La Ligne nouvelle cherche son rail
Retour vers le futur : en 2050, en heure de pointe, des trains fiables et confortables connectent entre elles toutes les villes du littoral de Provence et de Côte-d’Azur, au rythme d’une rame toutes les quinze minutes, dans chaque sens. Et la durée du trajet Marseille-Nice est fortement raccourcie par un désengorgement du réseau ferré. Les habitants de Paca – ou du moins leurs enfants – verront-ils un jour ce miracle ? Faut voir…
Vingt ans après le lancement du projet de ligne grande vitesse (LGV) Paca pour relier Paris à Nice en passant par le littoral, SNCF Réseaux a lancé en mars une concertation pour les deux premières phases de la dernière version du projet : la pléonastique « Ligne nouvelle ». Annoncée en grande pompe en juillet par l’État et le Conseil régional, elle est censée prendre en compte les raisons qui ont mené à l’échec de la LGV, ainsi que les attentes des habitants exprimées lors des nombreuses réunions publiques et manifestations d’opposants. Exit la priorité donnée à la ligne TGV, coûteuse en argent et en foncier, place aux lignes du quotidien, pour améliorer les dessertes de proximité et créer des RER autour des métropoles du littoral. Selon le calendrier présenté en janvier lors du dernier comité de pilotage, les travaux de la première phase pourraient débuter dès 2024. Et ceux de la deuxième en 2027.
TGV embusqué
Politiquement, les planètes semblent s’aligner. Alors que la LGV avait été accueillie par un tir de barrage des élus de l’arrière-pays varois et du pays d’Aix, qui s’écharpaient sur son tracé et son principe, la Ligne nouvelle ne rencontre pour le moment de la part des politiques « que » des questionnements techniques. « Dans les Alpes-Maritimes, tout le monde est en phase, se réjouit Philippe Cretin, président régional de la Fédération nationale des usagers des transports (Fnaut-Paca). Les problèmes se situent plutôt au niveau du Var, où il y un problème de chevauchement des voies sur La Crau, et une certaine ambivalence des élus LR. Et à Marseille pour l’emplacement de sortie du tunnel Sud vers la future gare souterraine. »
Car pour fluidifier le trafic traversant la capitale régionale, SNCF Réseaux reprend dans la Ligne nouvelle un des objectifs de la LGV : le creusement à Marseille d’une gare souterraine à quatre voies, pouvant accueillir aussi bien des TGV que des trains express régionaux (TER). Problème : du côté de SNCF Réseaux et de l’État, on met en avant l’impact de la Ligne nouvelle « dans l’arc méditerranéen entre l’Espagne, la France et l’Italie ». Un objectif qui semble plutôt mettre l’accent sur les TGV que sur les express régionaux. Dès la préfiguration de la Ligne nouvelle, plusieurs associations, épaulées par le syndicat Sud-rail, avaient dénoncé un projet « axé sur la grand vitesse des années 1980 ». Un avis qui n’est pas partagé par l’ensemble du monde associatif : plusieurs collectifs comme la Fnaut-Paca, Départ (Développement environnement Provence Azur avec le rail et le train) et Toulon-Var Déplacement, soutiennent le projet de Ligne nouvelle. « Un projet complet [sur quatre phases] de LN Paca permettra d’éliminer les relations aériennes entre notre région et ses voisines, ainsi que vers Paris », souligne Départ dans un avis déposé dans le cadre de la concertation.
Écotaxe, le retour ?
Le principal frein au projet reste alors le financement. En début d’année, le comité de pilotage évaluait le coût de l’ensemble de Ligne nouvelle à 14,5 milliards d’euros, dont 3,6 milliards pour ses deux premières phases. Selon les hypothèses de travail, les collectivités locales devraient régler entre 40 % et 45 % de la facture, à répartir entre la région, les départements et les intercommunalités. Soit au bas mot un ticket d’au moins 1,4 milliards pour les deux premières phases. Pas facile à décaisser, alors que les collectivités vont sortir financièrement exsangues de l’épidémie de Covid, et que leur autonomie budgétaire a été grandement amputée par la disparition de la taxe d’habitation. « Le conseil régional aurait la possibilité de dégager des fonds en créant une éco-taxe sur les poids-lourds en transit, comme ça se fait en Alsace, note Philippe Cretin. Cela serait légitime dans la mesure où, contrairement à un camion, un train doit payer une redevance pour chaque kilomètre qu’il parcourt. Mais à quelques mois des élections régionales, ça n’est pas un sujet très populaire… »
Renaud Muselier, président LR de la région Paca, avait pourtant annoncé fin 2017 sa volonté de développer les transports en commun « grâce à une taxe sur les poids-lourds en transit qui usent nos infrastructures et polluent notre air ». Trois ans plus tard, ce projet d’éco-taxe ne semble pas avoir avancé. Contacté pour obtenir des précisions, le Conseil régional n’a pas donné suite. Selon une étude réalisée en 2017 par la Fnaut-Paca, si la France appliquait une éco-taxe sur l’ensemble de son territoire, elle pourrait dégager sur une année entre 1,7 et 4 milliards d’euros de financements, selon qu’elle l’appliquerait aux seuls poids-lourds en transit ou à tous ceux qui franchissent ses frontières. En attendant qu’État et collectivités locales trouvent un accord sur les sources et les répartitions du financement de la Ligne nouvelle, la concertation sur les deux premières phases devrait être bouclée début avril. Et une décision ministérielle prise en mai, à un mois des régionales. En voiture !