PLU belle, la rue ?
Quand on achète une maison dans un quartier calme et lumineux, on n’a pas envie qu’un immeuble de plusieurs étages pousse à proximité. Mélia Reiff, paysagiste, et son compagnon Hannes Banzhaf, architecte, ne diront pas le contraire. En 2016, ils achètent rue Jean, à Marseille du côté de la Blancarde (4ème). Ils se renseignent en mairie pour des travaux et découvrent par hasard que deux parcelles de la rue sont concernées par la modification n°3 du plan local d’urbanisme (PLU). Le couple tente d’en savoir plus mais « personne n’a pu donner d’explication », s’étonne Mélia Reiff. Finalement, ils trouvent sur Internet une notice qui expose que, pour conserver l’ambiance « apaisée » de la rue, les responsables de l’urbanisme à Marseille ont choisi de créer une zone de plan « masse » (UPM JE). Elle viserait à préserver un « équilibre entre boisements, lumière et recherche d’une écriture architecturale en lien avec l’esprit de faubourg ».
La modification des règles d’urbanisme pour cette partie de la rue semble, a priori, bienvenue : jusqu’alors, il était théoriquement possible de construire des bâtiments jusqu’à 16 mètres de haut dans une zone où on ne trouve que des maisons basses en fond de parcelles. Pourtant, la mairie souhaite autoriser la construction d’immeubles jusqu’à 14 mètres de haut avec une emprise au sol maximale de 17 mètres. Ce qui ne colle pas avec la préservation de l’unité architecturale de cette zone de faubourg.
Jeu de dupes
Sentant que quelque chose se joue dans leur dos, Mélia Reiff et Hannes Banzhaf préviennent leurs voisins. Le collectif « Jean veut pas » voit alors le jour. Mais les habitants hésitent à attaquer le PLU car la version en préparation serait plus avantageuse que celle alors en vigueur. C’est en tout cas ce que leur assure Laure-Agnès Caradec (1), adjointe au maire de Marseille à l’urbanisme. « Elle connaissait très bien le dossier et nous a expliqué que la modification du PLU nous arrangeait », se souvient Bernard Danglade, propriétaire dans la rue Jean et membre du collectif. Une source aux Bâtiments de France juge que « l’emprise bâtie paraît extrêmement massive avec un retrait insuffisant pour préserver l’écrin paysager existant ». Alors, pourquoi autoriser la construction de grands immeubles dans cette partie de la rue ?
Les habitants de la rue Jean trouvent rapidement la réponse. Ils apprennent que les deux parcelles concernées ont fait l’objet d’un dépôt de permis de construire en 2014. Il a été refusé par la mairie de Marseille qui avait suivi l’avis négatif (2) de l’architecte des Bâtiments de France (ABF). Une décision qui est mal passée chez le propriétaire du 22 rue Jean, le très médiatique professeur Didier Raoult, directeur de l’Unité de recherche sur les maladies infectieuses tropicales émergentes (Urmite) à la Timone (3), qui a attaqué la mairie de Marseille en justice pour « refus abusif de permis de construire ». A raison visiblement puisque « Laure-Agnès Caradec nous a clairement fait comprendre que le permis de construire avait été refusé pour des motifs peu justifiés », précise Bernard Danglade.
La maison du professeur Raoult est vide depuis plusieurs années. Elle a été squattée. Visitée aussi, par de potentiels acheteurs tous découragés par le prix de vente. En réalité, le scientifique se serait mis d’accord avec un promoteur. Il lui vendrait sa parcelle pour la construction d’un immeuble. Pour cela, il fallait convaincre les propriétaires de l’une des deux parcelles adjacentes de vendre également. Le promoteur l’a fait. C’était sans compter sur le refus de la mairie…
Un nouveau permis
La modification n°3 du PLU est adoptée fin juillet 2017. Dans la foulée, un nouveau permis de construire est déposé pour un immeuble de 32 appartements aux 22 et 24 de la rue Jean. Entre 2014 et 2017, le nom de la société demandeuse a changé. Pas celui de son représentant. Et, magie, malgré un nouveau PLU soit-disant plus protecteur et un nouvel avis négatif de l’ABF, la mairie centrale accepte le permis de construire le 29 janvier 2018 ! Quant à la maire de secteur, Marine Pustorino (3), qui avait pourtant assuré le collectif Jean veut pas de son soutien, elle a finalement rendu un avis favorable sur le dossier.
Depuis septembre 2017, le collectif participe à la consultation sur le PLUI (Plan local d’urbanisme intercommunal) et espère faire classer la rue en zone de faubourg. Il a par ailleurs formulé un recours gracieux sur l’arrêté de modification n°3 du PLU. « Le PLU est trop permissif, notamment en ce qui concerne la hauteur des bâtiments dans cette zone de petites maisons. La nouvelle version protège un peu plus mais c’est loin d’être suffisant », explique Me Joseph Andreani, l’avocat de Jean veut pas. Les habitants étudient désormais aussi la possibilité d’attaquer le permis de construire. S’ils restent très inquiets pour l’avenir de leur rue, ils tirent néanmoins une grande satisfaction de leur mobilisation : celle d’avoir fait de leurs voisins de véritables amis.
Pierre Coronas
1. Laure-Agnès Caradec n’a pas souhaité répondre à nos questions.
2. L’ABF donne un avis consultatif car les parcelles sont situées dans un rayon de 500 m autour du Palais Longchamp.
3. Didier Raoult et Marine Pustorino n’ont pas donné suite à nos demandes d’entretien.