« A chaque époque sa résistance »
Je suis Cédric Herrou, agriculteur, et je suis poursuivi sur le fondement de l’article L. 622-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) qui punit de cinq ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende « toute personne qui aura, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irréguliers d’un étranger en France ».
Lors du mandat Sarkozy, il y a eu un « débat » plus populiste que pragmatique sur l’identité nationale. Comme si elle devait être unique ! Mon identité, celle de la vallée de la Roya est franco-italienne, avec son histoire, ses mœurs. Mon village est Breil-sur-Roya. Ma ville est Vintimille.
Depuis la menace terroriste, l’État français a remis des contrôles sur la bande frontalière, sur 20 km, sacrifiant toute une vallée par peur, par stigmatisation d’une religion et d’origines raciales, ce qui a engendré un trouble humanitaire sur la rive italienne et un trouble juridique sur la rive française. Du côté français, une fois passée la frontière, les personnes mineures ou majeures se trouvent bloquées entre plusieurs points de contrôles policiers, privées d’accès aux droits fondamentaux. Ici, pas d’asile possible pour les majeurs. Ici, pas de prise en charge pour les mineurs isolés. Un no man’s land juridique ayant un impact direct sur l’intégrité physique et morale de ces personnes fuyant guerres et dictatures.
Alors nous avons agi.
L’État est responsable d’une misère et d’une criminalisation d’action citoyenne. Comment la justice sous influence politique peut-elle remettre en doute la cohésion d’une vallée qui, par sa géographie, reste indissociable ? Breil, Tende, La Brigue, Vintimille appartiennent à un même territoire. Rien de plus normal qu’un habitant de Breil-sur-Roya se mêle d’une problématique humanitaire à Vintimille. Notre identité territoriale doit être respectée par ses élu(e)s censé(e)s nous représenter…
La conséquence de l’influence politique sur la justice a été des peines de plus en plus lourdes à l’encontre des personnes solidaires. En août 2016, alors que ma situation n’était pas médiatisée, je suis interpellé en flagrant délit de passage de frontière. Mon but était de mettre à l’abri huit personnes érythréennes à mon domicile. Je les ai transportées de Vintimille à Breil. Le procureur, à l’époque, n’a requis aucune peine à mon égard. Je suis sorti libre de ma garde à vue sous couvert d’immunité humanitaire. Il a été jusqu’à me conseiller d’intégrer une association humanitaire et surtout d’acheter un véhicule plus adapté au transport de personnes. Ce que j’ai fait. De là s’en est suivi une forte médiatisation, dont la conséquence directe sur moi fut un harcèlement policier tenace. Se succèdent par la suite procès et gardes à vues à répétitions.
Le but est clairement de museler les citoyens dénonçant les conséquences d’une gestion inhumaine et contre-productive d’un flux migratoire. La France, fermée sur elle-même, met à mal l’avenir de l’Europe et, de fait, son propre avenir.
Cette loi qui permet d’incriminer les aidants est née le 2 mai 1938 afin de criminaliser les résistants cachant et transportant les juifs. A chaque époque sa résistance… Même si l’Histoire, laissant un goût amer, est sans cesse remise à jour.
Que le droit évolue ou pas, le devoir des femmes et hommes respectant l’humanité est toujours de s’opposer à une dérive d’État, afin que l’Histoire de demain sache qu’en 2018, des femmes et des hommes ont risqué leur liberté au nom du respect des droits de l’Homme.
Cédric Herrou
Cette tribune a été publiée dans le Ravi n°159, daté février 2018