Rénovation de Noailles : les habitants déconcertés
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« Le problème, c’est que les élus n’ont pas de culture de la concertation, ils ne voient pas les bénéfices qu’ils peuvent en tirer. » Lâché, mercredi 24 janvier, à l’issue de la « concertation publique » sur le projet de rénovation de Noailles, le constat dépité ne vient ni d’un habitant de ce quartier populaire de l’hyper-centre de Marseille, ni d’un militant associatif frustré, mais… d’un technicien de la Direction de l’aménagement et de l’habitat de la métropole, les organisateurs de la soirée !
Il est plus de 21 heures, le Théâtre Mazenod où s’est déroulée la « réunion d’information », a fermé ses portes. Pendant deux heures, il a accueilli une de ces mauvaises comédies dont la deuxième ville de France est coutumière : un affrontement entre deux visions de la ville et de la démocratie, comme cela est le cas dans les projets locaux de rénovation urbaine ou, plus récemment, à l’occasion du lancement du projet de requalification de la place de La Plaine (Cf le Ravi n°137). D’un côté, des habitants et des associations exaspérés de ne pas être associés et convaincus que l’équipe de Jean-Claude Gaudin n’a comme ambition que de virer les classes populaires du centre de Marseille pour y faire venir les bobos et les touristes ; de l’autre, des élus qui parlent « attractivité » et « qualité de vie » et persuadés de n’avoir face à eux que des gauchistes venus les ennuyer. La réunion démarre d’ailleurs par un accrochage entre un trentenaire énervé et Sabine Bernasconi, la maire LR du secteur. « C’est du blabla, je vous emmerde ! Je veux un Marseille où tout le monde a sa place », balance le premier en partant. Réponse de l’élue : « On n’a pas besoin de gens comme vous ! Il y a ceux qui gueulent et ceux qui font ! » Ambiance…
Coincé entre deux artères (la Canebière et le cours Lieutaud) et la très marchande rue Saint-Ferréol, Noailles est l’objet d’attentions urbanistiques depuis plus d’une génération. Sans grand résultat pour l’instant (voir encadré) : le quartier reste saturé de voitures, les espaces publics y sont rares, les services publics en sont absents et son habitat est très dégradé. « Du logement social de fait », explique un technicien. « Des taudis », préfère une personne dans le public. Lancée en 2009, l’opération de ripolinage Grand centre ville (25 pôles concernés) promet de résoudre (enfin) tous ces problèmes. Histoire de bien faire les choses, les habitants et usagers ont même été associés à l’étude urbaine préalable. « Une vraie expérience participative », assure une participante.
QUAND C’EST FLOU…
Salué par tous, ce travail s’est déroulé entre décembre 2014 et avril 2015 et a débouché sur un plan-guide de préconisations remis il y deux ans. La direction de l’aménagement et de l’habitat de la métropole jure en avoir fait sa bible pour construire son projet. Quatre grandes orientations sont mises en avant : repenser la gestion urbaine de proximité, apaiser et libérer l’espace public, améliorer la qualité de l’habitat et doter le quartier d’équipements publics. Un centre social, un espace jeunes et une micro-crèche (10 berceaux) sont ainsi promis pour 2021.
Un projet jugé plutôt positivement même par Un centre ville pour tous, une association qui se bat pourtant depuis 2000 contre la politique d’urbanisation et de logement de Gaudin. « Le point faible, c’est l’habitat », notait quelques jours avant la réunion Patrick Lacoste, un de ses animateurs. Mais ce 24 janvier, le militant à la barbe sel, est furax. Sous l’ovation de l’assemblée, il lance : « Si je comprends bien, on repart à zéro ! Quand est-ce que vont commencer les travaux, maintenant ou lors du prochain mandat ? »
Pendant le premier acte, consacré au diagnostic et à la présentation des grandes orientations, les quelques 200 présents découvrent que la rénovation du bâti et la piétonisation du quartier sont renvoyées à après 2019, à l’issu de deux nouvelles études de la métropole ! Pire, la voiture ne semble pas vraiment remise en question : les rues en plateau (sans trottoirs) sont privilégiées et seront fermées par des bornes automatiques, pour permettre les livraisons en matinée. « On sait comment ça marche, les rues seront piétonnes entre 14 heures et 15 heures », ironise Cyril Pimentel du collectif Vélo en ville, avant de tacler : « A Montpellier, ça fait vingt ans que le centre ville est piéton ! » Prudent, en fin de présentation, un des consultants avait prévenu : « Toutes les propositions n’ont pas été reprises. »
ELUS AUX ABRIS
Planqués entre l’estrade et les premiers rangs garnis par leurs troupes, les élus abandonnent rapidement aux techniciens le second acte, le jeu de questions-réponses avec le public. En particulier sur les sujets qui fâchent. Si Solange Biaggi, adjointe aux commerces de Jean-Claude Gaudin, et Sabine Bernasconi, la maire du secteur, font le boulot sur les questions sur l’attractivité, le retour du marché et de ses primeurs habituels ou la piétonisation, la question de l’habitat est par exemple laissée aux services de la métropole. Pire, quand revient sur la table le choix de la ville de ne pas préempter le cours Saint-Thomas d’Aquin, une bastide d’un hectare située à la frontière sud du quartier finalement vendue à un groupe immobilier, afin d’en faire un équipement public, comme l’école dont manque Noailles, les élus préfèrent regarder ailleurs.
Pourtant, ils sont venus en force. En plus de Solange Biaggi et de la maire du secteur ont été mobilisés Monique Cordier, vice-présidente de la métropole à la propreté, Marie-Louise Lota, adjointe aux emplacements, et Gérard Chenoz, adjoint aux « Grand projet d’attractivité ». Ce dernier ne se départit pas de sa morgue habituelle, comme lorsqu’une jeune femme demande où est la population du quartier, absente de cette assemblée bien « blanche ». « Devant sa télé », répond alors goguenard le président de la Soleam, le bras armé de la ville et de la métropole en matière d’urbanisme qui porte le projet de rénovation.
« Méprisant », « honteux », « langue de bois », « grand n’importe quoi ». A la sortie de réunion, beaucoup de participants ne décolèrent pas. « On regrette juste de n’avoir pas d’invendus du marché pour les lancer sur eux ! », jette même une quadra de l’Assemblée de La Plaine, un collectif qui se bat contre le projet de qualification de la place voisine.
Alors que la « concertation » se poursuit jusqu’au 23 février avec une exposition et un registre de remarques à la Direction de l’aménagement et de l’habitat de la Métropole, à quelques centaines de mètres de Noailles, les techniciens confient qu’il n’y aura pas de présentation finale du projet. « Il faudra attendre la délibération », expliquent-t-ils. Avant de lâcher : « On a dû se battre pendant deux ans avec les différents services concernés pour avancer. Aucun élu ne veut porter ce projet. » CQFD ?
Jean-François Poupelin
Un quartier en chantier
Le diagnostic « habitat » du projet de rénovation de Noailles est glaçant : seulement 11 % des immeubles sont considérés « en bon état structurel et d’entretien » et 48 % sont classés « bâti indécent et dégradé », selon le document de présentation de la réunion publique du 24 janvier. Pourtant, entre 2001 et 2009, le quartier a été doté d’un périmètre de rénovation immobilière et d’un programme de travaux déclarés d’utilité publique.
Si la ville de Marseille n’en a jamais fait le bilan, la Chambre régionale des comptes s’est livrée à l’exercice dans son rapport, en 2012, sur Marseille Aménagement, l’ancêtre de la Soleam. Elle y note que 40 % des 3 725 logements dont les propriétaires avaient reçu une obligation de travaux, n’avaient pas été rénovés à la date de sa clôture, le 31 décembre 2009. Et encore le gendarme financier ne s’est pas attardé sur la qualité des rénovations réalisées. Heureusement, l’opération Grand centre ville a pris la relève…
Reportage publié dans le Ravi n°159, daté février 2018