L’usine à papier enfume les pouvoirs publics
Médecin à Fontvieille (13), un village des Alpilles, Bernard Girard observe une explosion des cancers depuis 45 ans. « Au début, il y avait de 0 à 6 cancers par an. Depuis 2016, j’en compte 36 nouveaux et 25 encore en cours », dénonce-t-il lors de la réunion publique du collectif « Halte à la pollution de Fibre Excellence » qui a fait le plein de 250 personnes au Méjan à Arles, le 14 mars. Sa patientèle vit sous le mistral qui pousse les fumées de l’usine Fibre Excellence, située en bord de Rhône à Tarascon. Selon un diagnostic de territoire de l’observatoire régional de santé, réalisé en 2016, Tarascon et l’ouest des Alpilles connaissent un taux de surmortalité de 14 % plus important que la moyenne en Paca. « La seule grande différence qu’a ce territoire avec beaucoup d’autres de la région, c’est qu’une usine très polluante y est implantée », conclut le docteur Giral. Mais pour l’instant, aucune étude n’a permis d’établir le lien direct entre l’activité polluante de l’usine et la santé des habitants.
Depuis deux ans, le collectif, emmené par une dizaine d’associations et des citoyens, s’active pour que les pollutions cessent. « On ne veut pas la fermeture de l’usine. On veut juste qu’elle travaille dans le respect de la santé et de l’environnement », cadre Philippe Chansigaud de l’Association pour la défense de l’environnement rural (Ader). Régulièrement, des riverains retrouvent de la cendre noire sur leur terrasse ou dans leur piscine, quand ils ne sont pas importunés par des odeurs fortes d’ammoniac ou de chlore. A l’école voisine du Petit Castelet, les enfants sont atteints de toux, d’asthme, de maux de tête et parfois de vomissements.
Des métaux lourds
Air Paca, organisme agréé pour la surveillance de la pollution atmosphérique, fait des mesures dans le voisinage. Le capteur de l’école du Petit Castelet témoigne d’une pollution aux particules fines à l’égal de Fos-sur-Mer et des grands centres-villes du département. L’agence de l’eau relève des polluants dans les eaux du Rhône. Des métaux lourds, du chlore, des matières en suspension, mesurés en sortie de station d’épuration. Pour cette « pollution non-domestique », l’agence de l’eau réclame 16 millions d’euros de redevance. Ce que conteste systématiquement Fibre Excellence depuis 2013.
Le 2 août 2016, la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) est venue faire un contrôle inopiné. Les analyses confiées au laboratoire Cereco montrent des dépassements de seuil réglementaire : 14 fois supérieurs pour les poussières, 12 fois supérieurs pour le cadmium, 6 fois supérieurs pour les autres métaux lourds et 3 fois supérieurs pour les gaz oxydes d’azote. Autant d’ingrédients toxiques. « L’accumulation des substances toxiques dans l’organisme et l’effet cocktail provoqué par la présence simultanée de plusieurs substances sont à l’origine de cancers, maladies neuro-dégénératives et malformations congénitales », explique à l’assemblée le cardiologue Jean Lefèvre, membre de l’Association santé environnement France (ASEF).
La pastille verte de Hulot
Depuis 8 ans, des arrêtés préfectoraux sont pris, intimant à l’industriel de mettre ses installations aux normes. Mais les sanctions ne suivent jamais. Non contents de ne pas réagir, Nicolas Hulot et son ministère de la Transition écologique et solidaire donnent un bon point vert au papetier. En plus des 250 000 tonnes de pâte à papier, l’usine produit aussi de l’électricité. Les chaudières à écorces et à liqueur noire – responsables de la pollution atmosphérique – alimentent une turbine à vapeur de 12 MW. Le 28 février, le ministre a annoncé 11 lauréats pour le développement de l’électricité à base de biomasse, qui « seront soutenues par un complément de rémunération garanti pendant 20 ans ». Le projet de Tarascon est le plus gros sélectionné. Grâce à l’aide de l’État, une turbine de 25 MW remplacera l’ancienne.
Avec ses 270 emplois sur site et 1000 indirects revendiqués, Fibre Excellence bénéficie de la clémence de la préfecture. Les avocats de l’industriel ne manquent pas d’appuyer sur le chantage à l’emploi. Par exemple, ils écrivent à l’adresse de la préfecture le 25 juillet 2017 : « Cet équipement industriel est ancien et nécessite des investissements lourds. […] La seule façon de respecter votre mise en demeure […], sera d’arrêter l’usine […]. Les pertes estimées seront de 150 000 € par jour ce qui impliquera une fermeture définitive de l’établissement. » A la sortie de la réunion du comité de suivi de site (CSS) du 15 mars dernier, industriel et sous-préfecture se veulent rassurants. L’usine serait mise totalement aux normes d’ici octobre.
Un « protocole d’investigation complémentaire » est planifié par l’Agence régionale de santé (ARS) avec Air Paca et des médecins volontaires, « pour approfondir le recensement des plaintes avec la description des pathologies et symptômes observés chez les patients », précise le communiqué du 23 mars suite à la réunion du CSS. Une mesure qui n’aurait probablement pas été prise sans la pression des associations. Et si, comme depuis 8 ans, les engagements de Fibre Excellence ne sont pas respectés, que feront les services de l’État ? Prendront-ils enfin des sanctions ?
Pierre Isnard-Dupuy
N. B. La direction de l’usine, la préfecture et le ministère de la transition écologique et solidaire n’ont pas répondu à nos demandes d’entretien.
Enquête publiée dans le Ravi n°161, daté avril 2018