards d’euros. La famille Rénier (Onet) ferait presque figure de peuchère avec sa 190ème place et ses 450 millions d’euros.
Signe extérieur de richesse
Les riches se concentrent sur la Côte d’Azur, mais aussi à Aix-en-Provence, qui comme l’explique Hervé Guéry, fait un peu bande à part : « En Paca, richesse et pauvreté sont assez proches. Par exemple, dans le centre de Cannes il y a à la fois de la richesse et, juste derrière, des zones entières de très grande pauvreté. C’est pareil à Nice ou Grasse. La spécificité d’Aix-en-Provence c’est qu’elle a quelques petites poches de pauvreté mais relativement faibles au regard de la dynamique de base qui attire une population aisée. » On observe aussi des sortes d’échanges migratoires entre Aix et Marseille : si un Marseillais gagne en pouvoir d’achat il déménagera sur Aix, alors qu’un Aixois sans-le-sou migrera dans la cité phocéenne…
Après l’Île de France, le sud-est est l’un des grands contributeurs à l’impôt de solidarité sur la fortune : 3821 familles à Marseille, 3064 à Nice, 1872 à Aix, 697 à Toulon, 347 à Avignon, 205 à Gap… Monaco est hors compétition. Car sur le Rocher s’ils ne sont « que » 500 Français à payer l’ISF, ils possèdent un patrimoine moyen très élevé de 3,8 millions (3,1 millions pour Cannes).
Ce qui fait de Paca une région riche mais fortement touchée par les inégalités. Plus de 15 habitants sur 100 sont en situation de pauvreté et tous les départements sont concernés, Bouches-du-Rhône et Vaucluse en tête. « Avignon fait partie des villes françaises les plus pauvres et à côté de ça on a des bassins de vie avec de l’opulence comme le Luberon. On rencontre des difficultés à faire en sorte que les collectivités de ce territoire acceptent la fragilité d’une partie de sa population », explique Vincent Delahaye, élu Front de gauche à la mairie d’Avignon, délégué à l’habitat d’urgence et directeur de l’association Le Village à Cavaillon qui aide les plus précaires à retrouver le chemin de l’autonomie. « L’inégalité sociale me semble un des facteurs principaux de l’installation de la droite la plus réactionnaire sur nos territoires, note-t-il. Car ça crée du ressentiment et du rejet. »
« La particularité de Marseille est de posséder les quartiers les plus pauvres (nord), mais aussi les quartiers les plus riches (sud) de France », explique encore Hervé Guéry. Le quartier Perier dans le 8ème arrondissement marseillais est le plus riche du pays, hors Paris. 69 % de ses habitants paient l’impôt sur le revenu. À côté de ça, Marseille possède les 25 quartiers les plus pauvres de France sur 100 au niveau national. Une fracture nord-sud qui ne fait pas de doute au regard des revenus annuels moyens oscillant de 8000 euros dans le 3ème arrondissement de Marseille à 24 000 euros pour Perier.
Pauvres de nous
« Cet écart-là produit une ségrégation spatiale assez impressionnante. Dis-moi où tu habites et je te dirai qui tu es. Et quelles chances tes enfants auront de trouver un job et de devenir cadres », note l’économiste. Et de s’alarmer : « Quand vous vivez dans un quartier pauvre, l’absence de mixité sociale et de revenus font que la reproduction sociale s’accroît beaucoup plus vite qu’hier et explose ! » Ce sont les enfants les plus fragiles qui en pâtissent. « Quand on a fixé la carte scolaire ça partait d’un bon sentiment. Mais l’effet c’est qu’à Toulon, certains jeunes ne sont jamais sortis de leur quartier. À Marseille certains gamins n’ont jamais vu la mer ! », note Jean-Paul Jambon, responsable varois de la Fondation Abbé Pierre. Et difficile de faire société quand on ne se rencontre pas…
En janvier, l’ISF a été remplacé par l’impôt sur la fortune immobilière (IFI). C’est en Paca que l’on trouve logiquement les villes les plus impactées par la baisse. Le gouvernement va donc faire cadeau de 20 millions d’euros aux plus riches Aixois et Niçois, et 10 millions d’euros aux ressortissants français de Monaco. Les Marseillais les plus riches récupéreront quant à eux 38 millions d’euros. « Mais Marseille concentre aussi le plus grand nombre de logements sociaux et de bénéficiaires des APL (Allocations pour le logement) et avec la baisse de celles-ci, c’est une des rares villes qui a plus à perdre qu’à gagner », explique Hervé Guéry.
Dans le Var, qui manque cruellement de logements sociaux, avec la baisse de l’ISF on devrait se frotter les mains. « Dans le département, 27 000 familles sont en attente de logements sociaux, dont 60 % de familles monoparentales », explique Jean-Paul Jambon. Saint Raphaël compte 805 familles soumises à l’ISF en 2016 pour seulement 8,6 % de logements sociaux : Banco ! « On a de la marge mais on ne redistribue pas de manière équitable, s’inquiète Hervé Guéry. Alors que si l’on veut favoriser la dynamique des territoires pour lutter contre la ségrégation spatiale, il faudrait travailler d’abord sur l’équité de l’argent que l’on redistribue aux ménages. »
Dans les années 70/80, la perspective de résoudre les inégalités sociales était encore au programme. Aujourd’hui l’ambition serait plutôt de creuser l’inégalité des chances… « Dans nos études, on croise les questions de déclassement et de discrimination et à niveaux de formation équivalents, de catégories sociales équivalentes, c’est une question de territoire qui se joue », note l’économiste. Et de conclure : « Ce n’est pas parce qu’on a beaucoup de "premiers de cordée" dans un territoire, que l’on a moins de pauvres. On pourrait même dire l’inverse. Paca est la grande illustration que ce propos est facile à tenir mais qu’il ne se vérifie pas. »
Samantha Rouchard
Enquête publiée dans le Ravi n°162, daté mai 2018