Les parents pauvres du secteur de la santé
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A la rentrée 2016, deux médecins scolaires de la région avaient tiré la sonnette d’alarme dans le Ravi. Le titre de leur tribune ? « Mission impossible ! » Deux ans plus tard, le Conseil économique, social et environnemental vient de rendre un rapport intitulé « Pour des élèves en meilleure santé ». « Tout le monde dit qu’on fait un travail remarquable, qu’il faut mettre l’accent sur une médecine préventive, une approche globale, constate le docteur Patricia Colson, de la CFDT. Mais même si notre métier est passionnant, varié, on est de moins en moins nombreux pour le faire. Et, avec nos collègues de la PMI (Protection maternelle et infantile), on fait partie, au regard de nos salaires, des médecins les moins bien reconnus. »
Sans égaler l’Indre où il n’y a aucun médecin scolaire, dans l’académie Aix-Marseille, pour une cinquantaine de postes pourvus, il y aurait, d’après la syndicaliste, une « dizaine » de vacants : « C’est un leurre de penser que notre expertise pourra être remplacée par celle des médecins traitants. On est pourtant là pour s’occuper de la santé des futurs citoyens. Malheureusement, le temps sanitaire n’est pas celui du politique. Et, en attendant, notre disparition est bien avancée. »
Médecins en voie de disparition
La médecine du travail fait elle aussi partie des « parents pauvres », comme le confirme, à la veille du 35ème Congrès de médecine et santé au travail qui se déroulera en juin à Marseille, le docteur Dominique Huez. Qui, s’il a des attaches dans la région, s’est surtout distingué pour son bras de fer avec l’Ordre des médecins et un sous-traitant à la centrale nucléaire de Chinon. Son crime ? Avoir fait le lien entre les conditions de travail d’un salarié et son état de santé…
Pour ce membre de l’association Santé et médecine du travail, cette dernière est même en « voie de disparition. Il y a de moins en moins de médecins du travail formés et recrutés – on doit en compter environ 5000 – remplacés de plus en plus par des infirmiers qui exercent sans véritable formation ni réelle indépendance. Derrière, on s’attaque au soubassement médical de la discipline. »
Alors, même si un salarié peut toujours demander à voir un médecin du travail et si, d’après le docteur Huez, notre région serait un peu moins touchée « parce que le soleil attire toujours autant les médecins », pour lui, « il y a un espacement voire un effondrement du suivi médical périodique individuel. Avec une simple visite tous les 5 ans pouvant être assurée par un infirmier, désormais, le salarié lambda pourra, au cours de sa vie professionnelle, peut-être ne plus jamais croiser un médecin ! Sauf à bénéficier d’une surveillance renforcée pour exposition aux risques « officiels » (cancérogènes, rayons ionisants…) – qui ne sont pas, rappelons-le, les plus importants en matière de santé au travail. Auquel cas il pourra voir un médecin tous les 4 ans et un infirmier tous les 2 ans. »
Une dose de syndicalisme
La faute à la loi travail et au travail de sape, avec la complicité des « gouvernants », du « patronat : ce qui gêne, ce n’est pas qu’un spécialiste puisse donner un avis. On lui met même la pression pour qu’il rende non plus des avis d’inaptitude sur tel ou tel poste mais pour tout poste au sein de l’entreprise. Ce qui dérange, c’est qu’il atteste médicalement de la causalité professionnelle pour des personnes victimes du travail, que ce soit dans le champ des psychopathologies ou des décompensations organiques comme les infarctus. »
Et ce, à l’heure où l’on n’a jamais autant parlé de « burn out » : « C’est du baratin. Aujourd’hui, tout le monde est en burn-out ! Alors que ce qu’il faut faire, c’est au contraire nommer précisément les pathologies et définir les causes, notamment les organisations du travail pathogènes. Mais c’est justement quand on fait ce travail qu’on nous attaque… »
De quoi finir à l’HP ? C’est en tout cas, en témoigne la situation de l’hôpital Montperrin, à Aix-en-Provence, tout sauf la panacée. A l’entrée du local syndical, une affiche avec, en gros plan, des comprimés frappés du sigle de la CGT, et ce slogan : « Face à la souffrance, une dose de syndicalisme. » En vis-à-vis, une tribune de la ministre de la Santé : « Elle nous dit en substance qu’on ne manque pas de moyens mais d’organisation », ironise Christian Gros, cadre de santé en pédopsychiatrie et représentant local, régional et national de la centrale syndicale, juste avant d’intervenir aux Rencontres nationales de la psychiatrie.
Il dénonce des « mesures d’économie qui se font sur le dos du personnel et des patients », pointant en particulier « le recours aux CDD – des contrats d’un mois, 3 mois… – qui représentent désormais plus de 10 % de l’effectif » comme les « fermetures et regroupement de services ». Avec, comme conséquence, autant un « retour à l’asile » qu’une « rotation accrue des patients. Or, la psychiatrie, ce n’est pas la même temporalité que la somatique. Si, d’un côté, il faut réagir vite, nous, il faut du temps. Or, de plus en plus, on se retrouve à ne garder les gens que quelques jours – qu’importe qu’ils soient ou non complètement stabilisés – avant de les envoyer chez le "voisin" vers des structures médico-sociales. Et, à force d’être déplacés, il arrive que ces patients finissent à la rue. » C’est d’ailleurs pour ça que, lors de la journée de mobilisation du 22 mars de la fonction publique, les personnels de Montperrin y étaient aussi !
Sébastien Boistel
Enquête publiée dans le Ravi n°161, daté avril 2018