Au Tricastin, les élus zinzins de l'atome
Joyeux anniversaire Fukushima ! C’est vrai que dix ans après l’accident nucléaire du 11 mars 2011, on rêve de voir un réacteur nouvelle génération (EPR) implanté dans l’une des régions les plus nucléarisées du monde, comme le réclament 33 élus du Vaucluse, de la Drôme, de l’Ardèche et du Gard . Pourtant, “aucun EPR n’a commencé à fonctionner en Europe”, dénonce Michèle Rivasi, députée européenne EELV du Sud-Est. De fait, le chantier de l’EPR de Flamanville a déjà neuf ans de retard, pour un surcoût de 15,8 milliards d’euros (19,1 milliards d’euros contre les 3,3 prévus initialement)… Début janvier, EDF a annoncé un nouveau retard de six mois et un surcoût de 563 millions d’euros à Hinkley Point, en Grande-Bretagne. “La malédiction de l’EPR semble avoir encore frappé”, écrit Le Monde, qu’on ne savait pas branché ésotérisme. Idem pour le chantier du réacteur de troisième génération d’Olkiluoto, en Finlande, également “maudit” selon le quotidien « de référence », avec un retard de douze ans sur la livraison pour 6 milliards d’euros de surcoûts, dont une partie “devra sans doute être épongée par l’État français.”
Faille atomique
Les esprits malins jouent-ils vraiment un rôle dans les déboires des EPR ? Au bout de trois chantiers, le problème semble plutôt structurel… Ce qui n’inquiète pas, dans le Vaucluse, le président (LR) du département Maurice Chabert, les trois élus LR – le sénateur Alain Milon, les députés Julien Aubert et Jean-Claude Bouchet – et le « très divers » nouveau maire de Bollène, Anthony Zilio, qui réclament la construction d’un EPR au Tricastin.
Autre certitude, selon Michèle Rivasi : “le réchauffement climatique pénalise les centrales”, et accentue le risque d’accident alors qu’il est nécessaire de refroidir en permanence le cœur des réacteurs. Mais au Tricastin, en bordure du Rhône, le problème est plutôt inverse avec des risques d’inondation. Dans leur lettre ouverte, les élus vauclusiens pro-nucléaire mettent pourtant en avant l’implantation géographique de la centrale, “en bordure du canal Donzère-Mondragon”, et une “digue aux normes de robustesse post-Fukushima”. Interrogé, le conseil départemental du 84, rappelle que selon l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), le Tricastin « ne présente pas de risque particulier pour la construction d’un EPR nouvelle génération« .
En 2017, le gendarme de l’atome avait pourtant ordonné la mise à l’arrêt provisoire de quatre réacteurs, après avoir constaté “un risque de rupture d’une partie de la digue.” Car la centrale du Tricastin est construite à proximité d’une faille sismique. En 2019, un tremblement de terre de magnitude 5 avait d’ailleurs frappé la vallée du Rhône. On n’est pas bien, là, entre une une faille sismique, des épisodes de sécheresse de plus en plus fréquents, et la troisième centrale nucléaire la plus âgée du parc français? En mai 2020, le réacteur n°1 du Tricastin a atteint les quarante ans, l’âge de la retraite. Mais EDF milite pour un prolongement de quarante à cinquante ans des 32 réacteurs de 900 MW français. Alors même que la cuve du réacteur n°1 du Tricastin présente une vingtaine de fissures, selon le réseau Sortir du nucléaire. Une enquête de Libé a démontré qu’EDF tentait de minimiser l’importance de ces défauts. Le 25 février, l’ASN a donné son feu vert pour que l’exploitation des réacteurs nucléaires soit prolongée de quarante à cinquante ans après avoir passé leur quatrième visite décennale. Le réacteur numéro 1 du Tricastin a ouvert le bal en 2019, avec six mois d’arrêt de la production. Bilan « satisfaisant » selon l’instance de contrôle, malgré une quinzaine d’incidents déclarés par EDF depuis juillet 2019.
Fission épistolaire
Heureusement, en cas d’accident, pas de panique : en février, le ministère de l’Intérieur a envoyé des comprimés d’iode aux riverains des 19 centrales nucléaires françaises. Et puis, comme l’a déclaré Anthony Cellier, président de la CCI de Bagnols, l’installation de l’EPR est “vitale” pour le bassin d’emplois du Tricastin. “Vitale” pour qui, au juste ? Pour l’emploi qu’il faudrait privilégier face à la protection de l’environnement. Pourtant, ces deux impératifs pourraient se rejoindre, jugent 33 citoyens du Vaucluse, de la Drôme, du Gard et de l’Ardèche dans une lettre ouverte adressée au PDG d’EDF le 4 février en réponse à la missive pro-nucléaire des élus. “Une grande partie des travailleurs du nucléaire pourraient mettre en œuvre leurs compétences et leur savoir-faire dans le développement de nouvelles filières énergétiques” suggèrent-ils. Coucou, la diversification du “mix” prévue par la loi de programmation sur l’énergie ! Au CD 84, on affirme le volontarisme du département en matière de réduction d’économies d’énergie. Tout en rappelant qu’en vertu de la loi de décentralisation de 2015, « il n’appartient pas [à l’institution] de proposer des voies de diversification des sources énergétiques. »
Pour appuyer leur candidature, les élus mettent en avant les chiffres d’un sondage BVA commandé par Orano (ex-Areva) pour affirmer que le Tricastin “bénéficie de l’acceptation des populations”. Maisle sondage montre surtout la méconnaissance des enjeux du nucléaire, y compris parmi les plus concernés : 61% de riverains du Tricastin jugent que “le nucléaire contribue à la production de gaz à effet de serre et au dérèglement climatique”. Alors que c’est le contraire ! Ah, si les énergies renouvelables pouvaient engendrer autant d’emploi et de taxes que le nucléaire, peut-être qu’elles déclencheraient autant d’enthousiasme… “Les élus pro-nucléaires se font acheter”, déplore avec son franc-parler légendaire Michèle Rivasi. Le nucléaire dégage des taxes, et ils pourront arroser les territoires.” Attention, risque de pluie noire !