C'est chaud au CCO !
Une plaque : CCO. Il ne s’agit pas du sigle anglo-saxon désignant un commercial ou un publicitaire. Mais du « Centre de culture ouvrière ». Son slogan ? « Tisser des liens ». Eux scandent : « Ils nous dépossèdent, ils nous écrasent ! On s’organise, on relève la tête ! » Une vingtaine de salariés en grève investit le centre social à Coco Velten, porte d’Aix à Marseille.
C’est le 8 mars. Une date qui résonne pour Shérazade, jusque-là secrétaire dans l’un des 8 centres sociaux gérés par le CCO mais dont le contrat n’a pas été renouvelé suite à une procédure disciplinaire. Mère isolée, elle retient ses larmes pour dire qu’elle n’a jamais « compté [ses] heures » mais qu’il lui a été reproché, dixit l’intersyndicale CGT-Sud Asso, son « insolence ». Habitants et associations du quartier se sont mobilisés en sa faveur. En vain. Faïza, elle, travaillait dans un point d’accueil RSA. Sa lettre de licenciement qui lui reproche d’avoir « vapoté » au travail et ne pas avoir suivi la marche à suivre pour les congés décrit cette ancienne représentante syndicale comme « autoritaire et directive ». A ses côtés ? Charles Hoareau, figure de la CGT Chômeurs, Adeline Costantino, de la CGT à la Caf…
Syndiqués dans le viseur
Le 15 mars, le délégué CGT Farid Ghenaï est convoqué. Motif ? Ne pas être resté jusqu’au bout à une réunion destinée aux coordinateurs jeunesse : « Or, je suis animateur. Et, ce jour-là, j’avais rendez-vous pour un partenariat avec un collège. » L’entrevue avec la direction – qui a fait appel à un huissier- dure trente minutes. Pas de « sanction » évoquée mais beaucoup de pression. « A qui le tour ? » redoutent les grévistes. En tête ? Cette salariée qui a reçu un avertissement pour des traces de « feutres » sur les tables d’une école. Une autre, en situation de handicap, licenciée après vingt-cinq ans… « Du jamais vu ! », dixit une « ancienne ».
Le cégétiste est remonté : « L’impression, c’est que les syndiqués et les femmes sont dans le viseur. À croire la direction, le turn-over dans le social, ce serait normal. Et pas question de s’expliquer sur la gestion RH. Comme à Zara ! » Sa collègues ajoute : « Ce qui semble irriter, c’est qu’on s’organise. Avant, on était isolés. Là, on tisse des liens. » En atteste l’AG organisée à l’Après M, ancien Mc Do du quartier du Merlan.
Pour le directeur, Belkacem Medjahed, « rapporté au nombre de salariés, cette mobilisation est anecdotique. Ce sont des gens qui sont là depuis peu et qui ne connaissent pas l’histoire », lâche celui qui est arrivé en 2018 pour « redresser la situation ». Pour lui, pas de « turn-over » sinon celui lié aux « contrats aidés » : deux tiers des salariés sont en CDI mais autour de 60 % des CDD sont des contrats aidés. Shérazade ? « Un CDD, sans obligation de renouvellement. » Faïza ? « On a pris les mesures qui s’imposent. » Ajoutant : « En deux ans et demi, il y a eu 9 mesures disciplinaires, dont 7 concernant des hommes. Notre indice d’égalité hommes-femmes est de 83 %. »
Le site web clame « I love éduc pop » avec, à la une, un dessin enfantin : « Construisons un monde humaniste et solidaire ». Mais le directeur brandit les courriers de salariés, notamment de l’équipe « insertion », pour qui les tracts de la CGT et de Sud sont « insultants et diffamatoires ». L’un d’eux s’achève ainsi : « Si vous considérez cette association et son fonctionnement toxiques, nous vous invitons à tenter votre chance ailleurs. » Ambiance…
Fonctionnement toxique
D’aucuns pointent le parcours de ce directeur passé par l’IRTS, l’Union des centres sociaux mais aussi l’école de commerce Kedge. Avant de prendre la tête d’une association issue des milieux chrétiens et ouvriers, il a travaillé plus de dix ans au centre Mer et Colline. « C’est moi qui l’ai embauché puis proposé pour qu’il me succède. Je pensais qu’il allait poursuivre le travail d’éducation populaire. Je me suis trompée », lâche l’ex-directrice Dominique Abad. Et de se souvenir du « licenciement de la comptable qui était là depuis vingt ans, d’une secrétaire, en situation de handicap, en poste depuis douze ans ». Des décisions qui se traduiront par des procédures en justice. Et Abad de tonner : « On n’appelle pas ça un centre social pour rien. La première des choses, c’est d’être aux côtés de ses salariés. Sinon, comment intervenir auprès du public ? »
Medjahed se défend : « Il y a dans la vie d’une structure des décisions difficiles. » Et préfère mettre en avant ses « projets » et son bilan : « En 2018, le CCO était dans le rouge. La suppression du treizième mois, c’était avant que je n’arrive. Depuis, on est à l’équilibre. Et les salariés ont 170 euros de chèque-cadeau, 500 euros de prime et une semaine de RTT. » Toutefois, les négociations, notamment de l’accord d’entreprise, sont en stand by.
Ahmed Heddadi, adjoint en charge des centres sociaux, nous dit « être attentif à ce qui se passe. Surtout quand il y a un mouvement social. Je vais donc prochainement rencontrer les salariés, les syndicats ainsi que la direction. » Et si la Caf s’interdit d’intervenir, elle est au courant de la situation. De fait, lors du renouvellement de la DSP pour la gestion des centres sociaux en 2018, le CCO a vu émerger de nouveaux acteurs jouer les outsiders. Comme Synergie, qui se définit elle-même comme une « start-up ».
Grimace d’un gréviste : « La direction dira que le CCO et Synergie, ce n’est pas la même chose. Tout en adoptant les mêmes pratiques. » Même analyse d’un ancien : « Face aux difficultés, il a même été envisagé de se rapprocher de l’Addap. Mais, suite à la perte de plusieurs centres sociaux, il aurait fallu repenser notre projet. On a préféré changer de direction, avec une approche essentiellement économique. Je suis donc parti. »
En ce moment, le petit monde du social à la sauce marseillaise est en ébullition : liquidation de l’Ifac Provence, tensions à la Ligue, changement de direction à Episec… Pendant ce temps, Synergie vient d’inaugurer dans les anciens locaux de Ricard à Sainte-Marthe, son « tiers lieu », l’Épopée, une « cité éducative » dont le slogan est « le droit de rêver, le pouvoir de faire ». Vive la crise !